Avec un grand plaisir, ai commencé la lecture du livre de mon ami Juan d'Oultremont. L'article de Anne-Marie Georges dans La Libre du mois dernier me paraît excellent et je n'hésite donc pas à le retranscrire ci-dessous en la remerciant. Bonne lecture !
Avec " Judas côté jardin ", Juan d'Oultremont signe un délicieux roman qui prend place dans les années 60, époque de son enfance. Autant habité par la joie que l'inquiétude.
Il aurait pu sous-titrer Judas côté jardin par " Autobiographie de mon enfance " ou " Mon enfance dans les années 60 " ou encore " Les 400 coups de Juan " et, pourquoi pas, " L'école buissonnière d'un garçon au XXe siècle " ? Il y a un peu de tout cela dans le nouvel ouvrage de Juan d'Oultremont. Cette fois, Judas, c'est lui, un prénom qui revient régulièrement dans ses livres et qui sera encore du prochain - car il s'est déjà remis à écrire. Le jardin, c'est celui où Juan d'Oultremont a passé son enfance, 40 ares sis à Woluwé-Saint-Lambert. Plus on avance dans le récit, plus on se dit que Juan d'O a connu une enfance de dingue. Il a vécu ou assisté à des choses tellement folles que la première question qu'on lui pose alors qu'on le joint par téléphone chez lui (dans cette maison d'enfance où il vit de nouveau !), c'est de connaître la part de réalité et la part d'imaginaire qui habitent son roman. " Tout est pratiquement vrai, assure-t-il, sauf un épisode. "
40, l'indicatif téléphonique de la Roumanie
L'idée de revisiter son passé lui est venue il y a deux ans quand il s'est décidé à relire un dossier stocké dans son ordinateur qu'il allait régulièrement alimenter de souvenirs, mais sans du tout savoir l'usage qu'il allait en faire. " Tout d'un coup, le rapport au jardin m'est apparu comme une évidence ; tous ces souvenirs y étant très souvent liés. "
" C'est un bouquin que j'ai écrit à une vitesse folle, poursuite-il, alors que je suis plutôt du genre laborieux. Tout s'est mis en place comme un puzzle, ce qui m'a d'ailleurs fort surpris. C'est toujours très excitant, quand on est surpris par l'autonomie que prend un récit. Et donc j'ai vu apparaître les choses et c'était vraiment très délectable. "
Dans ce jardin de 40 ares ( " un chiffre abstrait, le numéro atomique du zirconium, l'indicatif téléphonique de la Roumanie "), le petit Juan, pardon Judas, apprend la vie, tout simplement. Il y expérimente le feu, la déforestation, les arbres fruitiers sans fruit, les multiples usages du noyer, les crues du Roodebeek, les nouvelles plantations, mais aussi la menace que représente la construction de trois buildings aux alentours.
Gravitent autour du jeune enfant ses parents, bien sûr, ses grands-parents (les MOINS et les PLUS - entendez les pas sympas et les gentils !), des oncles et des tantes. " Le caractère idyllique du jardin fait que je redoutais absolument le monde extérieur ", raconte Juan d'O. Il est vrai que malgré le caractère angélique de l'enfance, Judas-Juan est malingre, rachitique ; sa maman le surnomme Buchenwald ( " à la sortie du bain ", " torse nu "). Il pleure beaucoup, vomit souvent. Quand, pour ses 12 ans, sa sœur reçoit un 45 tours de Claude François, il relève qu' " avec Claude François, il y a un avenir pour les chétifs et les infra-minces ". Lui-même, quand il atteint cet âge-là, n'est plus " Buchenwald mais seulement une longue mauvaise herbe dégingandée ".
De sa mère, " qui se moque des règles comme d'une guigne ", fille des grands-parents PLUS, il note qu' " à tous les instants de sa vie, (ma) mère fera honneur à cette tendance des PLUS à être plus que PLUS. Pas un jour où elle n'aura ajouté de l'horreur à la tragédie, de l'amour à l'amour, de l'humour au joyeux et du merveilleux au déjà magnifique. "
Son père, c'est Dieu. Entre ses 2 et 12 ans, Juan-Judas le confond avec le Tout-Puissant, le Créateur : c'est quand même lui le maître du Paradis, entendez le jardin.
Huit enfants, huit téléviseurs
Dans Judas côté jardin, Juan d'O nous plonge dans une fameuse tranche de vie où la petite histoire rejoint la grande ; l'intime, l'universel. Et où tout un chacun se retrouvera d'une façon ou d'une autre. Si toutes les enfances ne sont pas les mêmes (et celle de Juan fut particulièrement extra-ordinaire), elles ont des points communs.
Sans doute pas au point de passer un Noël avec une Granny PLUS, qui a huit enfants, et offre à chacun un téléviseur. Mais c'est cela aussi qui fait tout le suc de ce roman car de cet épisode, l'auteur parvient à nous faire partager l'angoisse qu'il ressent ainsi que sa sœur si jamais leur père venait à refuser la télé. Un autre type d'écrans que ceux d'aujourd'hui, mais déjà " une lucarne contraire à son éthique ".
On l'aura compris, l'écriture de celui qui est aussi artiste plasticien et qui a été membre du Jeu des dictionnaires et de la Semaine infernale (RTBF) prête régulièrement à sourire voire à rire - ce qui, en ces temps incertains où la peur le dispute à l'angoisse, est plutôt salvateur. Quelle définition donne-t-il à l'humour ? " Cela m'a toujours semblé un outil assez élégant. Qui permet de faire passer des choses et puis d'éviter l'arrogance. L'humour est surtout dans le doute, il n'a pas beaucoup de place dans les certitudes. Je suis plutôt quelqu'un dont la forme d'inquiétude pousserait à douter. Et douter le sourire aux lèvres m'a toujours paru meilleur qu'avec un air contrit ".
- Judas côté jardin | Juan D'Oultremont | Onlit Editions | 363 pp, env. 19 €. Le livre peut être commandé sur www.onlit.net