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Des chiffres et des êtres…Par Mathilde Kamal-Girard. Docteure en droit public. Enseignante-chercheuse à l’Université de Nîmes. Membre de la LDH.

Publié le 10 avril 2020 par Particommuniste34200

Depuis une semaine, les chiffres du Coronavirus comprennent les morts dans les Ehpad. Ce sont donc un tiers des décès comptabilisés qui se sont produits hors de l’hôpital. Il n’a pas encore été souligné ce que signifie ce pourcentage, à savoir que 33 % des personnes qui sont décédées ont trouvé la mort sans avoir eu la chance d’être sauvées par des soins intensifs et adaptés, pratiqués en milieu hospitalier. Il y a clairement une rupture d’égalité devant l’accès aux soins : les plus âgés d’entre nous – qui sont souvent, aussi, les plus fragiles face au virus – ont été traités différemment, moins bien.

Différemment, moins bien.. par rapport à qui ? Dresser la comparaison, mettre en rapport des chiffres entre eux implique de définir des groupes, de délimiter des populations. La constitution du groupe « personnes vivant dans un Ehpad » n’est pas très complexe, puisqu’elle se fonde sur un critère objectif, celui de la résidence. Derrière les chiffres, nous pouvons alors comptabiliser les êtres, nous pouvons les prendre en compte et, dans un temps plus lointain, il faudra aussi, certainement, en rendre compte. Mais l’épidémie traîne avec elle ceux et celles qui ne seront pas dénombrés. Comment saurons-nous le nombre de personnes décédées hors de l’hôpital et hors des lieux circonscrits comme le sont les Ehpad ? Ces morts qui seront celles des vulnérables parmi les vulnérables : celles de la rue, celles de l’isolement complet. Ceux-là aussi auront été traités différemment, encore moins bien. Ne pas pouvoir chiffrer ces morts, c’est condamner encore une fois à l’oubli les êtres qui sont derrière.

Au fondement de notre pacte social se trouve pourtant le principe d’égalité. Celui-ci veut qu’à situations semblables il soit fait application de solutions semblables ; mais que l’on puisse régler de façon différente des situations différentes. Se pose alors une question : que mettons-nous en rapport ? La maladie fait-elle le point commun entre deux personnes ? Ou l’âge, la situation sociale, l’origine marquent-elles des différences ? Dans le premier cas, on dira que toute personne malade mérite d’être soignée ; dans l’autre, non. L’annonce du chiffre des Ehpad à l’heure actuelle et, certainement plus tard, les chiffres des décès au sein d’autres populations vulnérables, conduit à faire un constat désenchanté : nous faisons primer la différence sur le point commun. La situation n’est pas nouvelle, elle ne fait que nous sauter brutalement aux yeux.

On accepte plus facilement qu’une personne tombe malade et ne se soigne pas – ou mal – si elle est pauvre ou si elle est étrangère. « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir », disait Jean de la Fontaine. Nous disons aujourd’hui, « selon que vous êtes puissant ou misérable, le système de santé vous déclarera guérissable ou incurable ».

Des chiffres et des êtres…Par Mathilde Kamal-Girard. Docteure en droit public. Enseignante-chercheuse à l’Université de Nîmes. Membre de la LDH.
10 avril 2020

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