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Victor Blanc, poète contrebandier

Publié le 10 avril 2020 par Les Lettres Françaises

Victor Blanc, poète contrebandier« Beaucoup d’appelés mais peu d’élus » me dis-je souvent après lecture d’ouvrages qui tombent sur ma table de travail comme grêlons de pierre et m’assomment. « Il n’y a que des fleurs pour du fruit », pour reprendre la formule de Racan. Or, livre après livre, il semble bien que Victor Blanc s’affirme comme faisant partie de ces élus dont on ne peut douter de la vaillance. J’entends dans ses écrits une voix à nulle autre pareille, un ton qui lui appartient en propre et signe son chant. « Je donne de la voix à ce qui n’a bouche / Ni langage Ni corps Le vent L’air / À ce qu’on dit transparent / Ce qui vient mourir en fin de vers / Ce que le papier recèle et cache en sa blancheur / Filigrane des cœurs / Tissé dans ma poitrine. » Par exemple. Le chant dont il a la maîtrise du rythme dont il joue avec virtuosité et parfois une certaine insolence, cassant le vers : « Mon ombre m’a fait un croche / Pied » Ou bien, au hasard : « Ton corps ne s’édulcore / Pas Ni ta vie / Se désenvie / Contre laquelle un jour j’irai bleuir. »

Ainsi passe-t-il avec aisance de l’alexandrin à l’octosyllabe ou au rondeau ou encore aux vers libres pour s’écrier : « Je souviens de l’air qui passe / Es-tu poète pour pourri ». Ou bien : « Et j’ai pensé je l’avoue non à la poésie de nos académies / Mais à la poésie / Belle et crue / D’un chansonnier décédé par la rue / Mano Solo Téméraire / Et vaincu ». Il aime les mots avec passion qu’il fait rouler dans sa bouche, renverse en verlan sur la page : « J’ai rimé Verlaine en verlan / Et rimé l’averse à l’envers ». Ou bien : « Ô lutte ô ttelu démasquée ». Il utilise également parfois des mots d’argot comme rabouin qui signifie diable ou gitan si j’en crois Francis Carco ou encore des mots empruntés au langage des Coquillards : « Seul en Sorbonne / Échiné sur Villon / Je déchiffre des fifres du passé ».

Mais il ne faut pas s’y méprendre. Victor Blanc s’il veut réconcilier l’Ancien et le Nouveau sait que « L’aube a souvent des siècles de retard ». Il connaît « l’idole irréelle / Internet / Où les scies du désir s’acèrent ». Ce n’est pas une des moindres réussites de ce livre que d’avoir fait entrer dans le poème l’informatique et les sirènes des sites de rencontre. Et cela avec une lucidité impitoyable. Il met son cœur à nu lorsqu’il raconte se réfugier sur son écran : « On dira Victor et les Internautes ». Il écrit ce vers comme un couperet de guillotine : « Vivre disparaît dans la virtualité ». Ainsi s’ouvre Filigrane avec un Prologue : le projet proprement narratif du poète va nous conduire, page après page, à un épilogue intitulé Rêve dont la beauté et la force tragiques marquent un des sommets du livre : « Un feu brûle sans fin dans ma gorge / Et tous les mots ne sont que cendre dans ma bouche ». Écrire n’est jamais, comme il le dit, qu’un « Autodafé de soi », le « Bûcher brûlant de la mémoire ».

Reprenons notre lecture maintenant. Victor Blanc est un nouveau piéton de Paris, enlaçant « le torse des rues », par exemple, « sous le ciel de Pigalle », traînant « au soir / De bar en bar en quête / De boissons rares ». Il partage avec Aragon, « le vieux Louis des nuits bachiques », le goût des errances nocturnes où le rêve a la beauté lugubre de la Seine : « Je ne vois plus que Paris habillé / Pour la mort Sans cheval et sans pont bas / Le ciel met du collyre à Caulaincourt ». Un Paris où l’on suit les pas des femmes : « Je l’ai suivie / Lentement / Elle était comme un nœud coulant ». Un Paris où gronde la révolte comme à Nation « l’on m’a nassé / Et gazé les naseaux ».

Et j’entends dans le chant du poète, si jeune et pourtant parfois si las de porter sur ses épaules le poids de l’avenir avorté, semble-t-il, j’entends la force de l’espoir et du rêve, le refus de se compter parmi les repentis : « j’en ai tant vu artistement / Qui tournent casaque ». « Ô mes amis, écrivait Aragon, est-ce que tout est perdu ? »

Me voici donc devant la tapisserie du poème à tirer fil après fil, vers après vers. À le détricoter en somme ! Pourtant rien n’est moins évident que ce geste tant la composition du livre est savante, j’allais dire pensée. Voilà un poète qui reprend et invente après Guillaume Apollinaire le calligramme. Les dictionnaires en donnent comme définition « poème dont la disposition graphique sur la page forme un dessin ». Bien. Mais je laisserai à Victor Blanc le soin de nous expliquer ce qu’il en est pour lui, aujourd’hui, dans un texte extrait d’une conférence prononcée sur ce sujet, en 2019, à l’Université d’été du PCF. Je voudrais simplement m’attarder un instant sur le titre de son livre : Filigrane. Littré explique que le mot désigne les lettres, lignes ou figures fixées sur la forme à fabriquer le papier et dont la marque paraît sur la feuille. Ainsi le papier sur lequel j’écris porte-t-il, lorsqu’on l’expose à la lumière, presque par transparence, dans son corps même, le dessin des armes de la ville d’Amalfi. Mais ici Victor Blanc a compliqué l’accès au sens de son filigrane. Il faut le regarder à l’envers pour le lire, dans un miroir :

« Vivre à l’envers

Comme un contrebandier

Qui meurt du jour où il est né

Vent debout contre l’hiver

Sanguinolons ensemble,

Victor Blanc »

Jean Ristat

Filigrane, de Victor Blanc. 
Éditions Le Temps des Cerises, collection Les Lettres françaises. 
145 pages, 13 euros.

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