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Cinéma en Egypte : Hassan et Morcos, sans Cohen !

Par Gonzo

Voilà plus de trente ans que le "raïs", alias le comédien Adel Imam, règne sans partage ou presque sur les scènes de théâtre, et surtout sur les écrans du monde arabe. Fort d’une telle célébrité, on pourrait croire qu’il n’a plus vraiment besoin de donner des gages au premier des "raïs", le président Moubarak… Et pourtant !
C’est exactement le contraire qui se passe comme le notent dans le quotidien Al-Akhbar Muhammad Khayr (محمد خير) ou encore Waël Abdel-Fattah (وائل عبد الفتاح). Ce dernier en particulier rappelle que celui qui avait rêvé à ses débuts d’être un "artiste du peuple", une sorte de conscience de gauche au service des pauvres de par ses origines de classe (لأنني أردت أن أكون بطلاً خادماً لوطنه، وأنا دائماً أنحاز للناس الغلابة لأنني من هذه الطبق), se range désormais sans hésitation du côté du pouvoir en prenant ouvertement position par exemple en faveur d’une succession républicaine héréditaire qui profiterait au fils de l’actuel président (voir ce précédent billet).
Ce qui rend l’engagement politique de la vedette égyptienne d’actualité, c’est bien entendu la sortie, en haute saison car l’été est le temps du cinéma en Egypte, de Hassan et Morcos (حسن ومرقص), le dernier blockbuster de l’énorme société de production – au nom parfaitement local ! - Good News for Me.

Film à budget record – comme l’était déjà L’immeuble Yacoubian, produit lui aussi par la société qui finance également l’autre événement cinématographique de l’année, Laylat Al-Baby Doll – le film, réalisé par Rami Imam, le fils du comédien, est distribué dans une centaine de salles, un record. Il faut dire que le succès est attendu car, pour la première fois, sont réunies à l’écran deux très grandes stars : Adel Imam et Omar Chérif.
Ils interprètent les deux rôles principaux (même si le très cabotin Adel Imam tire la couverture à lui naturellement !) : celui de Hassan (Adel Imam) prêtre chrétien qui a dû se déguiser en religieux musulman pour échapper aux foudres des extrémistes de sa confession, et celui de Morcos (Omar Chérif), musulman modéré qui, pour les mêmes raisons, a adopté l’apparence d’un penseur chrétien libéral.
Naturellement, ces identités empruntées sont sources de nombreuses scènes comiques ce qui n’ôte rien au message politique du film. A l’image de réalisations précédentes où l’acteur égyptien mettait sa célébrité au service de la lutte contre l’islamisme, Hassan et Morcos défend une cause, celle de l’unité nationale menacée par les tensions confessionnelles.
En écho aux grandes luttes du début du siècle, où musulmans et coptes luttaient main dans la main pour l’indépendance, une scène montre ainsi le prêtre et l’imam criant d’une même voix dans une conférence sur l’unité nationale "Que vive le croissant avec la croix !" (يحيا الهلال مع الصليب).
En apparence, le scénario se garde de prendre parti. Fidèle à son style, Adel Imam semble dire au public égyptien : Voilà ce que vous voyez, voilà ce qui se dit tous les jours dans la rue, à vous de juger ! Le scénario ouvre même à une lecture un peu complexe en laissant entendre que les circonstances peuvent inciter les personnes les plus tolérantes, en l’occurrence les familles des deux principaux protagonistes, à céder aux sirènes du fanatisme.
Mais on reste cependant dans un monde très manichéen que le traitement comique des situations, la marque de fabrique du style Adel Imam, n’aide certainement pas à approfondir. Des critiques ont noté par exemple que l’Etat, en tant que puissance régulatrice, est totalement absent de débats qui se gardent bien également de poser la question des origines du fanatisme, et en particulier les causes sociales et économiques qui nourrissent des tensions religieuses, de fait de plus en plus exacerbées.
Succès auprès du public, le film a suscité de nombreux débats, même si on se demande parfois si toute cette agitation n’est pas artificiellement provoquée pour contribuer à la publicité du film. Toujours est-il que plusieurs pétitions ont circulé sur Facebook demandant aux bons musulmans de "boycotter le chrétien Adel Imam" (قاطعوا المسيحي عادل إمام) ! Pour certains, l’acteur, qui joue donc le rôle d’un religieux copte, devrait même être poursuivi pour apostasie car il se serait converti au christianisme !!!
En réalité, la polémique, vraie ou artificielle, avait été lancée bien avant le début du tournage lorsque la vedette égyptienne s’était rendue auprès du pape (copte) Chenouda III : dans l’Egypte d’aujourd’hui, une telle visite était déjà pour certains musulmans une concession inacceptable et Adel Imam (voir cet article en arabe) avait dû préciser qu’il n’avait jamais été question pour lui de demander une quelconque "bénédiction" des autorités coptes mais qu’il était en revanche, en tant que musulman, désireux de mieux connaître certains détails propres aux rites chrétiens.
S’il est vrai que l’on peut suivre Shlomo Sand lorsqu’il affirme qu’il revient au cinéma de nourrir aujourd’hui ce que l'historien Maurice Halbwachs a appelé la "mémoire collective" des peuples, il faut s’arrêter un instant au titre donné à cet appel à la tolérance contre un fanatisme religieux qui met en péril l’unité nationale.
En effet, il est difficile de ne pas entendre dans ce succès des écrans d'aujourd'hui l’écho – conscient ? inconscient ? - d’une production célèbre du répertoire des grandes années du cinéma égyptien, comme l’ont rappelé d’ailleurs certains observateurs (voir ce blog en arabe par exemple). En 1954 sortait en effet sur les écrans égyptiens, Hassan, Morcos et Cohen, une comédie tirée d’une pièce de théâtre, grand succès de l’année 1945, écrite par Naguib Rihani (نجيب الريحاني).
Le scénario, mettant en scène un trio de commerçants multiconfessionnel, avait déjà été exploité dans un autre film dans lequel s’illustrait notamment une très grande figure du cinéma arabe, la comédienne Madiha Yousry. Elle incarnait la partie musulmane d’un trio de jeunes et jolies jeunes femmes représentant la jeunesse féminine de l’époque (Fatma, Marika et Rachel - فاطمة وماريكا وراشيل, de Helmi Rafla, 1949).
Soixante ans après la création d’Israël, et précisément à cause de cela, Rachel et Cohen ont disparu des appels à l’unité nationale… Quant à Morcos, il faut apparemment que soit défendu son droit à garder sa place à côté de Hassan dans le New Middle East...
La vidéo de la semaine : la bande-annonce de Hassan & Morcos (sous-titres en anglais).

Libellés : boycott, Cinéma, Egypte

2 commentaires:

Je fais vite, une petite précision pour la société de prod c'est pas good news for me mais good news group for film and music.
Adel imam c'est le za3im et non raiyes (on aurait jamais osé faire ça en Egypte où le seul rayes est H. Moubarak)(za3im= leader) en fait c'est le titre d'une pièce de théâtre dont il était, bien sur, la star.
Les critiques qui ont parlé de Hassan we mocos we Cohen, n'ont rien apporté comme scoop. Pour la simple raison que A. Imam a parlé de ça dans ses premiers interviews avant de commencer le tournage.
Concernant A. Imam envers le pouvoir, il suffit de rappeler qu'il était parmi les invités au mariage de Jimmy Moubarak .
en plus sa prêche en faveur du rayes et sa famille est chose trop systématique dans toutes ses apparitions télévisées (j'ai remarqué d'ailleurs qu'on le voit trop souvent à la tv ces derniers temps).
Oui je ne me souviens plus de tout les détails mais quand il y a eu les manif avant la guerre contre l'Iraq en 2003, A. Imam a fait un discours au stade du Caire et il a participé à canaliser les manif.

2:29 AM Cinéma en Egypte : Hassan et Morcos, sans Cohen !

Bonjour Sosso : heureusement que vous êtes là et il est temps pour moi de prendre un peu de vacances ! "Good News for Me", c'est effectivement le nom de la branche internet, mais c'est bien la même société... Elle mériterait bien un billet d'ailleurs, ainsi que Rotana... Bon été !

7:02 AM Cinéma en Egypte : Hassan et Morcos, sans Cohen !

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Yves Gonzalez-Quijano : enseignant de littérature arabe moderne à l'université Lyon2, traducteur, chercheur au Gremmo (http://www.gremmo.mom.fr/).
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