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Je m'en balance avec Alexandre Jollien

Publié le 19 avril 2020 par Eric Acouphene
L’éveil coïncide avec l’absence de toute manipulation, de toute volonté de maîtrise envers les autres, le réel, envers notre futur. L’Évangile ne nous convie-t-il pas à cette conversion du cœur, à l’abandon dans l’amour? « Regarde/ les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent, et ils n’amassent rien dans des greniers ; et votre Père céleste les nourrit. » 
Invitation claire, nette, limpide ; voilà le diagnostic posé : plus je m'éreinte à tout contrôler, plus je morfle. 
Comment se défaire de la peur du lendemain, de l’obsession de l’avenir, de l’hypervigilance? 
Bien sûr, le défi est énorme : oser la confiance, remplacer la crispation par l’ouverture, la disponibilité.
Chogyam Trungpa avait coutume de prononcer ces initiales ô combien libératrices : CCL. 
Il dégage une voie souverainc pour pulvériser ce fardeau, cette chape de plomb qui interdit toute fluidité, qui tue la vie. Couldn’t care less, CCL,... « Je m’en fous », « Je m’en balance », « Je m’en cogne », « Je m’en balek », « Rien à cirer »... Chacun optera pour sa traduction... Le geste est grandiose et simple : qu’en-dira-t-on, apparence, reconnaissance, désir de plaire, et si on s’en contrefichait carrément ? 

Voici un exercice : repérer les soucis qui me plombent, dresser la liste de ce qui m’angoisse, me terrorise et m’interdit toute insouciance.
Qu’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas ici d’un «je-m’en-foutisme » bas de gamme, d’une lâche démission, d’une coupable résignation. Au contraire, ultimement, nous sommes appelés à devenir plus vivants, plus actifs, plus rebelles dans un certain sens ; comme si toute l’énergie gaspillée à lustrer d'illusoires armures pouvait enfin se consacrer à une mission plus haute, plus noble, plus réjouissante. Ce qui reste de la plus haute importance, et Chôgyam Trungpa ne fait aucune concession, c’est la compassion, le don, la générosité, qui fait passer l’autre avant soi sans exception, et la pratique, le démantèlement systématique de l’égoïsme, de chacune de nos illusions bien coriaces. Mais qui a dit qu’il fallait un esprit de sérieux pour tordre le cou à ce cancer mental, à cette paralysie de l’affection, à cette sclérose de la liberté ? Atisha, un maître indien du X siècle, nous prête main-forte pour dissoudre cette tendance si mortifère qui nous pousse à tout solidifier : « Regarde tous les dharmas minuscules comme des rêves. »
Je m'en balance avec Alexandre Jollien
Un bref coup d’œil sur les derniers mois ne révèle-t-il pas la loi implacable et rassurante dans le fond de l'impermanence? Nos priorités étaient-elles si prioritaires, si capitales, si essentielles au bout du compte? Qu’est-ce qui nous nourrit véritablement? Qu’ont produit ces heures d’agitation, de planification, de rumination?

En appeler au calme, donner du lest à la machine à mouron, c’est abandonner le désir de plaire pour l’amour, renoncer au plein pouvoir et se rendre disponible; c’est s’engager en disant adieu, un à un, aussi difficile que ce soit, aux tracas qui nous empoisonnent ; c’est voyager léger.

Source : Psychologies Magazine

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