En espérant que ce ne soit pas le début d'une nouvelle série impromptue, que j'intitulerais « débâcle en temps de crise », il faut pourtant relever que, aux côtés d'innombrables innovations, la période exceptionnellement difficile dans laquelle nous nous trouvons agit également comme un révélateur de dangereuses insuffisances.
Cette histoire commence avec un programme d'assistance massif mis en place par l'administration américaine. Le « PPP » prend la forme d'une garantie de près de 350 milliards de dollars de prêts aux petites entreprises afin de permettre à ces dernières de continuer à verser les salaires de leurs employés (et éviter de les licencier) tandis que l'économie est presque à l'arrêt. Fortes de ce soutien, il revenait naturellement aux banques d'organiser la distribution des crédits. Et là commencent les ennuis.
Très rapidement, il est apparu que quelques établissements n'étaient pas à la hauteur de l'enjeu. Wells Fargo, en particulier, subissait les critiques en raison de son manque de réactivité : tout en indiquant qu'elle n'accepterait que les dossiers en ligne, la plate-forme ad hoc n'existait toujours pas, plus d'une semaine plus tard. Deuxième acte, la banque affirmait ensuite ne pas pouvoir honorer toutes les demandes en raison des restrictions qu'elle subit dans le cadre des sanctions infligées à la suite du scandale de 2017.
Conclusion de la tragédie, deux jours après la levée de ces limitations – qui n'étaient donc visiblement qu'un prétexte – par la Réserve Fédérale et la réouverture du site de candidature, les PME qui tentent leur chance se voient maintenant incitées à s'adresser à des enseignes concurrentes, car la liste d'attente s'allonge et, au vu des temps de traitement, le danger est grand que, lorsque leur dossier sera examiné, la réserve de garantie soit épuisée et qu'elles ne puissent donc pas bénéficier du « PPP ».
En d'autres termes, la banque abandonne totalement ses clients : si elle ne leur fait pas entièrement rater l'opportunité d'obtenir l'aide de l'État à laquelle ils peuvent prétendre (en sachant qu'il n'est bien sûr pas évident de trouver un autre prêteur au pied levé), elle leur impose des délais et des retards qui peuvent s'avérer létaux pour des structures confrontées à l'urgence de payer leurs salariés. Comment en est-on arrivé là ?
Selon toute probabilité, c'est un défaut combiné d'agilité et d'automatisation qui conduit à un tel désastre. D'un côté, Wells Fargo, comme tant de ses consœurs dans le monde, s'appuie sur des processus où l'élément humain reste critique et constitue un goulet d'étranglement, surtout dans les métiers du crédit. D'autre part, la lourdeur de son organisation et de ses systèmes lui interdit d'envisager la mise en place à brève échéance d'un dispositif ciblé optimisé, même quand les circonstances l'exigent.
Certes, il serait complexe pour n'importe quelle entreprise de faire face à un pic aussi soudain et aussi important (170 000 expressions d'intérêt enregistrées en 2 jours), mais la mésaventure est révélatrice d'un malaise profond, qui était déjà latent avant la pandémie. Ce sont, en effet, l'efficacité et la productivité de la banque qui sont directement en cause, en pleine contradiction avec les promesses de « digitalisation » – ou, à tout le moins, de dématérialisation et de numérisation – de ses opérations.
La défaillance des grandes institutions financières est peut-être à l'origine de la décision des autorités américaines d'autoriser une poignée d'acteurs alternatifs du crédit aux PME – Intuit, PayPal, Square – à participer au programme PPP, en comptant sur leur capacité à accélérer l'octroi de subsides à ceux qui en ont besoin immédiatement. La comparaison frontale qui en découlera risque de rendre encore plus éclatante l'avance de la nouvelle génération et de renforcer la confiance qu'elle suscite…