Les conseils que l'on nous donne sont bons: restons chez nous pour freiner l’épidémie et aplatir la courbe. Depuis le 13 mars, ces messages nous sont transmis avec des moyens sans précédent. Seules les personnes dont le travail est indispensable au fonctionnement de nos collectivités et à la lutte contre l’épidémie, et encore seulement si ce travail nécessite de sortir, seules ces personnes devraient être dehors. Les soignants, bien sûr; les employés de la chaînes alimentaire; la voirie; la police; la poste; les services de téléphonie et internet; les plombiers. J'en oublie peut-être, mais pas beaucoup. Des moyens financiers eux aussi sans précédent ont été mis en œuvre pour permettre cet effort collectif. L’idée générale est belle: plutôt que d'ordonner un confinement complet avec couvre-feu et contrôle policier, comme l’on fait certains de nos voisins, en Suisse on cherche à responsabiliser les personnes et à nous donner les moyens de suivre les consignes librement. Après tout, ces consignes sont là pour nous protéger et nous voulons nous protéger, non?
Sauf que l'on voit bien que même si la majorité suit remarquablement bien tout ça, on ne le suit pas tous. Du coup, le réseaux sociaux sont plein de condamnation des irresponsables qui sortent quand même, et de pétitions pour demander un confinement plus stricte. On a l'impression de se trouver dans une de ces situation où la question est de doser la liberté contre la contrainte.
C'est une erreur. Ou en tout cas c'est une description très partielle de la réalité. Si l'on veut que les personnes se confinent, que les malades s'isolent, que les contacts se mettent en quarantaine, alors il faut enlever tous les obstacles à cela. De quoi avons-nous besoin pour cela? Essentiellement de deux choses:
- Tous les contacts avec le système de santé pour coronavirus ou suspicion de coronavirus doivent être gratuits, et on doit le faire savoir à tous.
- Tous les arrêts de travail pour maladie ou maladie d'un proche doivent être supportables pour le budget du ménage. Même chose pour les arrêts de travail pour garde des enfants ou aide à des personnes vulnérables afin qu'elles puissent rester chez elles. L'isolement et la quarantaine doivent être financièrement accessibles. Personne ne doit être en faillite pour avoir suivi les consignes de la Confédération.
Pendant une épidémie, personne ne devrait être contraints à sortir pour des raisons de survie financière. Il y a des manières plus ou moins justes de confiner une population: compenser le fardeau que chacun endosse pour le bien commun fait partie de cela. Mais en plus, sans compensation le confinement volontaire devient illusoire.
Et c'est finalement là que les appels à un confinement plus strict prennent leur sens. Ce n'est en fait pas uniquement une question de tension entre la liberté et la contrainte. Un ordre des autorités de fermer des activités économiques, c'est aussi une protection pour les personnes qui travaillent dans cette branche. Elle peuvent se confiner, s'isoler, se mettre en quarantaine, en sachant qu'elles seront financièrement protégées. Notre situation mi-figue mi-raisin laisse trop de nos concitoyens sur le carreau, et cette situation augmente notre risque à tous.
Les épidémies sont toujours des moments de vérité. En exigeant de nous le meilleur de nous-mêmes, elles montrent où nous en sommes capables, mais montrent aussi où se trouvent nos failles. Le bon côté, c'est que dans un pays riche les épidémies nous permettent de corriger ces failles. Le mauvais, c'est que c'est souvent justement par ces failles que passent les épidémies.