Parmi toutes les dispositions que la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a modifié se trouve l’article L3136-1 du code de la santé publique. Initialement, cet article prévoyait que le fait de ne pas respecter les mesures prescrites par l’autorité requérante en matière de réquisition de biens et de services sanitaires était puni de six mois d’emprisonnement et de 10 000 euros d’amende.
Depuis la loi du 23 mars, les faits pouvant entraîner des sanctions pénales ont été multipliés, en incluant notamment le non-respect des mesures édictées par le Premier ministre comme la restriction ou l’interdiction de la circulation des personnes et des véhicules, la mise en quarantaine et le confinement. Leur méconnaissance est passible d’une contravention de quatrième classe. Dès lors que les violations sont verbalisées « à plus de trois reprises dans un délai de trente jours », la contravention se transforme en délit, les faits étant « punis de six mois d’emprisonnement et de 3 750 euros €d’amende ainsi que de la peine complémentaire de travail d’intérêt général ».
Cette disposition, de même que les autres présentes dans la loi -ordinaire- d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, n’a pas été contrôlée par le Conseil constitutionnel avant d’entrer en vigueur. Aucune des autorités politiques compétentes pour déclencher ce contrôle -le président de la République, le Premier ministre, soixante députés ou soixante sénateurs- n’a estimé qu’il fallait s’assurer de la constitutionnalité de telles mesures. Pour apprécier leur validité, il ne reste plus que le contrôle de la loi promulguée et appliquée, via la question prioritaire de constitutionnalité, la « QPC ». Or, depuis la loi -organique- d’urgence, les délais en matière de QPC sont suspendus : le Conseil d’État, la Cour de cassation (pour le filtrage) et le Conseil constitutionnel (pour le contrôle de constitutionnalité) peuvent juger en plus de trois mois. La volonté du gouvernement est d’éviter que les justiciables fassent le procès de l’état d’urgence sanitaire pendant l’état d’urgence sanitaire. La « concorde » nationale devrait inclure les violations de la Constitution.
C’est sans compter les citoyens, premiers affectés par les mesures répressives, qui ont posé des QPC sur l’article L3136-1 du code de la santé publique. La mise en cause de cet article est donc à l’origine des trois premières QPC sur l’état d’urgence sanitaire. Les tribunaux judiciaires de Bobigny, de Poitiers et de Paris ont renvoyé celles-ci à la Cour de cassation « sans délai » et conformément à leur office. Pour faire la synthèse des griefs relatifs à cet article, celui-ci contreviendrait tout à la fois au principe de légalité des délits et des peines, au principe de nécessité et de proportionnalité des peines, au principe de présomption d’innocence, au droit à un recours effectif, ainsi qu’aux droits de la défense.
La Cour de cassation aura-t-elle l’audace de renvoyer au Conseil constitutionnel « en urgence » ? Telle est la question.
