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"Ceux qui ne sont rien" sont ceux qui font tout.

Publié le 18 avril 2020 par Juan

Ils sont banquiers, hommes d'affaires, grands patrons, publicitaires, traders, éditorialistes, cadres supérieurs, dirigeants, rentiers, propriétaires, actionnaires, promoteurs, bref, des premiers de cordée qui "investissent", "créent de l'emploi" et font "tourner l'économie". 

Depuis un mois et demi en Europe, ils ne sont plus grand chose. 


Leur modèle est en pause, une pause violente et contrainte. Leur position sociale a été mise à terre par un virus. Ils sont terrés à domicile ou dans leur résidence secondaire, confinés à donner des ordres en télétravail en priant chaque heure de chaque jour que des petites mains - ouvrier(e)s, livreurs, éboueurs, manutentionnaires, aides soignantes, et caissières, ne lâchent pas, ne craquent pas.
Les premiers de cordée sont ceux qui ne sont rien. Ils sont nus, ils sont à nu. C'est l'une des révélations de cette crise sanitaire devenue bouleversement économique. Il n'a pas fallu un mois que que la hiérarchie de l'utilité sociale soit complètement bouleversée.  
Ceux qui n'étaient rien sont ceux qui aujourd'hui font tout.
"Il est essentiel que tous les acteurs de la chaîne de production, de l’agriculteur aux ouvriers de l’industrie agroalimentaire, en passant par les transporteurs ou les caissières des supermarchés, restent présents à leur poste." Bruno Le Maire, 20 mars 2020.
Bien sûr, quelques éditocrates français propagent les mêmes abjections qu'Outre-Atlantique sur l'arbitrage prétendu nécessaire de faire repartir au plus vite l'économie au risque de tuer quelques dizaines de milliers d'anciens supplémentaires. L'éditocrate Christophe Barbier est à cet égard exemplaire: le 13 avril, il propose une "carotte" pour que les gens acceptent d'être espionner par un appli de tracking: "Il faut dire : tous ceux qui téléchargeront l’application seront prioritaires le jour où on aura des tests de sérologie qui permettront de déconfiner ceux qui sont immunisés." La veille, il se demandait s'il fallait continuer de mettre à l'arrêt l'économie pour sauver quelques vies de personnes âgées.
Bien sûr, les inégalités de classe sont toujours là. Les plus pauvres cumulent tous les handicaps - ils sont moins protégés, ils sont contraints au labeur physique, ils sont plus exposés au risque sanitaire, ils n'ont pas le choix du télétravail. Contraint par l'ampleur de l'arrêt économique, Macron a bien agi en prolongeant immédiatement et temporairement l'éligibilité des minima sociaux et de l'indemnisation chômage. Comme Sarkozy en 2009 qui lança le RSA. C'était la moindre des choses, après les ravages que son propre gouvernement a fait sur ces mêmes prestations: réduction des soins remboursés, plans d'économies sur la santé publique, réduction des retraites, réduction de l'accès au chômage pour 2 millions de personnes, gel des prestations sociales et des minima sociaux (hors minimum vieillesse).
Il n'y a pas si longtemps, "ceux qui ne sont rien" (Macron 2017) étaient ceux qui n'avaient qu'à travailler "pour se payer un costard" (Macron, 2016), ou "traverser la rue pour trouver un travail" (Macron, 2018), ces "Gaulois réfractaires" qui ne sont pas le cœur électoral de la Macronie.
Ceux qui ne sont rien et sur lesquels la France d'en haut compte aujourd'hui beaucoup sont aussi, mais pas seulement, les Gilets Jaunes d'hier si méprisés, caricaturés, brutalisés souvent.
Macron, l'incompétence devenue danger
On cache presque le nombre de morts. Le directeur de la Santé n'insiste plus sur le nombre de morts quotidiens - il ne le connait qu'imparfaitement.
Lundi de Pâques, Macron prend presque une demi-heure de son temps si précieux pour faire le show télévisuel. L'offensive médiatique du jeune monarque change de terrain. Il suspend provisoirement ses déplacements filmés qui ont suscité consternation, gêne et amusement les semaines précédentes.
Ce lundi soir, presque 37 millions de téléspectateurs/rices sont devant leur poste. Il évacue les termes guerriers de son discours, remercie beaucoup, enfin. Il raconte tout, mais aussi son contraire. Le fameux "en même temps".
Les enfants, pour qui le respect des "gestes barrière" sera le plus difficile à faire respecter, retourneront à l'école le 11 mai, et "en même temps", les étudiants devront rester confinés jusqu'en septembre. Les écoles avec des centaines de milliers de bambins seront ré-ouvertes et "en même temps" les cinémas et salles de spectacle resteront fermer. "L’objectif n’est donc pas scolaire… Il s’agit avant tout de permettre aux parents de retourner travailler", résume la députée insoumise Clémentine Autain. Macron parle de plan de déconfinement, et "en même temps" son gouvernement est incapable de livrer les tests et le matériel de protection. Macron récuse même que tester soit la solution, alors que c'est justement la seule méthode connue, et pratiquée, à ce jour. On ne sait pas si on aura un vaccin, si même l'homme peut être immunisé, mais Macron se force à donner une date de sortie, qui n'en est pas une. "Il faut donner un horizon" se justifie-t-il en privé. Car pour compléter cette offensive médiatique, Macron a livré ses éléments de langage à une douzaine de journalistes triés par l'Elysée chargés de faire le service après vente.
Un médecin explique ensuite qu'il faudrait laisser confinées les personnes à risques, c'est-à-dire notamment les plus âgées. La polémique enfle - 18 millions de citoyens privés de sortie ?? Volte face jupitérienne - une de plus, dès vendredi. Les vieux ne seront pas confinés plus longtemps que les autres. On n'y comprend plus rien: comment organiser un déconfinement sans vouloir tester ni protéger ?
Le service après-vente de Macron passe aussi par trois interviews à la presse : à RFI, il demande qu'in aide l'Afrique. Au Corriere della Sierra, il donne des leçons à l'Italie. Au Financial Times, il critique violemment Angela Merkel, qui pourtant conduit l'Allemagne dans cette crise avec une efficacité qui fait cruellement défaut à Macron. Il assure aussi qu'il faut "inventer une nouvelle mondialisation et un nouveau capitalisme." On dirait Sarkozy à l'automne 2008. Le copié-collé des arguments est saisissant. Il fait preuve d'un narcissisme enfantin ridicule - " “Il faut se rendre disponible à sa destinée".

Ce joli story-telling présidentiel se fracasse sur la réalité. "L'espoir renait" dit Macron. On finit le comptage des morts dans les EHPAD après le discours du roi:  1438 décès sont ainsi annoncés le lendemain.
On apprend que le porte-avion Charles de Gaulle, premier et unique bâtiment de combat de surface à propulsion nucléaire construit en Europe occidentale, a été contaminé parce le ministère des armées a refusé au commandant du Charles de Gaulle d'interrompre la mission le 15 mars lors d'une escale à Brest quand quelques marins montraient des symptômes du #coronavirus
Un mois plus tard, plus de 1000 marins sont infectés, dont un est en réanimation.
L'amateurisme macroniste est un danger.
L'hésitation au sommet
Le monarque est nu, et nul, incapable d'autre chose que des discours de théâtre. Macron a la même réaction de sidération que Sarkozy en 2008: il promet une rénovation du capitalisme. Il lâche des milliards d'euro de soutien aux entreprises sans contreparties en matière d'emploi ou environnementale. Il hésite à nationaliser ce qui doit l'être.
  • Pas de matériel de soins: le personnel soignant manque toujours de matériel, le "pont aérien"avec la Chine n'est en fait constitué que de quelques vols ici ou là. Des médecins et des infirmiers se filment en train d'enfiler de nouvelles tenues qui ne sont que des sacs poubelles géants. On attend toujours les masques. Dans le Grand Est, le nombre de cas graves repart à la hausse.
  • Le carnage discret continue dans les EHPAD: la France compte 25 000 morts en 6 semaines, sans compter les 59 000 retraités infectés dans les EHPAD et les établissements médico-sociaux (EMS). "En Ile-de-France, on a près de 60% des Ehpad dans lesquels il y a au moins un cas de Covid". Les EHPAD privés rechignent à livrer leurs chiffres, mauvaise publicité parait-il. C'est la Mort en marche.
  • Pas de réquisitions ni de nationalisations: ce gouvernement d'amateurs ne songe même pas à nationaliser en urgence Luxfer, le dernier producteur français de bouteilles d’oxygène à usage médical qui lutte contre l'asphyxie financière, ni même Famar, seule usine en France à produire encore la Nivaquine à base de chloroquine.
  • Pas d'aide ni de gratuité aux frais d'obsèques des dizaines de milliers de familles qui ont perdu un proche à cause du Covid-19.
  • Des subventions d'urgence aux grands groupes sans contreparties réelles et mesurables: on reproche à Bruno Le Maire, ministre de l'Economie, d'avoir lâché 20 milliards d'euros d'aide aux grandes entreprises sans contreparties. Que nenni ! Le ministre promet des "conditions". Lesquelles ? Il faudra qu'elles signent des "engagements en matière environnementale et s'inscrire en cohérence avec l'ambition écologique du Gouvernement, qui reste intacte" dixit Elisabeth Borne. Y-a-t-il plus flou ? Des députés macronistes rajoutent que ces entreprises bénéficiaires devront souscrire à une politique RSE... ce que les principaux grands groupes éligibles à ce nouveau fond d'aide font déjà... Où est le progrès ? 

Un programme politique inchangé
Derrière les grandes déclarations de Macron, Philippe, ou Le Maire, il y a comme souvent l'hypocrisie, l'inaction et l'amateurisme le plus complet.
Macron braille "faisons nation !" comme un roi qui voudrait contenir la foule en colère. On attend son procès."Emmanuel Macron prépare l'avenir, se tournant vers les précieux conseils de Gérard Larcher et Nicolas Sarkozy" explique Gala. Ne riez pas... Quel sens politique ! Quel avenir prépare-t-il ? L'un des perroquets macronistes, Agnès Pannier-Runacher, répète mot pour mot l'argumentaire du MEDEF dont l'un des représentants demandait à faire travailler plus sans gagner plus quand le déconfinement serait possible: "il faudra probablement travailler plus que nous ne l'avons fait auparavant." Quelle bêtise, quelle aberration ... Almlonger la durée du travail quand une dizaine de millions de Français ne demandent qu'à travailler... mais "le Medef n'a rien appris, rien compris" répliquent les Economistes atterrés.. Notre réponse : travailler plus ou travailler mieux et tous ?
Macron ne remet pas davantage en cause sa propre action.
La réforme de l'assurance chômage n'est pas annulée, mais simplement suspendue - la dégressivité des indemnités pour les cadres est suspendue pour 5 mois. La durée minimale de 24 mois de travail pour prétendre à une indemnité est rallongée de la période de chômage partiel depuis mars.
Quand on demande à Gérald Darmanin, ministre des comptes publics qui souhaitait organiser un grand appel aux dons de solidarité nationale il y a trois semaines, s'il compte enfin rétablir l'imposition des plus riches qu'il a supprimé en début de Présidence des riches, il rechigne: "Il ne s'agit pas d'imaginer de nouvelle création d'impôt" - traduction - épargnons les riches, ne remettons pas en cause les cadeaux fiscaux, couteux pour les finances publiques. Pourtant le déficit budgétaire est désormais annoncé à 9% cette année, du jamais vu depuis 1945....
A Bruxelles, la Commission européenne, soutenue et applaudie par Emmanuel Macron, confie au gestionnaire de fonds BlackRock une mission de conseil sur la surveillance bancaire "des facteurs environnementaux et sociaux".
Sans rire ? 

 "Faisons nation", oublions Macron le temps de la crise. Conservons la rage et la colère pour les procès, les élections, les manifestations qui suivront. 
Ami castor, as-tu enfin peur ? 


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