Face à l’austérité qui a ruiné la recherche publique et à la course à la rentabilité des laboratoires privés, il est indispensable d’étanchéifier la frontière entre finance et médicament, explique Maryse Montangon, spécialiste des problèmes de santé.
En quoi la crise sanitaire montre-t-elle les failles du système actuel en matière de médicaments ?
Face à l’urgence, deux importantes études cliniques ont été lancées par l’OMS et par le consortium européen Reacting.
Toutes les pistes s’orientent vers des repositionnements de médicaments connus. Tout cela se passe dans une folle course contre la montre. Il est donc légitime de se demander pourquoi, alors que d’autres épidémies virales ont fait récemment de grandes quantités de victimes, les pays n’ont pas maintenu les programmes de recherche sur l’émergence de nouveaux virus. Comme le souligne le chercheur du CNRS Bruno Canard, spécialiste des coronavirus, cet « investissement sur le long cours a pâti de la crise financière de 2008 ».
La priorité n’est pas donnée à des enjeux de santé publique, mais à la rentabilité immédiate des investissements consacrés à l’effort de recherche. On voit aujourd’hui les conséquences de ce processus de marchandisation.
Vous proposez de longue date un pôle public du médicament, pourquoi se révèle-t-il indispensable ?
L’industrie pharmaceutique est stratégique. C’est une industrie d’avenir, à condition qu’elle ne soit pas dirigée par la finance. Comment permettre le développement de ce potentiel indispensable pour la santé publique, si les entreprises pharmaceutiques françaises continuent à supprimer des milliers de postes, à l’image de Sanofi ? La nationalisation seule ne convainc presque personne. Mais la « socialisation », « l’appropriation sociale » nous intéressent.
Il ne s’agit pas de remplacer simplement des actionnaires privés par des actionnaires institutionnels, mais de faire se confronter les pouvoirs publics, les usagers, les associations de malades et les salariés au sein d’une gouvernance de l’entreprise. Afin d’éviter de nouveaux drames sanitaires, il est indispensable d’instaurer une frontière d’une étanchéité absolue entre la politique financière et celle du médicament. Avec ce pôle public, nous voulons favoriser la découverte de molécules ou de vaccins dans les centres de recherche, sous impulsion publique, indépendante des multinationales.
C’est d’autant plus important qu’il faut s’assurer que le développement industriel de ces découvertes sera fait dans notre pays. Et c’est aussi la possibilité de coopérations ambitieuses et attractives. Emmanuel Macron a estimé que des « biens et services doivent être placés en dehors des lois du marché ».
Quels actes devraient être mis en œuvre immédiatement ?
La crise systémique actuelle et les déséquilibres financiers des comptes de la Sécurité sociale, la menace de la « règle d’or » en matière budgétaire, servent d’arguments à la baisse de la prise en charge des soins. Et l’hôpital public en a fait la terrible expérience avec 100 000 lits fermés en vingt ans. Malgré des mobilisations incessantes des hospitaliers, Emmanuel Macron a persisté dans cette voie. Aujourd’hui, il applaudit ces « héros en blouse blanche », mais sans revenir sur les politiques d’austérité.
Nous exigeons des actes concrets avec la mise à disposition immédiate du matériel de protection nécessaire, des tests et des respirateurs, la réouverture de lits, ou encore la revalorisation immédiate du point d’indice. Lors d’un collectif budgétaire, il faut rectifier l’objectif national des dépenses d’assurance-maladie à hauteur de 5 % avec au moins 4 milliards d’euros pour répondre aux besoins urgents, annuler la dette des hôpitaux et élaborer un plan d’embauche ambitieux immédiatement.
Entretien réalisé par Julia Hamlaoui