Trois semaines après la mise en place du confinement global des Français (depuis le mardi 17 mars), par annonce du chef de l’Etat Emmanuel Macron, en vue d’endiguer l’épidémie de Covid-19 en France, de multiples questions sont posées. Les exemples historiques sont intéressants, sur ce plan. C’est une mesure inédite en France, inefficace et inappropriée selon certains. Prolongeable initialement jusqu’au 15 avril, il a été annoncé, mercredi 9 avril, la reconduite du confinement par le gouvernement au moins jusqu’à la fin avril – début mai. Ces mesures sont globalement respectées en France, par les 67 millions de Français. Les rassemblements en extérieur et en intérieur ne sont plus permis, les déplacements étant limités au strict minimum, seuls restant autorisés en métropole et outre-mer les trajets nécessaires aux courses, aux soins, au travail (lorsqu’il n’y a pas d’autre alternative) et à l’activité physique.
En Italie, à titre comparatif, la vague semblerait passée, avec une avance de 15 jours environ sur le plan des mesures prises. Mais il n’y a toujours pas de reprise et de sortie annoncée. Par contre, en république tchèque où cela été adopté mais plus tôt, le scénario de sortie progressive a été présenté pour le 17 avril. L’épidémie de coronivarus ou Covid-19 a tué plus de 53 000 personnes en Europe et plus de 102 026 dans le monde, pour l’instant. Selon le dernier bilan dévoilé, ce vendredi 10 avril 2020, nous comptons plus de 86 334 patients atteints (du moins déclarés, mais dans la réalité des faits peut-être dix à douze fois plus). On comptabilise environ 30 767 patients hospitalisés dont 7 072 accueillis en réanimation et près de 12 210 décès, dans l’hexagone, ainsi que 23 206 guérisons, mais avec des cas possibles et avérés de rechute. Le pic des contaminations n’est toujours pas atteint, semblerait-t-il.
Les précédents historiques (notamment celui de la grippe espagnole) et les comparatifs sont intéressants à établir sur ce plan. Quels sont les précédents dans la gestion d’autres épidémies (telles la variole) par le passé, dans l’hexagone ? Le confinement généralisé s’avère-t-il réellement efficace et utile pour enrayer une épidémie, sur le plan historique ? Peut-on comparer le coronivarus et la grippe espagnole de 1918 – 19, sous certains plans ? Beaucoup accusent la mondialisation d’être responsable de la diffusion si rapide du virus dans un monde, entre guillemets « sans frontières ». A l’époque de la grippe espagnole, comment et en combien de temps le virus s’est-il répandu ? Comment ont réagi les gouvernements à l’époque et quelles ont été les conséquences sociales ? Les mesures prises ont-elles été si efficaces ? Y a-t-il eu des cas de panique ?
Peut-on espérer les mêmes prodigieuses avancées de la science, aujourd’hui, que celles consécutives à la grippe espagnole à l’époque ? En quoi ce confinement impacte-t-il notre moral et aussi l’économie française, en particulier les PME, TPE, commerçants et indépendants ? En quoi cette épidémie et ce confinement nous apprennent-t-ils, à l’image du roman la Peste d’Albert Camus, sur les attitudes collectives face à une épidémie, toutes proportions gardées ? Ce sont là autant de questionnements soulevés autour de la gestion hors-norme de cette crise sanitaire, Edouard Philippe ayant déclaré que toutes interrogations relatives aux mesures de déconfinement étaient prématurées.
En amont, il convient juste brièvement de le redéfinir, pour replacer les évènements dans leur contexte. Le coronavirus ou Covid – 19 (acronyme anglais de coronivarus disease) est une maladie infectieuse émergente de type zoonose virale causée par une souche de coronivarus SARS-CoV-2, apparue à Wuhan en Chine centrale en novembre 2019 avec des cas inhabituels de pneumophatie. Il se voit qualifié de pandémie dès mars par l’OMS et se propage dans toute la Chine, en Asie, en Océanie, puis de l’Europe à l’Amérique, en passant par le Moyen-Orient et l’Afrique (soit sur les cinq continents). La maladie a justifié de sévères mesures chinoises de confinement en janvier 2020. De nombreux pays prennent à leur tour des mesures similaires, provoquant des fermetures de frontières, un brusque ralentissement de l’économie mondiale et un krach boursier le 12 mars 2020.
Mais c’est en Asie (en Chine), au Moyen-orient (en Iran), en Europe de l’ouest (notamment en Italie et en Espagne, en moindre mesure en France) et en Amérique du nord (aux Etats-Unis), qu’il a fait le plus de victimes, pour l’instant. Se développant sous une forme bénigne dans 85 % des cas, le Covid-19 reste sans comparaison avec le H1N1 ou grippe espagnole ayant fait des ravages en 1918 – 19 dans le monde entier, sur le plan de la mortalité. Mais néanmoins, sa mortalité reste non négligeable chez les personnes âgées et vulnérables sur le plan respiratoire (par des comorbidités). Alors que rappelons-le, près de 60 000 malades (souvent âgés) décèdent de la grippe classique (A, B, C ou D) ou de maladies respiratoires diverses et variées, chaque année, en France (comptabilisés parmi les 610 000 décès annuels).
Voilà ce qui explique la mise en place de cette mesure de confinement généralisé en France, décidée à la mi mars, sur l’exemple d’une partie de la Chine, puis de l’Italie, durement frappée par l’épidémie (notamment la Lombardie puis la Vénétie). La mise en place de ce confinement général vise surtout à éviter l’engorgement des urgences, décidé juste après l’annonce de la fermeture immédiate des écoles, lieux publics et de divertissement, en dépit du maintien du 1er tour des élections municipales. Dans les urgences, on a par ailleurs fermé 100 000 lits en vingt ans et elles sont débordées, faute de place. Au fur et à mesure que l’épidémie de Covid-19 progressait en France, on a assisté à une intensification progressive des mesures prises par le gouvernement, face à une crise sanitaire, semble-t-il relativement mal gérée. La préfecture de police de Paris vient par exemple d’interdire désormais depuis le mardi 7 avril, toute pratique d’activité physique à l’extérieur entre 10 h et 19 h, même avec une attestation obligatoire de sortie.
Il eut plutôt fallu que l’Alsace – où les premiers cas sont apparus en février – soient placée en quarantaine fin février, par exemple, en tant que l’un des premiers foyers d’infection dans l’hexagone et que soient généralisés les dépistages dans l’est de la France, puis sur tout le territoire. Afin que les malades soient placés en confinement / quarantaine, pour les isoler de la population, les soigner, jusqu’à leur guérison. Il eut fallu aussi changer les règles dans les maisons de retraite et Ehpad avec près de 5 400 décès recensés depuis le 1er mars. C’est l’exemple du confinement tel qu’il est pratiqué Outre – Rhin, où les mesures prises sont plus efficaces et plus légères. Ainsi qu’en Suède, en Finlande ou encore en Corée du Sud, où les confinements généralisés n’ont pas été mis en application. Mais les tests y ont été généralisés, ainsi que la mise en quarantaine des malades. Le taux de mortalité est ainsi beaucoup plus bas, dans les pays cités, sans les désastreuses contraintes socio-économiques du confinement.
A l’heure actuelle, environ 12 000 tests de dépistage seraient réalisés par jour en France, ce qui est relativement peu. Il est impossible de connaître le nombre de tests effectués depuis le début du virus, devant attendre les bulletins épidémiologiques de Santé Publique France tombant au compte-gouttes. C’est assez faible, comparé à d’autres pays, les autorités réalisant en Allemagne plus de 500 000 tests par dépistage et la Corée du Sud ayant réalisé près de 400 000 tests depuis le début de l’épidémie. Les tests habilement généralisés restent la meilleure arme contre la propagation du virus. Ce qui apparait c’est que ce confinement devrait être moléculaire (comme en Allemagne et en Corée du sud), pour être réellement efficace et non de type quarantaine générale, comme il est appliqué en France ou en Italie. Tel qu’il est pratiqué, ce type de confinement a en réalité prouvé son inefficacité relative par le passé. A l’exception de quarantaines localisées comme la dernière fois, dans le cas de la variole en 1954-55, dans le Morbihan ou de quarantaines préventives portuaires, sur décision des autorités sanitaires.
Par ailleurs, en procédant de la sorte, on joue dans la durée, sachant d’autant plus que le coronivarus ou Covid-19 n’en est peut-être qu’à sa première vague pandémique, la grippe espagnole en ayant connu trois. Mais quels sont les précédents dans l’histoire, sur le plan de la gestion d’une crise sanitaire ? Une épidémie (du grec epi = au-dessus et du grec demos = peuple) est l’apparition et la propagation d’une maladie infectieuse contagieuse (cutanée, respiratoire…) et potentiellement mortelle. Elle frappe en même temps et en un même endroit un grand nombre de personnes, telle l’épidémie de grippe. Si elle se répand sur une large zone géographique, on parle de pandémie (du grec pan = tous). L’histoire nous a ainsi laissé quelques traces de ces pandémies ayant terrorisé les sociétés humaines (et cela depuis la plus haute antiquité), avec parfois d’importantes répercussions économiques, politiques et sociales. Outre l’application de mesures ponctuelles de confinement, il apparaît à travers l’histoire que ce sont toutefois les consignes sanitaires et surtout les progrès scientifiques qui sont venus à bout des maladies contagieuses.
Dans l’histoire, les pandémies ont été régulières. Elles suivent l’histoire de l’humanité depuis le néolithique. Au rang des maladies célèbres, la lèpre est souvent citée (déjà dans la Bible), toujours existante dans le monde (Fondation Raoul Follereau), mais aussi la syphilis (MST), autrement appelée vérole (à ne pas confondre avec la petite vérole ou variole), apparue au XVe siècle. Elle fit des ravages inouïs au XIXe siècle (Beaudelaire, Maupassant, Daudet…). Le germe responsable fut isolé en 1905 et elle fut éradiquée par la découverte de la pénicilline en 1943. La peste est une maladie commune à l’homme et à l’animal. Causée par le bacille Yersinia découvert par l’Institut Pasteur en 1894, elle est évoquée dans l’Ancien Testament, présente de l’antiquité jusqu’au XIXe siècle. Des maladies ayant frappé d’autres espèces ont été abusivement appelées « peste » (aviaire, porcine…). La tuberculose fit des ravages en Europe au XIXe siècle. Les routes marchandes ont contribué à la diffusion des épidémies, de continent à continent.
La variole (circonscrite initialement à l’Europe) fut propagée par les conquistadores portugais ou espagnols et les navigateurs européens en Amérique latine au XVIe siècle et décima les populations amérindiennes. Disparue dans les années 1950 en France, elle fut endémique, chronique de l’Antiquité jusqu’à son éradication en 1977, grâce au vaccin obligatoire. A l’image d’autres maladies contagieuses disparues par les effets de la vaccination et les progrès médicaux. On peut citer la suette miliaire ou encore la coqueluche (ou le tac ou le horion) qui sévit de façon épidémique aux XVIe et XVIIe siècles surtout. La diphtérie est connue depuis l’antiquité, touchant les voies respiratoires, le coeur et le système nerveux, enrayée par la vaccination en 1924. Le choléra est une autre infection (de type diarrhéique aigüe), provoquée par l’ingestion d’aliments ou d’eau contaminés. Il reste une menace selon l’OMS pour la santé publique mondiale (avec 1,3 à 4 millions de cas de choléra par an dans les populations pauvres, et 21 000 à 143 000 décès dans le monde).
La grippe classique est aussi une maladie infectieuse fréquente et contagieuse provoquée par quatre types de virus : A, B, C et D (fièvres, toux, pharyngite…). La plupart du temps, elle disparaît au bout de quelques jours. Mais elle peut évoluer vers plusieurs types de complications (pneumonies ou déshydratation mortelles de patients les plus fragiles). Le sida (MST) apparu en 1981 (officieusement dans les années 1960, en Afrique) a causé la mort d’environ 32 millions de personnes (essentiellement en Asie et en Afrique). De nombreuses épidémies peuvent être citées comme le virus Ebola (en Afrique), l’hépatite C, le SRAS de la famille des coronivarus. Le chinkungunya et la fièvre jaune sont deux maladies infectieuses tropicales transmises par les moustiques, ainsi que le paludisme ou la malaria. La fièvre jaune fit des ravages dans les Etats du sud des Etats-Unis au XIXe siècle et remonta même jusqu’à New-York et Philadelphie à la fin du XVIIIe siècle. Dès la haute antiquité, en passant par le Moyen-Age, jusqu’à l’époque moderne et contemporaine, les quarantaines, confinements et cordons sanitaires ont été mis en application, notamment en Europe, mais toujours à titre local et jamais à cette échelle.
Dans l’histoire contemporaine, il y a eu trois pandémies au XXe siècle : la grippe espagnole (25 – 50 millions, voire 100 millions de morts selon certains analystes), la grippe asiatique de 1957 (2 millions de morts) et la grippe de Hong-Kong en 1968 (4 millions de morts). Les deux dernières ont la particularité d’avoir été circonscrites à l’Asie, d’où est parti le coronivarus. On peut trouver de nombreuses explications à cela, la première étant le passage de l’animal à l’homme, causée par la prolifération en Chine (et en Asie notamment du sud-est) des marchés d’animaux vivants (wet markets). Le virus actuel est probablement parti d’un marché sauvage à Wuhan, en Chine. Après la crise sanitaire du SRAS en 2002, ces marchés d’animaux vivants ont été fermés, mais cette décision a entraîné la création de marchés noirs, car trop de personnes en dépendent. Il faudra en outre repenser notre système d’alimentation, car c’est « là le berceau de ces nouvelles infections de plus en plus fréquentes ». Nous avons pu le constater avec les grippes aviaire ou porcine de 2005 – 06. Les conséquences politiques furent souvent capitales dans l’histoire, comme elles pourraient l’être notamment pour le PC chinois et l’Union européenne, par exemple.
Dans Athènes assiégée par Sparte en 430 av. J-C., lors de la guerre du Péloponnèse, une subite épidémie de peste décima un tiers de la population de la ville, soit 200 000 habitants (dont Périclès lui-même). C’est la première pandémie documentée de l’histoire, la peste d’Athènes étant probablement réalité une fièvre typhoïde (fièvres intenses, diarrhées, rougeurs et convulsions). Elle marqua le début du déclin d’Athènes. Elle fut décrite par l’historien Thucydide, lui-même touché par la maladie. La peste antonine frappa l’Empire romain à la fin de la dynastie du même nom, durant les règnes de Marc Aurèle et Commode entre 165 et 190. C’est sans doute l’épidémie la mieux documentée de l’époque antique, certains scientifiques pensant toutefois, qu’il s’agissait plutôt de la variole.
La dynastie antonine – les Antonins – lui a donné son surnom. Cette peste fait débat, quant à sa contribution au déclin de l’Empire romain d’Occident. L’Histoire Auguste nous décrit l’apparition de l’épidémie et ses ravages. La description la plus intéressante se trouve dans les écrits médicaux de Galien. Aucune mesure de quarantaine ne fut prise, semble-t-il, car jugée inefficace. C’est pour se protéger de la peste noire qui fit des ravages au milieu du XIVe siècle en Europe et en Asie (ramenée peut-être de Chine par un navire vénitien, via des rats), que l’on prit les premières mesures connues et documentées de confinement, à titre local. La peste fait des ravages, notamment au XIVe siècle (7 millions de morts en France sur 17 millions d’habitants).
Ayant débuté sur les bords de la mer noire vers 1340, elle s’est rapidement étendue en Europe et dans certaines régions d’Asie, faisant près de 75 millions de morts, soit de 30 à 40 % de la population européenne de l’époque (de 1347 à 1352), selon certaines estimations (et probablement aussi de 30 à 40 % de la population asiatique). Les premières mesures documentées d’isolement des navires provenant de zones infestées apparaissent aux XIVe et XVe siècles, à Dubrovnik (Croatie) en 1377 puis à Venise (Italie) à partir de 1423. Mais il y eut aussi d’autres épidémies de peste à Barcelone en 1590, à Milan en 1630, à Marseille en 1720 et la peste des chiffonniers à Paris en 1820. Les quarantaines sont régulièrement adoptées en Europe, à destination de navires et sur la terre ferme, mais à titre local.
La France a été touché par la peste à Marseille en 1720, la fièvre jaune à la frontière espagnole dans les années 1820 et le choléra dans les années 1830, la variole jusque dans les années 1950… Mais les mesures de confinement prises par les autorités sanitaires étaient ponctuelles et localisées, parfois de type cordon sanitaire. « La méthode ressemblerait à ce qui a été fait pour lutter contre l’épidémie de peste, notamment la dernière à Marseille en 1720″, mais localement. Cette épidémie constitue un précédent historique de confinement, l’un des seuls dans l’histoire de France, note l’historien Jean-Yves Le Naour auprès du Figaro. Elle fut propagée à partir d’un navire en provenance du Levant, probablement de Syrie, dans le port de Marseille, la maladie s’étant étendue rapidement dans la cité phocéenne. Elle a entraîné entre 30 000 et 40 000 décès sur 80 000 à 90 000 habitants, avant de se propager à toute la Provence. Sur le plan concret, « les foyers de peste étaient isolés du reste de la population ». Ainsi, « on laissait mourir les malades pour protéger les autres ».
C’était ainsi le seul moyen connu et mis en pratique, à l’époque, pour lutter contre la propagation d’une maladie virale de ce type. Cependant, à la différence d’aujourd’hui, il s’agit là alors d’une mesure très localisée. A une époque, où les déplacement étaient très restreints, surtout le fait de camelots, marchands ambulants et employés de services publics. Des « murs de la peste » ont été ainsi mis en place dans le Vaucluse en 1721 sur 27 kilomètres pour protéger la région. Ils sont gardés par des soldats, des gendarmes qui avaient ordre de tirer sur tous ceux qui tentaient de sortir du périmètre. Il s’agissait d’une question de vie ou de mort pour le royaume. C’est le règne de Louis XV, le bien puis le mal aimé. Mise en quarantaine, la ville de Marseille a vu la peste disparaître petit à petit, à partir de 1722. Depuis cet épisode célèbre, la France n’a pas mis en place de confinement local, si ce n’est une mesure de quarantaine ciblée dans le Morbihan, pour lutter contre la variole dans les années 1950.
On peut citer sinon le « cordon sanitaire », dont le terme nait en France au XIXe siècle lorsqu’en 1821, Paris envoie 30 000 soldats et gendarmes pour fermer la frontière avec l’Espagne, dans les Pyrénées, afin d’empêcher la diffusion d’une épidémie de fièvre jaune. La grande vague de choléra ayant touché le continent dans les années 1830 sert de toile de fond au roman « Le Hussard sur le toit » de Giono dans une Provence ravagée par la mort et la désolation. Le premier cas fut attesté en France, le 26 mars 1832. Elle entraîne des mouvements d’hystérie collective. A Paris, la foule en délire massacre même quelques personnes accusées d’avoir empoisonné l’eau des puits. Elle fit environ 100 000 victimes, dans le pays, dont 18 402 à Paris. Le président du conseil Casimir Périer en est même mort, en quelques jours, le 16 mai 1832, l’ayant contracté après avoir visité les malades d’un hôpital. L’épidémie a remonté la vallée du Rhône jusqu’à Lyon, puis Paris avant de s’éteindre en septembre – octobre 1832. Mais aucune mesure de ce type (quarantaine, confinement) n’a été prise.
Selon l’historien Jean-Yves Le Naour, jamais une mesure de confinement d’une telle ampleur n’a été prise dans notre pays. Même lors de l’effroyable épidémie de grippe espagnole, ayant fait entre 20 et 50 millions de morts entre 1918 et 1919, occulté largement par la 1ère guerre mondiale de 1914 – 18, le pays ne s’est pas mis en quarantaine. La France avait la guerre à gérer, qui est un tout aussi mortel fléau, dixit Jean-Yves Le Naour. A Vannes, dans le Morbihan (en Bretagne), une dernière épidémie de variole a marqué les mémoires, entre décembre 1954 et mai 1955. C’est la dernière épidémie de variole recensée en France, ayant causé le décès de 16 personnes pour 74 cas. Vraisemblablement causée par un appelé rapatrié d’Indochine, en 1952, circonscrite à la région vannetaise, au début, elle entraîna le 1er janvier 1955 une mise en quarantaine du service pédiatrie et des patients à l’hôpital Chubert de Vannes. Une campagne de vaccinations collectives de 250 000 habitants de la circonscription vannetaise est entreprise, à partir du 6 janvier.
D’autres cas se déclarent en France dont un semblable à l’hôpital Michel-Lévy de Marseille, où sont recensés 45 cas dont un décès, ce qui donna lieu à 570 000 vaccinations dans la ville. 600 000 Parisiens souhaitaient se faire vacciner et le ministère de la santé souhaitait atteindre les 11 millions de Français vaccinés. A partir du moins de février, aucun nouveau cas n’est signalé et la quarantaine de l’hôpital Chubert de Vannes est levée en mars 1955. La dernière épidémie de variole en France se termine ainsi le 11 mai 1955. Pour la journaliste scientifique Laura Spinney, les mesures d’urgence adoptées en vue d’enrayer la propagation de l’épidémie de grippe espagnole en 1918 – 19 sont relativement similaires, sur certains points, à celles décidées par les pouvoirs publics à partir de mars 2020, en France, face au coronivarus. D’ailleurs, nos systèmes de santé actuels sont largement les produits de cette pandémie historique. Emmanuel Macron a ainsi déclaré, que cette crise sanitaire était la plus grave depuis un siècle (faisant implicitement référence à la grippe espagnole de 1918 – 19).
Il apparaît cependant difficile d’établir une comparaison entre une épidémie en cours et une épidémie révolue. Sachant que les statistiques relatives à la grippe espagnole restent très contestées, avec une fourchette très large, car il était très difficile de comptabiliser à l’époque. Les pertes du conflit et des maladies pulmonaires liées à l’effet de l’utilisation des gaz viennent s’y ajouter. Selon les estimations, lors de l’épidémie de 1918 – 19, il y a eu entre 25 et 50 millions de morts, le taux de létalité des cas étant estimé à hauteur de 2,5 % ! Il est estimé et établi que la grippe espagnole était 25 fois plus dangereuse qu’une grippe classique. En ce qui concerne le coronivarus, sans certitude actuelle, le taux de létalité se situerait autour de l’ordre de 1 %. Par contre, il s’agit aussi d’un nouveau pathogène au taux d’attaque très élevé. Les différences restent nombreuses. La grippe espagnole avait la spécificité de toucher plus sérieusement des malades alors dans la fleur de l’âge (entre 20 et 40 ans), ce qui l’a rendu si désastreuse.
Le coronivarus touche plutôt les personnes âgées de plus de 60 ans (la moyenne d’âge du patient en état critique étant de 80 ans), mais avec des tendances évolutives et en manquant du recul nécessaire. Sur le plan de sa diffusion, on sait que la grippe espagnole s’est déployée en trois vagues principales entre mars 1918 et juillet 1921. La première a été modérée, ressemblant à une grippe saisonnière, de mars à juillet 1918. La deuxième a été plus virulente de septembre à mi – décembre 1918, où il y a eu la plupart des décès. Elle fut suivie d’une troisième nettement moins virulente, de mi – janvier à début avril 1919 en Europe de l’ouest notamment, en Asie jusqu’en juillet 1921. La plupart des morts ont eu lieu en trois mois. Une forme de mondialisation était déjà existante à l’époque (comme depuis la plus haute antiquité), même si elle était beaucoup plus lente.
La guerre a été un des facteurs déterminants car il y avait beaucoup de déplacements, liés aux militaires démobilisés, déplacés et réfugiés, les scènes de liesse de l’Armistice, le 11 novembre 1918 accélérant la propagation et la diffusion du virus, au sein de la population. S’y ajoute le fait, que la guerre a épuisé les populations civiles, à l’arrière. Comme en Allemagne, où le blocus de Hambourg a engendré des famines de 1916 à 1918. Les pénuries sont continues et la malnutrition généralisée dans les pays belligérants (particulièrement en France, en Belgique et en Allemagne), l’infection atteignant des populations malnutries, fatiguées, etc. Ainsi, les systèmes immunitaires étaient fragilisés par les privations subies durant quatre ans. La population ignorait à peu près ce qui l’attendait. En septembre 1918, la mortalité du virus devient supérieur à la normale, les malades décédant en quelques heures d’une fièvre et d’une pneumonie foudroyante. A partir de fin 1918, cela a été effrayant.
Certains scientifiques estiment que les conditions sanitaires inhérentes au conflit ont contribué puissamment à la virulence du virus dans sa diffusion. En temps normal, une nouvelle souche de grippe voit son acerbité fortement modérée avec le temps, par adaptation rapide du système immunitaire du malade. La souche n’a de surcroît pas intérêt à tuer l’hôte qui l’héberge. C’est ainsi que les grippes saisonnières connues commencent par des grippes pandémiques, se calmant avec le temps. Mais elles emportent juste les personnes très âgées ou très affaiblies, aux systèmes immunitaires déficients. La grippe espagnole a ainsi rencontré des circonstances exceptionnelles, à savoir des hommes coincés dans des tranchées du Nord à l’Est de la France, affaiblis, manquant d’apports en vitamines, aux poumons parfois compromis par l’utilisation des gaz de combat et des populations civiles souvent vulnérables à l’arrière. Tout cela a contribué à l’exceptionnelle fougue de ce virus et à son prolongement dans la contagion. Les pays belligérants ont essayé de cacher l’épidémie pour ne pas nuire au moral des populations. Alors que l’Europe était en guerre, chaque pays belligérant cachait son nombre de victimes (civiles ou militaires, car secret d’Etat).
On ne sait toujours pas d’où la grippe espagnole est venue (de Chine, des Etats-Unis…). Le virus H1N1 mute rapidement. Il apparaît le 4 mars 1918 dans un camps militaire américain de Funston au Kansas. La maladie s’y étend, contaminant les Sammies, qui le répandent en débarquant en Europe, suite à la déclaration de guerre des Etats-Unis à l’Allemagne fin 1917 (le premier cas apparaît dans un camps militaire à Rouen). L’Espagne étant neutre pendant le conflit, il n’y avait pas de censure et la presse espagnole en a parlé la première, d’où son surnom de « grippe espagnole ». Puis les gouvernements ont été obligés d’agir. Ce qui est intéressant à observer, c’est qu’ils ont alors mis en place exactement les mêmes recommandations qu’aujourd’hui (distanciation sociale, quarantaine, isolation, masques, lavage de main…), mais sans confinement généralisé. Seuls ont été interdits après le 11 novembre, les rassemblements de plus de 1 000 personnes. Nos réactions face à une pathologie inconnue sont identiques à celles de nos aïeux. Il est rapporté également par un journaliste, les débats dans un grand journal parisien de l’époque sur l’utilité de la désinfection des espaces publics parisiens, inefficace selon un expert de l’Institut Pasteur.
La grippe espagnole est la cause de 400 000 décès en France, la plupart entre septembre et mi – décembre 1918. Elle a emporté notamment le poète Guillaume Apollinaire, le journaliste et député Pascal Ceccaldi, la dramaturge Marie Lenéru, le pionnier de l’aéronautique Léon Morane ou encore l’écrivain et metteur en scène Edmond Rostand. Dans les victimes étrangères célèbres, on peut aussi citer Rodrigues Alves (président du Brésil), Louis Botha (premier ministre de l’Union sud-africaine), John H. Collins (acteur, réalisateur et scénariste américain), François-Charles de Habsbourg-Lorraine (archiduc d’Autriche). Mais on peut mentionner encore Franz Kafka (écrivain tchèque) et Max Weber (le journaliste, économiste et sociologue allemand). Au temps de la grippe espagnole, il y a des effets de peur et de panique ponctuels, comme aujourd’hui, avec la prise d’assaut des rayons féculents des enseignes alimentaires.
Globalement, dans l’ensemble des pays belligérants, la population était épuisée et résignée après quatre ans d’un conflit meurtrier, relativisant les effets du fléau, voire y voyant « la confirmation mystique d’une apocalypse » tel cela était analysé récemment dans un article du Figaro. Les théories du complot étaient déjà présentes, soit les « fake news » de l’époque. Certains affirmaient que la grippe H1N1 était due aux miasmes s’élevant des champs de bataille de la moitié nord-est de la France. Et aux Etats-Unis, que le virus était une arme bactériologique que les Allemands avaient déposés sur les plages américaines. Les conséquences économiques de la grippe espagnole sont incalculables, d’autant qu’elles se mêlent étroitement à celles de la guerre. Elle a probablement ralenti le progrès des sociétés touchées pendant plusieurs années, sinon des décennies. Tel cela pourrait être le cas, aujourd’hui, selon certains économistes, dans certains pays en voie de développement atteints par le coronivarus, surtout par les effets économiques du confinement, si l’épidémie était amenée à durer. L’épidémie de grippe espagnole (virus H1N1) a eu parfois des conséquences inattendues, sous un autre point de vue.
Nous avons une mémoire très occidentale de cette grippe. Mais c’est dans les pays du Tiers Monde qu’elle a le plus tué. Ainsi, elle a fait 18 millions de morts rien qu’en Inde, où elle a très certainement préparé les esprits à l’indépendance, de 4 à 9,5 millions de morts en Chine, selon les estimations, 2,3 millions de morts en Europe occidentale, entre 500 000 et 675 000 morts aux Etats-Unis. Elle disparaît finalement d’elle-même, après avoir fait le tour de la planète. La grippe espagnole a eu également ce qu’on appelle un « effet moisson », selon certains scientifiques, éliminant les individus les plus faibles, laissant une population plus réduite mais plus saine. Les survivants avaient un système immunitaire plus solide. L’espérance de vie, notamment masculine, s’est allongée. Nos systèmes de santé actuels sont largement les produits de la pandémie de 1918 – 19. On s’est rendu compte de la nécessité de la mise en place d’une médecine socialisée, afin d’affronter les épidémies ne pouvant être traitées individuellement. Ce qui a stimulé les sciences embryonnaires (après les travaux antérieurs de Pasteur), telles la virologie et l’épidémiologie.
Cette pandémie de coronivarus ou Covid-19 aura des répercussions en matière gestion de la crise sanitaire et de recherche virologique. La grippe a espagnole a aussi contribué à la naissance des premières agences globales de santé (l’OMS datant de cette époque) et des outils de surveillance, tel l’exposait l’historienne Laura Spinney sur le sujet. Aujourd’hui, cette pandémie nous interroge sur les financements de nos systèmes de santé confrontés à un relatif vieillissement de la population. Dans une autre approche philosophique, ce qui est intéressant dans la solitude du confinement, c’est le destin collectif résultant d’une somme de destins individuels dans ce type de crise. En témoigne le rebond des ventes du roman La Peste d’Albert Camus, chef-d’oeuvre et premier grand succès littéraire de l’écrivain (prix Nobel 1957), couplé au soixantième anniversaire de sa mort. La ressemblance est prophétique, y étant décrit la ville d’Oran, en Algérie alors française, dans les années 1940, où s’abat une épidémie de peste dans l’insouciance du printemps.
Y est témoigné dans ce roman, toute la pugnacité des médecins et du préfet pour tenter de juguler l’épidémie par les mesures appropriées. Mais surtout ce roman témoigne avec justesse des attitudes collectives face à une crise sanitaire : les collabos refusant la reconnaissance du mal, les résistants qui s’efforcent de s’organiser en vue de lutter, les profiteurs faisant du marché noir. Le roman souligne l’aléatoire et le subjectif de la vie, s’avérant que nous sommes après tout peu de choses (parfois), face à la maladie. C’est une méditation sur le mal, l’absurdité mais aussi la solidarité humaine, au travers cette lecture pas si anxiogène qu’il n’y paraît. C’est un portrait d’une société à qui on a ôté les libertés fondamentales. On y trouve différents personnages : Bernard Rieux, médecin oranais pragmatique et luttant contre la maladie, les autorités décidant le confinement de la population oranaise, Rambert, journaliste cherchant à fuir la ville, Tarrou tenant une chronique quotidienne sur l’évolution de la maladie, Paneloux, prêtre jésuite voyant dans la peste une malédiction divine.
La Peste était aussi une allégorie du nazisme, dans le contexte de l’après-guerre. Ce qu’il en ressort est que les hommes sont plutôt bons que mauvais, du moins selon Camus. « Chacun la porte en soi, la peste, parce que personne, non, personne au monde n’en est indemne… ». Vu sous un autre point de vue, le confinement est une épreuve psychique à ne pas sous-estimer pour certains, susceptible d’engendrer : anxiété, dépression, frustration. Ce type de quarantaine ne se révèle pas être une expérience anodine, nécessitant parfois un soutien psychologique approprié. A ce titre, la médecine se fait le relai des crises d’angoisse et des insomnies ayant suivi la courbe de l’épidémie actuelle. S’y ajoute la peur pour l’entourage, le sentiment personnel de vulnérabilité face à la maladie dans une impermanence des choses, la crainte certes non réellement justifiée (mais réelle chez certains) d’une catastrophe sanitaire généralisée.
Tout cela a saisi les Français, à mesure que les autorités publiques prenaient conscience de la relative gravité de la situation. Après avoir trop attendu et pris les choses à la légère aux débuts, semble-t-il. Cette épidémie pourrait être maîtrisée à l’heure actuelle, si certaines mesures avaient été prises dès le mois de février, permettant d’éviter cette solution extrême du confinement général, si lourde de conséquences pour le quotidien des Français. Et cela alors que le président Macron s’affichait en public, au théâtre avec son épouse, le 9 mars dernier, en plein développement de l’épidémie en France, une semaine seulement avant l’annonce de la fermeture des lieux publics et du confinement. Ce-dernier est semble-t-il très mal conseillé dans son entourage, alors que nous avons des scientifiques très compétents et sa communication de crise a été désastreuse.
Les effets de coterie et de querelles entre spécialistes, l’influence néfaste des lobbies pharmaceutiques nous font entrevoir la nécessité de l’existence d’une structure indépendante en France. Composée de spécialistes reconnus, compétents et indépendants, elle aurait valeur consultative et pseudo décisionnelle en cas de crise sanitaire grave pour les autorités publiques. Emmanuel Macron vient seulement de rencontrer, hier après-midi, le professeur Raoult, savant fou pour les uns, très bon spécialiste pour les autres, pour parler notamment de son traitement à la chloroquine (qui serait efficace dans 91 % des cas d’infection), son entourage l’en ayant même dissuadé jusqu’à présent, quoi qu’il en soit. Selon l’OMS, ce confinement pèse sur la santé mentale des Français et ces mesures peuvent avoir des conséquences comportementales pour certains. Il constitue une expérience sans équivalent dans l’histoire et met notre moral à rude épreuve.
L’OMS tente d’alerter sur les conséquences des mesures sur l’isolement physique. Elle affecte nos passions (ce que nous aimons faire), notre identité et notre comportement (ce que nous voulons être), notre relationnel (avec qui nous voulons être). Sans évoquer les conséquences économiques (situation de faillite…), alors que l’économie est ralentie de moitié en France. D’autant plus que personne n’en connaît encore la durée. Cette situation laissera des traces, dans le pyschisme des Français, étant encore trop tôt pour donner une idée du stress associé à cette situation de confinement drastique. La peur de la contamination, l’impact psychologique lié à l’isolement, les risques suicidaires, les addictions, la solitude, le stress, l’anxiété, sont autant de conséquences… Par ailleurs, quoi qu’il en soit de la durée de ce confinement, dans l’hexagone, la mauvaise gestion de la crise par les pouvoirs publics constituera un précédent historique, en la matière. Cela ne restera pas sans conséquences pour le pouvoir macronien et aussi sur l’organisation de notre système de santé, en général.
J. D.