Cette semaine, Arvind Krishna prenait officiellement les rênes d'IBM après 8 ans de règne de Ginni Rometty qui ont vu le géant historique de l'informatique vaciller sous les coups de la révolution « digitale ». Saura-t-il se relever ou continuera-t-il à décliner, entraînant dans sa chute les grands groupes qui en font un pilier de leur stratégie ?
L'héritage confié au nouveau PDG s'avère bien lourd, après une séquence de 22 trimestres de baisse continue du chiffre d'affaires et les difficultés persistantes à faire décoller les lignes d'activité émergentes considérées comme stratégiques pour l'avenir de l'entreprise – le cloud, l'intelligence artificielle et la blockchain –, le léger redressement observé ces derniers mois semblant toujours attribuable aux anciens produits, bien que ceux-ci soient fréquemment maquillés sous des étiquettes plus modernes.
Certes, IBM a connu par le passé – pas si lointain, c'était au début des années 90 – une autre situation désastreuse et s'en est sorti brillamment. Aujourd'hui, tout le monde espère que la magie de l'époque pourra être reproduite et, dans une certaine mesure, ce sont des recettes similaires qui sont appliquées dans ce but. Pourtant rien ne prouve que le sauvetage est encore possible et, en attendant le verdict, les grands clients de la marque sont comme les passagers du Titanic venant de croiser la route de l'iceberg fatal.
Ce sont, aux côtés de nombreuses administrations publiques, des banques et des compagnies d'assurance parmi les plus importantes au monde. Elles ont plus ou moins découvert l'informatique avec Big Blue et elles lui restent indéfectiblement attachées 50 ou 60 ans plus tard, comme les passagers d'un vaisseau au milieu de l'océan. Quelque-unes, percevant l'imminence du danger, se sont réfugiées dans les canaux de sauvetage mais la plupart se laissent rassurer par la réputation d'insubmersibilité de leur navire…
Regardant avec dédain leurs concurrentes qui misent sur l'avance technologique des Google, Amazon et autres fournisseurs de moindre ampleur, celles-là veulent croire que les offres de leur partenaire favori leur permettront de rester à la pointe, tout en maintenant les habitudes d'une relation stable et routinière. Elles devraient pourtant ouvrir les yeux et réaliser que, dans les domaines critiques (cloud, science des données et intelligence artificielle, notamment), IBM n'est qu'un suiveur, et pas des plus agiles.
En effet, en dépit de sa position de numéro 1 des dépôts de brevets (incontestée depuis 24 ans), l'entreprise peine à innover et les solutions qu'elle propose apparaissent de plus en plus en retrait des leaders. L'informatique en nuage, au cœur des ambitions d'Arvind Krishna, en procure un exemple presque caricatural : après moult hésitations et revirements, ses solutions affichent un retard considérable par rapport à l'état de l'art. Le constat est le même avec Watson, qui malgré ses débuts tonitruants, tend à devenir une marque ombrelle abritant de vieux produits, à la traîne du marché.
Pour les passagers de ce Titanic, qui refusent d'imaginer que leur embarcation est (peut-être) en train de sombrer, le risque est de se laisser entraîner vers les abysses. Car, en s'accrochant à une illusion de progrès dans la sécurité, ils s'enfoncent doucement dans le statu quo, se laissant irrémédiablement dépasser – en efficacité, en réactivité, en flexibilité… – par ceux qui ont compris que l'innovation était désormais ailleurs et qu'il leur était indispensable de changer de stratégie afin de rester dans la course.