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La Baronne Spera Truchseß-Wetzhausen au centre du roman de Michael Seitz : Der Psychiater des Königs
Publié le 28 avril 2020 par Luc-Henri Roger @munichandcoLa Baronne Esperanza von Truchseß-Wetzhausen est dans les études ludwiguiennes un personnage secondaire, traitée souvent de manière un peu folklorique. Elle est pourtant la dernière femme de la noblesse qui ait pu adresser la parole au souverain bavarois et une des rares personnes qui ait tenté de lui porter secours. Elle est aussi intimement liée à l'histoire du roi parce qu'elle était une patiente du Dr von Gudden et que ses souffrances mentales l'avaient amenée à faire plusieurs séjours dans l'institution que von Gudden dirigeait à Munich.
L'auteur autrichien Michael Seitz en fait un personnage important de son roman historique Le psychiatre du Roi dans laquelle la baronne apparaît dès le prologue. L'auteur, qui a travaillé en milieu hospitalier psychiatrique, introduit le personnage de la baronne alors qu'elle est en résidence dans l'asile dirigé par le psychiatre, quelques jours avant que la Commission aille signifier au Roi sa destitution.
Qu'on ne s'y trompe pas, si la Baronne apparaît dans ce passage sus les traits d'une patiente gravement atteinte, elle a parfaitement perçu ce qui se passe en Bavière et les dangers que court le Roi, et la suite du livre prouvera sa détermination à le sauver.
Michael Seitz nous a aimablement autorisé à traduire en français le prologue de son roman actuellement publié seulement en allemand. Nous l'en remercions vivement ! Le voici :
En vérité, un Shakespeare n'aurait pu imaginer final plus grotesque, plus effroyable pour un drame royal dans sa fantaisie de poète
Philipp zu Eulenburg und Hertefeld
à propos de la fin du règne et de la mort mort du roi Louis II deBaviére
L'infirmier abat son dernier atout au moment où la baronne Spera von Truchseß zu Wetzhausen se réveille de son rêve. Les hommes s'ennuient depuis des heures. Ils font une partie de Schafkopf sur un tonneau qui leur sert de table. Le médecin-chef de l'établissement a interdit aux infirmiers de boire plus de deux bières pendant le travail — surtout la nuit ! Ce qui fait qu'ils sont sobres depuis minuit. La pleine lune brille à travers les barreaux des fenêtres de l'asile. Les hommes se servent des cartes baroques bavaroises pour éventer leurs visages moites. Les malades en 1ère classe sont en chambre individuelle. Les grands dortoirs de la psychiatrie du XIXe siècle leur sont épargnés ; après tout, ils font partie des "malades payants". Les «pauvres fous», comme on appelle les autres, sont en deuxième et en troisième classes dans des dortoirs dans lesquels des dizaines de malades sont souvent logés côte à côte. En 1ère classe il y a aussi plus de personnel pour s'occuper des malades, c'est pourquoi les infirmiers ont le temps de jouer aux cartes quand les patients dorment — si aucun incident particulier ne vient rendre leur service difficile. La porte de la chambre de la baronne est ouverte ce soir-là. La baronne retient son souffle. Elle s'oriente uniquement à l'aide des bruits que font les hommes dans la pièce. Dans son enfance, elle s'était demandée comment les chauves-souris pouvaient trouver leur chemin dans l'obscurité du toit voûté des tours du château à travers les brumes de la nuit. Elle s'était souvent faufilée au dernier étage. Des roses et du lierre grimpaient sur les murs du château parental. Ce souvenir fait à présent sourire la baronne : elle se revoit en esprit comme une fille de treize ans, en nuisette blanche et les pieds nus. Remplie d'un mélange de dégoût et de tendresse, elle avait détaché un des animaux du mur et pressait ses lèvres contre son corps velu. Il y avait eu un léger grincement en réponse à son baiser - un son qui lui avait fait peur et l'avait fait paniquer. Terrorisée, elle a laissé tomber l'animal. Puis la colère et la déception se sont emparées d'elle. Elle a alors attrapé l'animal et l'a jeté contre le mur jusqu'à ce que toute vie l'ait quitté. Puis elle sentit une faiblesse l'envahir, ce qui eut pour effet de lui couper les jambes. Lorsque sa gouvernante l'a trouvée, elle était accroupie par terre en train de sangloter. C'était à Saint-Pétersbourg avant qu'elle n'épouse un baron bavarois. Maintenant, un infirmier s'approche de son lit. Le contact de ses mains, de ses doigts épais et charnus, la dégoûte. L'homme vérifie avec diligence la bonne tenue des sangles en cuir fixées sur ses bras et ses jambes. Elle n'a pas besoin d'ouvrir les yeux pour voir l'homme hocher la tête: c'est Meier - elle l'a reconnu à l'humidité de ses mains et à son odeur, un mélange de Weizenbier et de tabac. Et quand il se met à parler aux autres, elle n'a plus aucun doute. Elle retourne à son rêve. Le reflet d'un monde lointain se fait jour en elle : le jet d'eau d'une fontaine se déverse sur des corps nus et dorés, sur le dos desquels avaient poussé des ailes. Des paons avaient déployé leurs roues devant un château pour honorer la présence de leur maître. Un château de marbre trône sur une montagne près d'un lac de montagne. Elle voit un temple, né d'un conte de fées de mille et une nuits. Tous ces bâtiments se dessinent sur fond de paysage d'hiver. Les chevaux blancs galopent devant, et leur souffle forment des nuages glacés devant leurs narines. Ils tirent un traîneau. Derrière le cocher se trouve un homme qui porte une barbiche noire, c'est le roi que l'on reconnaît facilement au bleu profond de ses yeux. Louis ... le cousin bien-aimé qui a entrepris une de ses promenades en traîneau à travers la pinède enneigée ... C'est un motif d'une carte postale. Depuis que son mari s'est finalement séparé de la baronne il y a trois ans, elle n'a pas désiré d'autre homme que le roi. L'infirmier Meier desserre les sangles de ses bras et de ses jambes et lui instille un liquide au goût dégoûtant: de l'eau! - du Château la Pompe ! Spera von Truchseß ouvre les yeux. Et tousse. L'odeur de ses propres excréments lui monte au nez. Elle se demande depuis combien de temps elle marine dans sa propre urine. «Je vous souhaite une agréable matinée, Mme la baronne», lui dit un des infirmiers. Ses camarades l'ont nommé Jennerwein - d'après le braconnier qui avait été abattu dans les montagnes dix ans auparavant. La semaine dernière, deux infirmiers avaient parlé de Jennerwein quand on avait donné un bain à Spera. Ici à l'asile les femmes aimaient parler de Jennerwein. Elles avaient des regards rêveurs. "Ce n'est pas un endroit pour une dame, messieurs", explique Spera von Truchseß. Elle regarde les marques sur ses poignets et ses chevilles. Jennerwein fait une courbette respectueuse. "Peut-être que Madame voudrait prendre une bouffée d'air frais", dit-il en contrefaisant le ton de la bonne société munichoise. Elle ignore la moquerie dans sa voix et demande: "Où est donc notre chaise percée ?" L'infirmier répond: "Si Madame le souhaite, il sera possible de l'accompagner dans une promenade à l'extérieur, où vos intestins pourront être soulagés. "Nous avons toujours su que le cœur d'un homme noble bat dans sa poitrine. "Spera se lève et se s'accroche au bras de l'infirmier. "Sauf votre respect", dit Jennerwein, "Madame devrait se rafraîchir. Avant-hier - dans l'excitation - vous n'avez plus eu le temps… »« Avant-hier? »Elle hoche la tête. Attachée au lit, un jour et une nuit semblent durer un mois. "Il nous semble que notre folie furieuse remonte à un an", dit-elle. C'est la morphine avec laquelle elle avait été calmée qui était la cause principale de la constipation. Jennerwein lui avait fait un lavement intestinal à l'aide d'un tuyau la dernière fois. "Avec tout le respect que je vous dois, Madame n'avait pas fulminé, explique Jennerwein. "Vous avez halluciné, comme l'a fait remarquer le professeur. Madame ne cessait de parler de Sa Majesté. D'une prétendue haute trahison contre le roi Louis... Vous avez gravement insulté le professeur, Baronne von Truchseß! » Elle caresse la chemise de nuit bleue qui provient du fonds de l'asile. «Pardonnez-moi, noble Jennerwein», dit-elle, «mais il fera sûrement preuve de compréhension si par les temps qui courent une dame de qualité s'autorise à faire autre chose que de laisser paresseusement ses mains reposer sur ses genoux. Et maintenant conduisez-nous enfin aux toilettes avant qu'un accident ne se produise! "" Nous sommes heureux d'accompagner Madame. Si nécessaire, le professeur prescrira également un lavement intestinal - s'il n'est pas possible qu'elle puisse d'elle-même ... "" Un Prussien! "proteste-t-elle. Spera sent monter une colère indescriptible dans sa poitrine. "Comment peut-il être aussi naif ... Mais chaque enfant sait que le chancelier prussien Bismarck est l'un des conjurés! Tous les Prussiens sont les ennemis du peuple bavarois ... »Le gardien rougit. "Pour autant que nous le sachions, le professeur sélectionne uniquement des anciens soldats comme infirmiers - et pas des braconniers!", dit Spera avec un rire sarcastique. Elle considère ses pieds nus et délicats. Seigneur Dieu, voilà qu'elle se trouve en présence de ces hommes comme une simple fille de campagne! La bière, le jeu de cartes et le désir d'une femme se reflètent sur leurs visages. Elle se regarde. Ses seins lui paraissent un peu petits. C'est peut-être dû au fait que leur mariage n'a pas eu d'enfants. Elle avait entendu parler de femmes chez qui ce défaut avait disparu dès la première montée de lait. Dieu, comme elle aspire aux bras forts d'un homme! "Peut-être que ce serait mieux si Madame laissait les affaires importantes et la politique aux hommes", dit Jennerwein. "Nous imaginons bien ce qui se trame dans vos crânes de paysans ", dit-elle. "Alors Madame aura un visage à deux faces", explique Jennerwein. Spera von Truchseß perce à jour sa tentative. Les infirmiers et le professeur sont de mèche avec les conspirateurs ! Et ils n'avaient absolument aucune idée des choses qui se passaient à l'extérieur dans le monde.Cela avait été une erreur de venir ici et de demander de l'aide. Dans l'asile d'aliénés, vous devenez vraiment fou si vous ne l'êtes pas déjà ! Spera von Truchseß ordonne: " Accompagnez-nous à l'extérieur, mon cher !" Elle marche à ses côtés. "Nous lisons en eux tous comme dans un livre, ces paysans mal dégrossis ...", dit-elle et l'instant d'après elle se dégage de l'infirmier. Par la suite ni les infirmiers ni la baronne elle-même ne pourront expliquer sa réaction. Les vents noirs s'étaient alors emparés d'elle, c'est en ces termes que Spera von Truchseß désignait elle-même ses propres réactions. La proximité de l'infirmier, pour lequel d'un côté elle éprouvait du désir, mais que de l''autre elle considérait comme un paysan balourd, intensifiait à chaque fois la tempête émotionnelle qui la saisissait. C'était comme si sa raison perdait tout contrôle sur son désir physique. Spera glisse sa chemise de nuit sur sa tête. Les regards des hommes en disent long. Son corps de femme de quarante ans entre toujours dans les mêmes corsets qu'elle portait quand elle avait dix-sept ans. "Une baronne - la cousine du roi Louis II de Bavière - telle que Dieu l'a créée… », annonce-t-elle. Spera se met à rire et jette la chemise de nuit sur le baril de bière sur lequel les infirmiers viennent de jouer aux cartes. La cicatrice d'une opération chirurgicale qu'elle a subie au ventre n'a rien ôté à sa beauté. À cette époque, les médecins assuraient à leurs patientes que l'ablation de l'utérus pourrait améliorer la condition des femmes souffrant d'émotions violentes. On lui avait dit que si l'utérus n'était pas régulièrement «nourri» de sperme, le symptôme d'instabilité émotionnelle était particulièrement prononcé. Spera avait subi l'opération il y a dix ans - dans un hôpital de Paris. Elle avait su que son désir d'enfant resterait un rêve, mais elle avait espéré sauver son mariage et sa réputation. Cependant, aucune des promesses des médecins n'avait été tenue. Son mari ne veut plus rien savoir d'elle et elle passe les plus belles années de sa vie dans un asile! " Est-ce que ce balourd de Jennerwein a déjà regardé dans la boîte à bijoux d'une vraie baronne?", demande-t-elle en rse oulant sur le sol. Elle écarte les jambes tout en ignorant son mal au ventre ; ses intestins hurlent pour qu'ils soient enfin vidés ! Jennerwein la recouvre rapidement d' une couverture. Elle donne des coups de pied aux hommes. Elle parvient à attraper la main de Jennerwein et la mord profondément. Il se met à crier de douleur, ce qui déclenche en elle un sentiment de profonde satisfaction. Son camarade Meier, — c'est ce qui a été écrit dans le procès-verbal —, se dépêche d'aider Jennerwein. Il a agrippé les cheveux noirs de la baronne, ce qui a mis fin à la morsure. Jennerwein avait l'air blafard, ont rapporté ses collègues. Les dents de la baronne ont entamé sa chair entre le pouce et l'index - jusqu'à l'os et ont laissé leur empreinte. Cet homme qui se désignait lui-même comme un braconnier, mais qui visiblement ne supportait pas la vue du sang, s'était écroulé devant tout le monde. Ses collègues ont sanglé la baronne dans son lit aux bras et aux jambes. La baronne les a insultés d'une manière vulgaire qui ne correspondait pas à l'image qu'elle donnait au professeur et aux médecins pendant la journée. Les infirmiers ne savaient pas se comment se tirer d'une telle situation. Ils laissèrent la baronne, folle à leurs yeux, seule dans sa chambre, espérant qu'elle se calmerait avec le temps. Une heure plus tard, le calme était enfin revenu. L'infirmier Meier avait jeté un coup d'oeil dans la chambre de la baronne. Le lendemain, lors de l'interrogatoire à la gendarmerie, il a expliqué qu'il avait seulement voulu fermer les fenêtres parce que la chaleur de la nuit de juin avait fait place à l'arrivée de la pluie.Dans le secteur des patients payants où l'incident s'était produit, il n'y avait qu'une seule fenêtre dépourvue de barreaux. Cela avait été un manquement des infirmières qui ne l'avaient pas fermée cette nuit-là. Ce jour-là, l'infirmier Jennerwein avait gardé la clé dans une poche de sa tunique de travail blanche. Mais on ne trouva aucune trace de la clé. Des infirmiers, des médecins et des infirmières ont fouillé les lieux. Ils ont également tiré les malades des 2e et 3e classes de leur sommeil. Le moment de l'évasion de la baronne n'a pas pu être déterminé avec précision. Les infirmiers se sont contredits lors que la question de la dernière tournée de surveillance leur fut posée. C'était le 9 juin 1886, vers 6 heures du matin. Il pleuvait. Le grain avait déjà commencé à pourrir dans le domaine qui appartenait à l'institution - et cette année-là, pour de nombreuses personnes ce fut un sombre présage de nature biblique. Quatre jours plus tard, le corps du roi bavarois Louis II flottait dans le lac Starnberg. Il était mort dans des circonstances mystérieuses. On a parlé de coups de feu entendus dans la nuit de sa mort. Outre le cadavre de Sa Majesté, celui du psychiatre et directeur médical de l'asile du district de Haute-Bavière baignait dans les eaux du lac: le professeur Bernhard Aloys von Gudden. Spera von Truchseß s'était cachée pour aider Sa Majesté, comme cela s'est avéré plus tard. Ce qui avait commencé comme un banal besoin quotidien était devenu une affaire d'État.
© Michael Seitz ,tous droits réservés, et Luc-Henri Roger pour la traduction.
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