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Joram, de Manuela Gay-Crosier

Publié le 06 avril 2020 par Francisrichard @francisrichard
Joram, de Manuela Gay-Crosier

- Figurez-vous que ma génitrice a eu l'excellente idée de me prénommer Joram Josaphat. Elle devait être défoncée au crack quand elle l'a choisi, ce qui était son état quasi permanent en me mettant au monde; il paraît qu'elle ne jurait que par la Bible les derniers mois de sa vie, elle a dû les trouver grâce à cette édifiante lecture.

Joram, qui signifie Yahvé est exalté, est en effet le nom d'un roi d'Israël, de même que le nom d'un roi de Juda, et Josaphat, qui signifie Dieu juge, est également celui d'un roi de Juda. Ces deux prénoms bibliques désuets semblent bien difficiles à porter de nos jours.

Sivas préfère donc être appelé Jo tout court, comme il le dit à sa jeune et mignonne interlocutrice, Dolores Bourseau, qui se trouve en face en lui dans le parloir de la prison, un carré de cinq mètres sur cinq équipé seulement d'une petite table et de deux chaises...

Dolores est étudiante en lettres. Son projet de mémoire de master est de mener une étude sur l'impact de la lecture dans le milieu carcéral. Il s'agit de s'assurer que les détenus lisent, qu'ils comprennent ce qu'ils lisent et de savoir si ça leur apporte quelque chose.

Trois détenus ont été désignés volontaires pour l'étude de Dolores. Seul Joram se révèle digne d'intérêt, même si les rapports entre elle et lui ont mal commencé à partir du moment où elle a dit se prénommer Dolores, mais que tout le monde l'appelle Lola:

Jo devint blanc comme un linge tout en fixant la jeune femme qui venait de parler et qui rougissait à mesure que l'homme dardait un regard acéré sur elle. D'un geste brusque il envoya valdinguer les papiers qui encombraient la petite table...

En principe celle qui mène l'étude et celui qui en est le sujet ne doivent pas se faire de confidences. Au début c'est bien ce qui se passe, mais, si Jo lit les livres que lui donne Dolores, il prend goût, comme elle, à leurs rencontres qui ont lieu tous les quinze jours.

De plus, ce que Dolores lui a dit sur le livre qui est une clé pour l'introspection, a bientôt plus de portée sur lui qu'elle ne pouvait l'imaginer. Car Jo se met à fréquenter la bibliothèque de la prison et à préférer l'exercice de la rédaction à la lecture en elle-même

Leurs rencontres, bien qu'épisodiques, ne peuvent qu'avoir des conséquences sur la vie personnelle de Jo, condamné à une longue peine de prison, comme de Dolores, qui vit avec un père divorcé et dont le petit ami, Vincent, n'apprécie guère qu'elle lui parle de Jo.

Si, au fond, Dolores parle peu d'elle-même, il n'en est pas de même de Jo qui, en écrivant son histoire, permet à Dolores de comprendre pourquoi le mot de Lola a eu un tel effet sur lui et quels secrets garde pour lui cet homme qui ne la ménage pas lors de leurs entrevues.

A priori il est improbable qu'une jeune bourgeoise, à l'avenir tout tracé, puisse s'intéresser à un criminel de son âge, au lourd passé et sans avenir. Le roman de Manuela Gay-Crosier démontre peu à peu le contraire. C'est sans doute ici la vertu de la libération de parole. 

Francis Richard

Joram, Manuela Gay-Croiser, 300 pages, Plaisir de Lire

Livres précédents aux mêmes éditions:

Mon coeur dans la montagne (2017)

Baiser de glace (2019)


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