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"les fils du vent". le chamanisme des indiens tukano et desana(4)

Publié le 12 avril 2020 par Regardeloigne

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CHAMAN
« Comme d’autres notions empruntées à des contextes culturels spécifiques, tel que tabou ou mana, le terme de chamane est devenu une catégorie mal définie et revêt des sens différents selon les lieux, les époques et l’histoire de la discipline anthropologique. À la fois medium, magicien, sorcier, guérisseur et devin, le chamane est, au minimum, présenté comme un spécialiste des relations entre humains et non-humains (esprits de la nature ou des animaux, défunts, divinités). Il est supposé avoir la capacité d’établir un contact direct avec ces entités invisibles à travers son propre corps, soit qu’il les incarne ou les incorpore, soit qu’il « voyage » dans leurs mondes.. En outre, une particularité des pratiques chamaniques est qu’elles se sont accommodées de très nombreuses situations historiques différentes, s’organisant le plus souvent à la marge des grandes religions.
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Elles présentent ainsi une réalité ethnographique fragmentée dans laquelle plusieurs systèmes de pensée coexistent. Enfin, l’engouement occidental pour le chamanisme, la mouvance New Age et le tourisme chamanique ont trop souvent sacrifié à cette unique notion des réalités ethnographiques complexes et des configurations locales incluant divers spécialistes.

L’expression « chamanisme » est forgée sur le terme « chamane » par lequel les Toungouses de Sibérie désignent leur spécialiste religieux. La racine sama- dans les langues toungouses (famille linguistique altaïque) désigne le fait de « remuer l’arrière-train, les pattes postérieures » pour un animal en rut, et par extension « danser et chanter lors des rituels », « chamaniser » (Hamayon 2015 : 96). D’autres termes dans les langues mongoles et sibériennes désignent l’action de chamaniser, mais il semble que la fortune du terme toungouse vienne de ce que cette population a fourni en guides locaux les premières expéditions russes en Sibérie, à visée militaire ou commerciale au début du XVIIe siècle. Chasseurs et éleveurs de rennes, les Toungouses vivaient en petits groupes dispersés sur un vaste territoire qu’ils avaient la réputation de connaître particulièrement bien. Dès la conquête russe de l’Alaska au XXVIIIe siècle, le terme de chamane est appliqué aux spécialistes religieux des populations autochtones d’Amérique, mais c’est au tournant du XXe siècle que la notion de chamanisme est explicitement envisagée de façon comparative entre les deux continents. "
ANNE DE SALLES. CHAMANES SIBERIENS ET AMAZONIENS : MEME COMBAT ? TERRAIN

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Selon l’auteur Les Indiens d’Amérique du Sud partagent avec les Sibériens le motif de la perte d’âme qu’il faut réintégrer au patient et celui d’agents pathogènes matérialisés qu’il faut extraire de son corps.
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Mais ils conçoivent aussi les maladies comme le signe d’une dévoration intérieure du patient par des esprits animaux, tel que le jaguar ou l’anaconda, ou par de petits projectiles animés mais invisibles envoyés par un chamane commandité par un ennemi. La thérapie consiste alors pour le chamane guérisseur à interrompre l’activité de ces agents pathogènes soit en négociant une compensation (par exemple le corps d’un ennemi), soit en les trompant par la ruse (le corps du patient est couvert de certaines peintures qui feront croire aux esprits qu’ils ont affaire à l’un des leurs), soit enfin en retournant leurs attaques. Avec ou sans maître, le chamane est supposé apprendre à devenir un familier de ces non-humains dont il parvient à voir l’« âme ». Il faut comprendre par là qu’il est capable de les percevoir comme s’il était un de leurs congénères.

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« Ce qui caractérise les chamanes est en fait un pouvoir sensoriel accru au niveau de tous les sens jusqu’à la perception de l'invisible. C'est l'anthropologue suisse Alfred Metraux qui le premier, en 1944, utilisa le terme « chamane » pour désigner les PAJES, ces « agents du surnaturel dans les sociétés indigènes de l'Amérique du Sud tropicale ». L'intensité des pratiques chamaniques fait du « pajé » un être tantôt privilégié et tantôt marginalisé au sein de son groupe. Pour accéder aux pouvoirs surnaturels, il doit passer par une longue et rude initiation avec une période de continence et divers interdits, notamment alimentaires. Par le truchement de psychotropes, de jus de tabac ou d'infusion d'écorces, il entre en rapport avec le monde des esprits, son âme quitte son corps pour permettre aux esprits de la forêt de l'aider dans son rôle thérapeutique. Mais, souvent, nous dit Metraux : « tout homme-médecine se double d'un sorcier capable de tuer à distance. Cette ambivalence dans la personnalité du chamane qui, pour aider les hommes, doit être capable de leur nuire, est une des caractéristiques les plus frappantes du chamanisme sud-américain » La capacité du chamane est d'aller et venir dans des mondes parallèles concomitants, aérien, céleste, terrestre, subaquatique et souterrain , d'entretenir une capacité supérieure de discernement visuel et auditif; de maîtriser la pratique de la transe et la relation avec les esprits qui peuplent la forêt pour être capable de tuer le gibier, de guérir les maladies ou d'apaiser les problèmes. »
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omme dans de nombreuses tribus amazoniennes, l'institution du chamanisme est extrêmement développée chez les Desana. Le chaman est sans doute le spécialiste le plus important de toute la société. Il est essentiellement l'intermédiaire entre la société et les forces surnaturelles. Sa fonction principale consiste à procurer la fertilité naturelle, nécessaire à la survie humaine. Toutes les autres fonctions, aussi bien la guérison des maladies, que la protection de la maloca ou les invocations adressées aux animaux, lui sont subordonnées.
: En desana, LE PAYE s'appelle ye'e, mot qui signifie aussi « jaguar », car selon les croyances, le chaman peut se transformer en cet animal. Toutefois le terme provient de ye'eru, « pénis », et le payé est donc un être phallique qui influence directement, par son pouvoir le processus de procréation bio-cosmique. Ses attributs caractéristiques présentent ce caractère phallique, notamment une lance à sonnailles qui est son véritable bâton de commandement et sa « voix ». Le cylindre de quartz jaune ou blanc que tout payé porte suspendu au cou, serait le « pénis du Soleil » le cristal ou toute autre pierre de quartzite représentant le sperme.
Selon les mythes, Le métier et le pouvoir du chaman desana dériveraient directement du Soleil, qui fut le premier payé. Le Soleil conservait dans son nombril la poudre narcotique de Vixô mais, dit le mythe, « les femmes lui grattèrent le nombril et donnèrent la poudre à leurs parents ». Dès lors le vixà reste le moyen courant par lequel ils établissent le contact avec toutes les forces surnaturelles représentantes du l Soleil

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"Le payé est un homme d'action qui se trouve continuellement en contact avec les événements de la vie quotidienne de son groupe : il essaie d'être son protecteur et son guide. C'est l'interprète de la société, son porte-parole devant les forces surnaturelles. Dans cet équilibre délicat entre production et consommation, entre ce que la nature donne et ce que la culture demande, le payé joue constamment le rôle de médiateur. Parfois il se réunit avec ses pairs pour donner des consultations et prendre des décisions mais d'ordinaire, il agit seul, en partie peut-être par méfiance, parce qu'il sait que les autres payé essaient de favoriser leurs groupes respectifs et de leur procurer des avantages. Cette position marginale et solitaire en quelque sorte, lui confère un air mystérieux et même dangereux, mais il n'y a pas de doute que, sauf dans certains cas exceptionnels, le payé agit toujours en faveur de la communauté, suivant son propre code moral. Que l'attrait du pouvoir le corrompe à l'occasion et l'incite à agir contre les intérêts communs et pour ses fins personnelles, voilà qui serait logique. Toutefois l'informateur affirme que ces cas ne sont pas fréquents et que le payé est considéré par son groupe comme un être bienfaisant et utile."
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Un payé réunit en lui plusieurs concepts de « pouvoir ».
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Parmi ceux-ci il y a le tulâri, soit la force physique, la capacité intellectuelle et certains dons surnaturels. Ce mot peut aussi se traduire par « injecter », dans le sens de transmettre quelque chose au moyen d'un « aiguillon ». ce terme s'applique alors à celui « posséderait un regard pénétrant » expression à plusieurs sens .
D'une Part, elle concerne la vision, signifiant « voir ce qui est caché aux autres » ; d'autre part, elle comporte une connotation sexuelle, car le payé, incarne un concept phallique de procréation. Le pouvoir de « pénétrer » correspond enfin à l'état d'extase et aux vols magiques, procédés qui permettent au payé de sortir de la biosphère et de « pénétrer » dans un autre domaine existentiel.

L'âme d'un payé est ainsi comparée au feu, à une flamme qui sortirait du corps et dont la lumière percerait l'obscurité, rendant les choses visibles ; selon le degré du pouvoir du payé, cette lumière serait plus ou moins forte. D'un payé peu efficace on dit que « son âme ne voit pas, ne brûle pas, n'éclaire pas ». La lumière de l'âme d'un payé, ainsi que celle de la foudre, sont dans la pensée desana de couleur jaune clair, car elles représentent le pouvoir fertilisant du Soleil. Le payé est donc un personnage solaire, un représentant du créateur, un être qui dégage une source lumineuse et thermique intense. Il manifeste une grande énergie de fertilité bio-cosmique La foudre se produirait lorsque le chaman jette le quartz qu’il porte au cou. D’ailleurs lorsque la foudre tombe, le payé se rend immédiatement sur les lieux pour y ramasser les morceaux de quartz qui sont tombés.

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. « Le hochet que le payé agite dans les cérémonies rituelles s’appelle nyaxsarû, mot qui dérive de nyaxsd, « termite qui pique ». Par cette dénomination on fait allusion à la vitesse avec laquelle ces insectes se dispersent lorsqu’on touche à leur termitière, vitesse comparable à celle avec laquelle se propage le son du hochet. Cet instrument est le prolongement du bras du payé et les graines sèches qui produisent le crépitement, indiquent le mouvement des échardes que le payé garde enfermées dans son bras. En agitant le hochet, il secoue ces échardes qui peuvent, à un moment donné, être projetées sur la victime. Il est vrai que ces morceaux de bois se trouvent toujours dans l’avant-bras gauche, car autrement n’importe quel coup que le payé donnerait de la main droite, même au cours d’une dispute banale, pourrait être fatal. Il faut rappeler que le côté gauche est toujours associé à la mort et aux forces du mal. » G.REICHEL-DOLMATOF DESANA

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Comment devient-on-chaman ? Le métier de payé n'est pas héréditaire mais dépend du type de personnalité, qui s'est déjà manifestée dans l'enfance. . il faut avoir démontré dès l'enfance un intérêt profond pour les traditions religieuses de la société
.En effet, les hommes adultes et les vieillards qui cohabitent avec le futur chaman dans la maloca, ont observé et évalué en détail les traits de son caractère et les ont encouragé. Vers l'âge de vingt-cinq ans, commence l'apprentissage formel. D'ordinaire l'apprenti va dans une autre tribu pour s'instruire auprès d'un payé réputé et lui remet, pour ce service, une dizaine de pirogues ou leur équivalent en d'autres objets. L'enseignement dure six mois environ pendant lesquels le maître transmet à son élève les invocations, les mythes concernant la création de l'Univers et les généalogies des clans.
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De même, après trois mois ou davantage, il pratique avec le néophyte l'usage des hallucinogènes et ensemble ils prisent la poudre de Vixô. En se servant d'un long tube, le payé souffle la poudre narcotique dans les narines de son élève, en lui communiquant ainsi non seulement la substance mais encore, et grâce au souffle, le pouvoir d'avoir des visions. En même temps le payé lui apprend à ne consommer que certains aliments et à en éviter d'autres, comme les poissons grillés, la viande de singe et en général.

"Pour devenir payé, et avoir, en outre, une bonne connaissance des mythes, des généalogies et des invocations. Il faut « s'être assis sur son banc » pour y réfléchir, pratiquer l'abstinence sexuelle mais être aussi un bon buveur de chicha, un bon danseur et un bon chanteur. Il faut enfin savoir donner des conseils. Un payé ne doit pas courir les filles car son énergie sexuelle doit être canalisée vers d'autres buts; il doit être un homme rangé. Sa qualité la plus précieuse est la faculté d'entrer en transes et d'avoir des hallucinations très précises à l'aide d'une préparation quelconque. Encore faut-il qu'il sache les interpréter. De même, dans l'apprentissage des mythes et des traditions, il ne s'agit pas tellement d'avoir une bonne mémoire, que de savoir interpréter le symbolisme latent, c'est-à-dire, « entendre l'écho » des faits évoqués dans le récit". G.REICHEL-DOLMATOF DESANA


. Au cours de son apprentissage, il est encore initié aux danses diverses et aux rites concernant les principaux événements du cycle de vie. Avant le lever du soleil, moment qui a une signification magique spéciale, le payé et son élève, peints tous deux en rouge de la tête aux pieds, chantent ainsi et invoquent le Soleil. Au final le payé pose sur la partie intérieure de l'avant-bras gauche de l'apprenti, une série de petites échardes de palmier et les presse avec force avec son cylindre de quartz, les introduisant de façon magique dans sa chair. En même temps il lui apprend à se servir de ces échardes, à les « décocher » moyennant un mouvement du bras en direction de sa victime, pour lui envoyer des maladies.

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L'apprentissage atteindra son point culminant dans le « port » (l’endroit des embarcations sur le fleuve). Après avoir ingurgité une dose de narcotique, le néophyte plonge dans la rivière au fond de laquelle il trouvera un objet qui désormais contiendra son pouvoir et indiquera publiquement son statut de payé. Cet objet peut-être une lance à sonnailles, une flèche ou un bâton taillé ou poli, qui a été caché sous l'eau par son maître. L'acte de plonger dans la rivière a une double signification : celle d'un acte sexuel et celle d'une nouvelle naissance, lorsque l'élève émerge à la surface, en possession d'un symbole phallique dont il connaît le sens.

Les chamanes utilisent des psychotropes, substances hallucinogènes, pour atteindre un état de transe.

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La transe est un état modifié de conscience et un état physique modifié qui permet au sujet de « quitter son corps », de se déplacer dans des mondes parallèles, d'y prendre des apparences différentes, de dialoguer avec d'autres espèces, de voir et d'entendre, de sentir et de ressentir en somme ce qui est inaccessible au commun des mortels. Selon les cultures, la pratique de la transe chamanique peut recouvrir des formes très différentes, individuelle ou collective, de jour ou de nuit, accompagnée ou pas de chants ou de musique. Selon les cultures encore, la transe donnera avant tout des visions, mais parfois des hallucinations auditives ou d'autres sensations. Il existe une certaine variété de psychotropes, à commencer par le tabac, « plante maîtresse » de l'Amazonie dont les espèces locales utilisées présentent un contenu de nicotine élevé, sans comparaison avec celui du tabac fumé aujourd'hui en Europe. Il provoque des hallucinations s'il est fumé à forte dose, pur ou mélangé avec d'autres herbes, ou s'il est bu en décoction, à jeun pour plus d'effet, ou absorbé par énéma.en possession d'un symbole phallique dont il connaît le sens.

Pour établir le contact avec les êtres surnaturels, le payé se sert de la poudre de vixà. Ce mot provient de vixiri, « sentir », « aspirer », car on prise la poudre au moyen d'un petit os tubulaire. En prenant du Vixô, le payé est en proie à des hallucinations qui le transportent jusqu'à la zone « bleue », où il rencontre Vixo-maxsë. « Tous les contacts surnaturels du payé s'effectuent à travers Vixo-maxsë, divinité qui erre le long de la Voie Lactée en état de transes », Vixo-maxsë serait un être amoral et le payé peut solliciter de lui le bien ou le mal; il peut tuer des gens en leur envoyant une maladie ou bien il peut les guérir de leurs souffrances.

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.. La faculté d'avoir des visions à l'aide du vixà et d'établir le contact, va déterminer la capacité potentielle d'un chaman. Le payé doit voir la Voie Lactée comme un chemin, les collines, comme des malocas, les animaux, comme des hommes. "Ceux qui ne réagissent pas ainsi et qui ne voient que des nuages ou des pierres, deviennent la risée des oiseaux, s'arrachent le cache-sexe pendant leurs transes et restent nus, sans en ressentir de honte, ou bien encore, urinent et défèquent en public". Mais les vrais payé, maîtrisent leurs impulsions ; Ils sont censés voyager  jusqu'à la Voie Lactée ou se rendret dans les « maisons des collines », où ils discutent et « négocient » avec les habitants surnaturels de ces endroits, pour revenir ensuite regagner leur corps, qui est resté prostré dans son hamac, à l'intérieur de la maloca. Ce  voyage » est généralement induite par l'ingestion d'une drogue hallucinogène mais on dit qu'un payé expérimenté peut tomber en transes même sans le recours d'une drogue. Le chaman subirait des altérations biologiques favorisées par un isolement social prolongé, par la continence sexuelle, les jeûnes ou une diète alimentaire spécifique. Quoiqu’il en soit, les hallucinogènes ont un role fondamental dans la transmission du savoir mythique.

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  .Les périodes de prise d’hallucinogènes sont très dangereuses pour le néophyte. D’où la nécessité, pour lui, de se soumettre à diverses restrictions : isolement, abstinence sexuelle, éloignement de toute source de chaleur, jeune partiel. L'interdit au cours de cette période porte surtout sur la consommation d'aliments froids, fumés ou). La folie est souvent expliquée dans le mythe et dans la vie courante comme la sanction du non-respect des contraintes alimentaires qui réglementent la prise de plantes

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"Les propositions anthropologiques récentes sur l’intégration entre processus biologiques et sociaux ainsi que sur l’anthropologie de la vie ouvrent en ce sens une voie féconde pour aborder la manière dont les images, en s’inscrivant dans les corps, en affectent leurs processus constitutifs. Capable d’agir et de co-déterminer des processus biologiques, ainsi que les relations sociales dans lesquelles ils sont enchevêtrés, l’image visionnaire se situe au cœur de la dynamique de perpétuation d’un collectif. L’opposition classique entre imagination reproductrice – qui se limiterait à « transmettre » certains contenus – et imagination créatrice apparaît alors sous un jour nouveau, cette dernière pouvant être entendue non seulement comme la faculté de créer du sens à partir du façonnage de l’image, mais aussi de transformer et de perpétuer la vie des collectifs et de ses membres. Foyer générateur de l’imaginaire partagé d’un groupe social, l’image visionnaire participe ainsi à la recréation et la redéfinition continue de ses propres conditions d’existence. Une redéfinition mouvante, qui subsume et transforme l’histoire, en faisant ré-émerger ses traumatismes et conflits ouverts, ou bien qui incarnera les projections vers l’avenir, à l’instar d’un banc d’épreuve ou d’une source d’inspiration d’expériences scientifiques et parascientifiques".
David Dupuis et Maddalena Canna .Éditions de l'Herne | « Cahiers d'anthropologie sociale »


Selon la pensée mythique desana, le pouvoir de métamorphose du payé serait un des aspects les plus importants de sa fonction. le payé pourrait se déplacer géographiquement et se rendre, par exemple, dans une colline .Il pourrait aussi se transformer en jaguar ou en anaconda, le jaguar incarnant un concept phallique d'énergie active bio-spermique,.

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La transformation en jaguar comporterait deux buts : ou bien le payé subit cette métamorphose pour veiller sur une maloca ou sur un chasseur solitaire susceptible d'être en danger —• et alors le jaguar demeure invisible aux humains et ne serait perçu que par les êtres surnaturels —, ou bien il se changerait réellement en jaguar et attaquerait ainsi son ennemi. Il assumerait aussi une attitude semblable à cette dernière lorsqu'il se transforme en anaconda. Le payé prendrait alors la forme d'un grand serpent et, flottant sur l'eau, il essaierait de dévorer sa victime pendant qu'elle se baigne

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Le but principal que le payé poursuit en prenant du vixà est toujours de chercher le contact avec les entités intermédiaires comme se rendre dans les « maisons des collines » -tout lieu comme un rocher qui rompt le paysage de la foret, lieux réputés dangereux et interdits aux enfants-. Pour les chamans par contre, ce sont des lieux indiqués pour entrer en contact avec Wai-maxsë (Le Maitre Des Animaux) ou autres entités , et c'est là qu'ils se réunissent, dans leurs « visions », et qu'ils conviennent des détails relatifs à la chasse et à la pêche. Aucun chaman ne peut communiquer avec une divinité surnaturelle sans que ses collègues ne s'en aperçoivent immédiatement. Il n'y a pas de secrets dans le circuit cosmique et ce contrôle refoule les mauvaises intentions du chaman qui demanderait arbitrairement le malheur ou la mort d'autrui.

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Passer un véritable marché avec « Le Maitre des Animaux » concernant les proies possibles pour la chasse serait la fonction essentielle du chaman, car si l’entité ne consent pas à en donner un certain nombre , la famine serait inév-table. Tout a un prix cependant et selon ce qui a été convenu, si le chaman demande un nombre limité d'animaux ou un certain délai pour la chasse, il doit s'engager pour sa part à provoquer la mort d'un nombre équivalent de personnes dont les âmes changés en animaux, entreront dans la demeure de Wai-maxsë pour remplacer ceux que les chasseurs ont tués, rétablissant ainsi l’équilibre du flux d’énergie cosmique. Le manquement, de la part d'un payé, à la parole donnée à Wai-maxsë, aurait des conséquences funestes, car celui-ci peut provoquer de graves maladies chez les hommes, ou des accidents de chasse . Dans ce cas, Wai-maxsë n'interviendrait  pas directement mais envoie ses intermédiaires, les anacondas, les serpents venimeux et le jaguar.

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Ces négociations, si essentielles pour la vie de la communauté, sont une source de grande anxiété, car on redoute que le payé n'en profite pour assouvir des vengeances personnelles et causer la mort de ses ennemis. C'est pourquoi le payé ne négocie pas, d'ordinaire, des âmes de sa propre tribu ni, à plus forte raison, de son propre clan. Ses tractations concernent surtout les tribus voisines, éventuellement ennemies. Une épidémie qui, en 1965, décima les Makû du Vaupés fut directement attribuée aux négociations faites par un payé Kuripâko, en vue d'obtenir de la nourriture pour sa tribu.

On pense pour ces raison que Les payé se donnent rendez- vous dans les collines, où ils se retrouvent dans leurs transes pour discuter des besoins de chacun. Comme il s'agit aussi d'obtenir des avantages particuliers, on dit qu'il en résulte parfois des disputes violentes entre plusieurs payé car chacun essaie de favoriser sa tribu Entre eux ils se mettraient d'accord sur l'identité des personnes qui doivent mourir et sur leur nombre, en échange d'une saison de chasse prospère... Enfermés à l'intérieur de la maloca dans une petite chambre formée de nattes, les payé discutent âprement et parfois, pour punir celui d'entre eux qui s'est montré rétif, ils sortent tous de la colline, le laissant seul enfermé : seuls des grands pouvoirs pourraient le sauver.
Une autre raison importante du « voyage » en transe dans les maisons des collines serait qu’il pourrait copuler dans ces lieux avec les femelles des animaux, pour procréer de nouvelles proies pour les chasseurs. Les visions erotiques qu'il a pendant ses hallucinations sont toujours interprétées dans ce sens.

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"La clairvoyance d'un payé apparaît aussi bien dans ses rêves que dans son état conscient. Quand il rêve d'une « personne rouge », il sait que Wai-maxsë lui annonce, avec plusieurs jours d'avance, l'imminente arrivée de nouveaux visiteurs dans la maloca où s'effectuent les transactions, et que leurs âmes sont en vente en échange d'animaux. Le payé peut alors prédire avec exactitude à quel clan ils appartiennent, car il se vante d'identifier les hommes par l'odeur des plantes aromatiques qu'ils portent à leur ceinture. Wai-maxsë apparaît aussi sous la forme d'un lézard devant la porte de la maloca, ou sous l'apparence d'un morceau de coton, et ces signes annoncent encore l'arrivée imminente de visiteurs. Connaissant le symbolisme phallique de Wai-maxsë, « la personne rouge », celui de la porte de la maloca et l'aspect séminal du coton, il paraît évident qu'il s'agit d'une projection érotique où la » visite » représente l'acte sexuel". G.REICHEL-DOLMATOF DESANA

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A la mort d'un payé, on enterre son cadavre au centre de la maloca et on abandonne la maison. Son âme va à Axpikon-did, (lieu paradisiaque)mais s'il a été un méchant payé, elle gagne une colline ou un rapide. Là, le payé poursuivra son existence aux côtés de Wai-maxsë, sans adopter pour autant une forme animale. Beaucoup de ces collines sont particulièrement redoutées parce que des anciens payé y habitent et parce qu'il existe des traditions relatives à leur comportement.

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IL EXISTE UN AUTRE TYPE DE CHAMANISME A COTE DU PAYE : LE KUMU (OU KUBU)
Chez les Desana il existe des individus qui exercent les fonctions de prêtre, différentes des activités chamaniques ci-dessus. Ces prêtres sont connus sous le nom de kumû et occupent une position très prestigieuse dans la société. Au cours des deux ou trois dernières générations, approximativement depuis l'arrivée des missionnaires qui eut lieu il y a une cinquantaine d'années, l'institution du kumû a perdu progressivement son ancienne influence, sans disparaître pour autant, car il y a encore des hommes qui ont les attributs de prêtre et le haut statut qui en découle


Le nom de kumû est lié à celui de gumû, qui désigne la grande poutre horizontale longitudinale qui consolide la charpente de la maloca. Il s'identifie à cette qui unit et assure la stabilité, car son métier consiste à maintenir l'union et l'équilibre par la transmission des traditions et du contact avec le Soleil. En langue Desana, le mot gumû signifie « renfort », mais  en Tukano, kumû c'est le banc; entre ces deux concepts il y a une relation significative, car aussi bien la poutre centrale que le banc cérémoniel sur lequel le kumû s'assoit, expriment la stabilité et la protection.

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Selon la tradition, le Père Soleil instaura la charge de kumû, afin de perpétuer les enseignements moraux
. . En effet le kumû ne s'occupe pas des maladies organiques communes et ne se livre pas à des agressions magiques.

D'ordinaire le kumû n'habite pas la maloca de son clan mais occupe une maison isolée avec sa famille nucléaire. C'est là que les gens viennent lui rendre visite. Toutefois il participe aussi aux cérémonies collectives qui se célèbrent dans les malocas des différents clans des alentours, en tant que personnage central et hautement révéré. Dans ces occasions le kumû est revêtu d'une courte jupe d'écorce dont le bord est orné de petites plumes. Il est coiffé d'une couronne qui se différencie des autres coiffures de danse par ses plumes, courtes et blanches, se dressant horizontalement à partir d'une base en osier tressé. Bien qu'il intervienne dans certains rites du cycle de vie, la fonction publique principale du kumû consiste à prononcer les incantations, les « chants à Dieu », à l'occasion des grandes réunions où l'on distribue des présents de nourriture. Au cours de ces cérémonies qui durent deux ou trois jours, on apporte de grandes quantités de poissons que le kumû reçoit et conserve chez lui. Après avoir prononcé des invocations adressées au Soleil pour lui offrir des poissons, il les distribue parmi l'assistance-

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"A un plus haut degré que le payé, le kumû est un personnage lumineux qui recèle un éclat intérieur, une flamme brillante, qui éclaire et découvre les pensées intimes de ses interlocuteurs. Son pouvoir et son savoir sont toujours comparés à une lumière intense, invisible mais perceptible à travers ses effets. La manifestation de cette énergie lumineuse est « le regard pénétrant » qu'on lui attribue, sa capacité de sonder en profondeur l'âme humaine et de connaître ainsi les motivations les plus intimes. De temps à autre le kumû convoque quelqu'un qui ne s'est pas conduit selon les normes traditionnelles; il arrive aussi qu'on vienne le trouver spontanément pour discuter d'un problème personnel. Le dialogue qui s'instaure dans de telles situations ressemble alors à une confession. Le terme de penyôri dérivé de péri, « entendre » et de nyori, mot qui désigne « l'effet du regard pénétrant » illustre la nature de ce rapport entre les deux individus. Nyôri est donc l'impact causé par les paroles du kumû, l'éblouissement soudain qui mène à la compréhension. Pour mieux expliquer la notion de nyori, l'informateur énumère quatre sensations qui, selon lui, se ressemblent : la brusque frayeur consécutive à la décharge de la foudre, tombant près de soi; la décharge électrique d'un poisson; la sensation que l'on ressent lorsqu'on se cogne le coude contre un objet dur; le sentiment de culpabilité que l'on éprouve quand on est découvert dans une action blâmable". G.REICHEL-DOLMATOF DESANA

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Observant à plusieurs reprises des plusieurs reprises des séances de cure chamanique, l’anthropologue Dominique BUCHILLET constate que la cure réalisée par le kumu divergeait ainsi  des cures chamaniques classiques - du moins telles qu'elles apparaissent au travers des descriptions ethnologiques du chamanisme   sud-américain - par l'absence de théâtralité, de la dimension dramatique qui semble essentielle à l’efficacité thérapeutique de la cure.


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Or, la cure réalisée par le kumû est silencieuse sans nécessité aucune d'une audience. Le patient peut etre, ou non, présent à la séance, il n'est pas nécessaire qu'il le soit, mais il doit rester néanmoins portée de voix du kumû. C'est une séance privée, plus exactement qu'il y ait, ou non, des spectateurs importe peu pour la réussite de la cure, est peu signifiant. Le kumû ne se donne pas en spectacle, ne donne rien à voir , ne parle pas, ne mime pas les esprits, n'exprime pas dans son corps le combat qu'il mène avec eux, avec les agents du mal... Il entre très peu en relation avec son patient, n'utilise aucune des techniques de manipulation de l'objet ou de l'essence de la maladie si souvent attachées h la méthodologie thérapeutique chamanique : succion, massages, étirements du corps... La cure n'implique donc pas de rituels et se résume dans la récitation muette d'incantations sur un objet intermédiaire et non sur la partie du corps malade,.
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Les incantations (bayi) - ne sont pas récitées pour établir une relation de communication avec les esprits ; elles ne sont pas adressées un ancêtre ou un esprit dont on attend connaissance et soutien, et c'est sans doute ce qui différencie les kumû des paye . Les incantations ne sont ni des prières, ni des invocations, « leur essence est ailleurs, elles sont fondamentalement pragmatiques ». Si les incantations sont douées d'un effet matériel, c'est parce qu'elles ont été créées, à l’origine, par des êtres détenteurs de pouvoirs. Mais leur efficacité positive - thérapeutique - dépend étroitement de certains facteurs : le respect du texte originel transmis des Anciens, que les incantations soient mises en pratique par des personnes qui détiennent un droit héréditaire le faire et qui soient reconnues socialement pour le faire. Dans la cure, le kumû agit essentiellement comme réparateur de l'ordre du monde troublé par l'individu.Toutes les maladies, qu'elles soient attribuées la sorcellerie, aux animaux ou aux esprits, impliquent en effet  toujours l'idée d'une transgression, d'une impropriété commise par l'individu malade à I ‘égard des normes de la société, de l'ordre du monde.

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« En d'autres termes, la préoccupation majeure du KUMU ne vise pas tant la suppression du symptôme, de la maladie, que la restauration de l'ordre troublé par le malade. La cure est donc une réaffirmation de l'ordre cosmique établi par les ancêtres et la pratique incantatoire du kumû vise donc a préserver la forme de la société. Enfin, et un niveau personnel, le chaman régénère symboliquement le malade en le remettant en contact avec l'origine de la vie . En un sens, la cure symbolise aussi la renaissance de l'individu » MALADIES ET MEMOIRES DES ORIGINES CHEZ LES DESANA DU VAPES .DOMINIQUE BUCHILLET THESE DE DOCTORAT

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