Le
monde entier se souviendra du passage du Covid-19, et en sera marqué pour très
longtemps, comme on est tatoué à vie. Des dizaines de milliers de morts en
quelques mois. Le monde est bouleversé. Beaucoup de larmes de crocodile chez
les dominants. On parle d’un monde nouveau à construire. « Rien ne sera
plus comme avant » entend-on ici et là, parfois par ceux-là mêmes qui ont
contribué, chacun dans leurs territoires, à leur niveau de responsabilité, avec plus ou moins de fougue, plus ou moins
d’ardeur, d’acharnement, à la situation dans laquelle se trouve notre monde
aujourd’hui. Un monde déchiré, obnubilé par l’individualisme (méthodologique
dirait Boudon à partir de l’ubac), par le gain facile, par l’outrance.
« Il faut tout balayer », « il faut repenser la société »
« jeter par dessus-bord la mondialisation »… « Une vieille
rengaine » s’exclame un hebdomadaire de droite, qui n’est pas en reste.
Tout ce cinéma, ces propos presque indécents venant de ces mêmes responsables
ou quidam qui, jusque-là louaient la société des individus et du nombrilisme,
jusque-là vouaient aux gémonies tout modèle sociétal qui s’écarterait de l’hégémonie
des Bourses, des puissants, de leurs lois, de leurs outrances. Tout cela pour
vous dire que ces mots m’ont renvoyé au cinéma. Un film revient au devant de la
scène ces jours-ci. Un film que j’ai vu il y a très longtemps. Un film de
Jacques Doillon tourné dans l’après Mai 68, « L’An 01 », c’est un
film qui me replonge dans l’Oran des années 70 – peu avant mon grand départ – précisément
dans la cinémathèque lorsqu’avec le théâtre d’Oran elle tournait à plein régime
(mais c’est vrai aussi, dans une seule et unique direction). La cinémathèque,
en contrebas du quartier Mirauchaux, passait des films du « cinéma
nouveau » algérien et d’autres films engagés. Nombreux acteurs et
réalisateurs nationaux et étrangers y sont intervenus. Je me souviens de Maryna
Vlady, de Mohamed Rondo, de Marcel Hanoun, Mohamed Bouamari et combien
d’autres. Mes souvenirs, vaporeux, me renvoient à ces jours où on projetait
« L’An 01 ». Le film fait leur peau à l’économie capitaliste, au
Stakhanovisme de l’Ouest. « On arrête tout et on recommence
autrement ». Cette utopie nous faisait rêver. Certains d’entre nous
voulaient tout bazarder pour aller voir ailleurs, mais nous étions surveillés.
Il y avait des « débats » à la cinémathèque. Je mets débats entre
guillemets. À vrai dire, c’étaient des moments de défoulement où rien n’était
possible sous notre Big Brother national et ses bras nombreux. Respirer le bon
air équivalait à respirer l’idéologie du Grand Est que propageaient des
étudiants Stal eux-mêmes aveuglés. « L’An 01 » a été toléré car il
interrogeait la seule société de conso. Puis sortis du cinéma on tombait dans
notre noire réalité, notre nuit. Enfermement généralisé. Le virus (ou Le
pharaon) régnait au sommet de l’État tentaculaire. La parole
« critique » (corollaire du « soutien critique » des plus
engagés) n’était tolérée que dans les espaces confinés (tiens, tiens). Les
« Hbat » allaient et venaient le long des rues du centre-ville. Ils
avançaient en tenue de combat, par groupe de cinq, en file indienne, la trique
noire prête à l’usage. Et ils cognaient, embarquaient, quiconque dont la tête ne
leur revenait pas, qui portait les cheveux trop longs ou les cheveux trop
courts, qui avait un regard ou une tenue inadaptés, qui n’avait pas éteint,
écrasé sa cigarette à leur passage en signe de soumission. Les « Hbat »
c’est la Police Militaire ou « PM » en noir charbon sur leurs casques
blancs. Entre nous, nous les chuchotions « Hbats », pour nous en
moquer. Mais nous en avions peur. Qui n’avait pas peur en Algérie ?
« Hbat » signifie « descend », un terme qu’ils utilisaient
pour interpeller les jeunes. Dans notre parler oranais on ne dit pas
« Hbat ». Ces militaires étaient souvent de l’Est du pays, alors que les
militaires d’Oran faisaient leur loi dans l’est ou le sud algérien etc.
Je me suis éloigné de L’An 01. Tant pis. Les années ont coulé sous les ponts et beaucoup, marqués par les contrariétés, voire les impasses de l’époque présente, ont hélas oublié l’inoubliable. N’oublions jamais pour venir à bout du présent, du corona et reconstruire de meilleurs lendemains.
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