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Méditations wagnériennes en temps de crise - La musique et les musiciens définis et jugés par Richard Wagner (1)
Publié le 08 avril 2020 par Luc-Henri Roger @munichandcoLA MUSIQUE ET LES MUSICIENS DÉFINIS ET JUGÉS PAR RICHARD WAGNER (1)
I LA MUSIQUE (2)
Je ne puis concevoir l'esprit de la musique résidant autre part qu'en l'Amour.
(Communication à mes amis, 4° vol. p. 325-326.)
Le cœur a son moyen d'expression dans le son ; il a, dans la musique, son langage artistique et réfléchi. La musique est l'amour du cœur dans la plénitude de son bouillonnement, l'amour, qui ennoblit le sensualisme, qui humanise la pensée abstraite.
(L'oeuvre d'art de l'avenir, 3e vol. p. 99.)
Le plus surhumain de tous les arts, la divine musique, cette seconde manifestation du monde, cette révélation par les sons du mystère inexprimable de l'existence.
(Critiques, vol. 8, p.. 270.)
Je crois en Dieu, en Mozart et en Beethoven, je crois aussi en leurs disciples et en leurs apôtres , je crois en la sainteté de l'Esprit, et en la vérité de l'Art un et indivisible, je crois que cet Art est de source divine, et qu'il vit dans le cœur de tous les hommes illuminés par la lumière céleste ; je crois qu'après avoir goûté les sublimes délices de ce grand Art, on lui est fatalement et pour jamais voué, on ne peut plus le renier ; je crois que tous, par son entremise, peuvent parvenir à la béatitude.
Je crois en un jugement dernier, où seront condamnés à des peines terribles tous ceux qui, en ce monde, auront osé trafiquer de l'Art sublime et chaste, tous ceux qui l'auront souillé et dégradé par la bassesse de leurs sentiments, par leur vile convoitise pour les jouissances matérielles. Je crois qu'en revanche, les disciples fidèles du grand Art seront glorifiés, et qu'enveloppés d'un céleste tissu de rayons, de parfums, d'accords mélodieux, ils retourneront se perdre pour l'éternité au sein de la divine source de toute harmonie.
(Une fin à Paris, vol. Ier, p. 166-167.)
LA MUSIQUE, DANS AUCUN CAS, ET QUELLE QUE SOIT L'ASSOCIATION OÙ ELLE SE TROUVE ENGAGÉE, NE PEUT CESSER D'ÊTRE L'ART PAR EXCELLENCE, L'ART RÉDEMPTEUR.
Telle est son essence : ce qui, dans les autres Arts, n'est qu'ébauche, parvient, par elle et en elle, à la plus inébranlable certitude, à la réalité la plus immédiate, la plus positive.
J'en appelle au spectateur de la danse la plus grossière, à l'auditeur du vers de mirliton le plus plat : la musique qui s'y ajoute, tant qu'elle prend son rôle au sérieux et n'a pas l'intention de caricaturer, ennoblit cette danse et ce vers; en effet, précisément en vertu de ce sérieux qui lui est propre, elle est d'une nature si chaste, si merveilleuse, qu'elle transfigure tout ce qu'elle touche.
(Études sur les Poèmes symphoniques de Franz Liszt, V, 247.)
La popularité tout à fait extraordinaire de la musique à notre époque, l'intérêt pris aux productions des genres de musique les plus profonds, intérêt qui va toujours croissant et se propage dans toutes les classes de la société, l'empressement de plus en plus marqué à réserver à l'enseignement musical une part essentielle dans l'éducation, tous ces faits, clairs, évidents, incontestables, attestent deux choses : combien est juste la supposition que l'évolution moderne de la musique a correspondu à un besoin profond, intime de l'humanité et combien la musique, si incompréhensible que soit son langage selon les règles de la logique, doit enfermer en elle-même, pour sa compréhension, une force de nécessité plus convaincante que celle contenue dans ces règles mêmes.
(Musique de l'avenir, VII, 150)
Aussi loin que flottent nos regards, nous voyons que la Mode nous gouverne. Mais auprès de ce Monde de la mode, et simultanément, un autre Monde nous est né. De même que le christianisme est sorti des profondeurs de la civilisation romaine universelle, de même, du chaos de la civilisation moderne, a surgi la Musique.
L'un et l'autre nous disent : « Notre royaume n'est pas de ce monde. » C'est-à-dire : nous venons du dedans, vous du dehors ; nous procédons de la substance, vous de l'apparence.
Que chacun en fasse l'expérience sur soi-même : tout ce monde moderne des apparences, qui l'enserre de toutes parts, à son grand désespoir, en un cercle infranchissable, ne lui semble-t-il pas s'abîmer soudain dans le néant, dès les premiers accords d'une des divines symphonies de Beethoven ? Dans une salle de concert d'aujourd'hui (où des zouaves et des turcos, assurément, se trouveraient à l'aise), comment pourrait-on écouter avec quelque recueillement une telle musique, si l'entourage visible ne disparaissait à nos yeux ?
Semblable est l'effet de la musique, en prenant la chose au sens le plus sérieux, sur l'ensemble de notre civilisation moderne ; la musique l'abolit, comme la lumière du jour efface la lueur d'une.. lampe.
(Beethoven, IX, 144-145.)
Il est malaisé de se représenter clairement de quelle façon, dans le passé, la musique exerçait son influence spéciale sur le monde extérieur.
Nous devons croire que la musique des Hellènes pénétrait intimement ce monde extérieur même, et ne faisait qu'un avec les lois de la perceptibilité de ce peuple.
Les nombres de Pythagore ne sont certainement intelligibles d'une façon vivante que par la musique; l'architecte édifiait selon les lois de l'eurythmie, le statuaire concevait la forme humaine selon les lois de l'harmonie; les règles de la mélique faisaient du poète un chanteur, et le drame, sorti de la mélopée du choeur, se projetait sur la scène.
Partout, nous voyons la loi extérieure, qui régit le monde des phénomènes, déterminée par la loi interne, laquelle ne se peut comprendre que comme procédant de l'esprit de la musique : l'état véritablement antique, l'état dorien, dont Platon tenta de maintenir la conception par la philosophie; l'organisation militaire, la stratégie, l'attaque même, obéissaient, aussi sûrement que la danse, aux lois de la musique.
Mais le paradis fut perdu : la source originelle de l'activité d'un monde fut tarie... Ce monde; ainsi que la bille après l'impulsion reçue, continua à se mouvoir; le char continua à rouler, les roues poursuivirent leur tourbillonnant essor; mais il ne s'émouvait plus d'âme en elles qui les aiguillonnât; et c'est pourquoi le mouvement dut enfin se ralentir, jusqu'à ce qu'il y eût une renaissance, une résurrection de l'âme du monde.
Ce fut l'esprit du christianisme qui fit revivre l'âme de la musique. Ce fut la musique qui illumina l’œil du peintre italien, qui exalta l'acuité de sa Vision, et fit pénétrer son regard plus avant que l'apparence, des choses, jusqu'à leur âme, jusqu'à cet esprit du christianisme qui par ailleurs se corrompait dans l'Église. Presque tous ces grands peintres aimaient et pratiquaient la musique, et quand nous nous abîmons dans la contemplation de leurs saints et de leurs martyrs, c'est l'esprit de la musique qui nous fait oublier la réalité visible.
Mais vint le règne de la mode : de même que l'esprit de l'Église tomba au pouvoir des Jésuites et déchut sous leur discipline artificielle, ainsi la musique, en même temps que les arts plastiques, devint un art factice et sans âme.
Dans le présent écrit, nous poursuivons, en étudiant notre grand Beethoven, le merveilleux progrès de la mélodie s'émancipant du despotisme de la mode ; nous constatons que ce génie, en employant, d'une façon incomparablement personnelle, les éléments soustraits à grand'peine, par d'admirables prédécesseurs, à l'influence de la mode, a restitué à la mélodie son type éternellement authentique, à la musique elle-même son âme immortelle.
(Beethoven, IX, 148-146.) (A suivre.)
(1) En rapprochant les extraits suivants des Écrits et Poèmes, on a tenté de donner une certaine vue d'ensemble, dont l'objet se trouve indiqué par le titre ci-dessus.
(2) A la fin de chaque fragment, on a désigné le volume et l'écrit auquel il appartient, dans le recueil des Gesammelte Schriften und Dichtungen (Écrits et Poèmes) du maître, édité par Fritzsche, Leipzig. Textes traduits pour la première fois en français par CAMILLE BENOIT.