Dominique Rousseau est professeur de droit constitutionnel. Il a enseigné à l’université Montpellier 1 jusqu’en 2013, puis à Paris 1 Panthéon-Sorbonne jusqu’en avril 2019.
La Marseillaise : L’organisation du second tour des Municipales au mois de juin, ou plus probablement à l’automne, vous parait-elle conforme d’un point de vue constitutionnel ?
Dominique Rousseau : Ça ne me paraît pas du tout conforme, non, aux principes qui régissent les élections en général et les élections locales en particulier. A savoir le principe de sincérité et celui d’égalité des candidats et des citoyens devant le suffrage universel. Le scrutin municipal est un scrutin à deux tours, mais le deuxième n’est pas détachable du premier. C’est un bloc. La meilleure preuve en est que le second tour a lieu juste une semaine après et que les listes n’ont que 24 heures suite aux résultats du 1er tour pour décider de leurs alliances.
Quelles sont les conséquences si, comme c’est prévu pour ces Municipales 2020, les deux tours sont détachés ?
D. R. : Ça porte atteinte au principe d’égalité devant le suffrage universel, car les maires et leurs colistiers ne seront pas élus avec le même corps électoral. Celui qui va se prononcer à l’automne sera à de nombreux égards différent de celui qui s’est prononcé au mois de mars. Ne serait-ce, par exemple, qu’au niveau des jeunes : certains n’ont pas pu voter en mars mais le pourront en octobre. En outre les contextes politique, psychologique, social, économique seront totalement différents.
l y aura également une rupture du principe de sincérité, qui implique que les électeurs puissent exprimer leurs suffrages de manière informée, libre, honnête et en toute connaissance de cause. Car il y a eu, le 15 mars, une très forte abstention liée à l’épidémie de coronavirus, qui fragilise le résultat du scrutin et la sincérité de ce résultat. Les maires élus au 1er tour seront des maires mal élus du fait de ce très fort taux d’abstention, si bien que leur légitimité sera constamment remise en cause, discutée durant leur mandat. On affaiblit la démocratie électorale, la démocratie locale en validant des élections acquises au 1er tour avec un tel taux d’abstention.
Au mois d’octobre, en revanche, peut-être y aura-t-il une très forte participation électorale, parce que les citoyens voudront montrer leur attachement à la démocratie après des mois de confinement. On aura donc à la fois des maires élus à l’automne avec 75-80 % de participation et d’autres qui auront été élus en mars avec 60 à 80 % d’abstention ! Ça va créer une énorme inégalité. C’est du grand n’importe quoi.
A partir du moment où nos démocraties reposent sur l’élection, ou bien l’élection est honnête et la démocratie l’est aussi ; ou bien les élections ne sont pas sincères et à ce moment-là, ça fragilise la démocratie électorale.
Dans un contexte exceptionnel comme celui-là, qu’aurait dû faire le gouvernement selon vous?
D. R. : Il ne fallait pas organiser le premier tour. Le gouvernement a cédé à la pression de la droite, à celle de Gérard Larcher essentiellement [président du Sénat, NDLR], qui a demandé à ce que le scrutin soit maintenu en menaçant d’accuser Macron de coup d’État s’il reportait les élections. Ce sont donc des intérêts politiciens qui l’ont emporté sur l’intérêt général. Et maintenant on est en train d’essayer de réparer cette erreur par d’autres erreurs : ils n’ont pas pu faire le second tour une semaine après, donc ils l’ont déplacé au mois de juin. Ils se rendent compte que ça ne sera pas possible au mois de juin, donc ils parlent du mois d’octobre, voire au-delà…
Il était d’intérêt général de reporter le scrutin au mois de mars 2021. Ça s’est déjà fait en France, les élections municipales qui devaient avoir lieu en 2007 ont été reportées d’un an parce que le Parlement avait considéré que cette année-là, il y avait eu beaucoup d’élections (présidentielles, législatives…) et qu’en conséquence cela risquait de provoquer une abstention qui aurait été préjudiciable à la démocratie locale. Le Conseil constitutionnel avait été saisi et avait dit que ce report était conforme à la Constitution. On aurait parfaitement pu prendre la même décision.
10 avril 2020