- Les souvenirs wagnériens de Robert von Hornstein (1)
- Les souvenirs wagnériens de Robert von Hornstein (2)
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En 1911, suite à la publication des mémoires de Richard Wagner, le fils de Robert von Hornstein s'insurgea contre certaines appréciations concernant son père qu'il y trouva. Le Ménestrel du 10 juin 1911 en rendit compte dans l'article que voici :
Les représailles commencent contre les mémoires de Wagner, et peut-être ne sont-elles pas près de finir. Dans un long article publié par les Dernières nouvelles de Munich, M. Ferdinand de Hornstein conteste, non sans une véhémence bien naturelle, certaines appréciations de Wagner qui lui semblent susceptibles de porter atteinte à la mémoire de son père. L'autobiographie wagnérienne renferme en effet plusieurs passages où ne perce ni une bienveillance extrême pour Robert de Hornstein, ni une grande admiration pour ses talents, mais l'ironie un peu lourde et la manière assurément peu délicate de Wagner dans ces passages n'a rien d'injurieux et les moyens de défense employés par M. Ferdinand de Hornstein, certainement bien faits pour réjouir le public, ne portent pas beaucoup plus haut. C'est la vie entière et la carrière honorable de Robert de Hornstein, qui peut montrer réellement ce qu'il fut, comme artiste et comme homme. Né à Stuttgart en 1833, il mourut à Munich en 1890. On a de lui deux opéras, Adam et Eve et l'Avocat de village, une musique mélodramatique pour Comme il vous plaira de Shakespeare et pour Déborah de Mosenthal, des lieder, des morceaux de piano et aussi des mémoires qui ont paru en 1908. Wagner s'était intéressé à lui, parce qu'il se montrait, comme lui-même, grand admirateur de Schopenhauer. Tous les deux se trouvant à Zurich pendant le séjour de Wagner dans cette ville, il se passa une scène parfaitement ridicule et bien faite pour mettre en relief le manque de tact de Wagner. Le récit en est publié pour la première fois, paraît-il, dans l'article de M. Ferdinand de Hornstein, mais il fut écrit par Robert de Hornstein lui-même dans les termes suivants :
Edouard Manet — Un bar aux folies Bergère (1882) (détail)
« On m'a dit qu'il était d'usage, lorsque l'on était invité chez Wagner, d'apporter avec soi quelques bouteilles de vin. Je n'avais pas eu l'occasion de le savoir, mais quand même je l'eusse su, je n'aurais pas trouvé convenable d'entrer dans une maison habitée par des personnes distinguées avec des bouteilles de vin dans les poches de mes vêtements. Or donc, l'anniversaire de naissance de Wagner survint. Une invitation à dîner s'ensuivit, Je croyais trouver à table une nombreuse société ; je fus très surpris de ne voir comme convive que Baumgartner, directeur d'une société chorale... Je me dis : Wagner veut fêter sans cérémonie son anniversaire. La petite société fut très gaie. On arriva au dessert. Alors, prompt comme la détente d'un coup de pistolet, Wagner dit à sa belle-sœur de lui apporter le prix courant de vente des vins d'une maison voisine. La jeune dame se leva tout hésitante et apporta l'objet demandé. Wagner parcourut les marques des vins de Champagne et choisit une bouteille de qualité moyenne qu'il envoya chercher. La bouteille fut bientôt vidée et Wagner se tournant vers nous, ses deux hôtes, s'écria, pendant qu'un mielleux sourire se jouait sur ses lèvres: «Dois-je aussi, à chacun de vous deux, messieurs, offrir encore un thaler? » Les deux dames présentes, la belle-soeur et la femme de Wagner, prirent aussitôt la fuite, comme dans Tannhäuser les invitées de la Cour à la fin de la scène de la Wartbourg. Baumgartner et moi, nous avions l'impression que le mieux eût été de jeter nos verres à la tête de notre aimable amphitryon. Ne l'ayant point fait, nous prîmes, après un instant, le parti de rire. Nous remerciâmes, toujours en riant, notre hôte de son accueil si amical et nous prîmes congé. Les deux dames s'étaient éloignées et ne reparurent pas. Une fois dehors, Baumgartner me déclara qu'il n'accepterait plus jamais une invitation chez Wagner. Quant à moi je sentis se fortifier ma résolution de quitter Zurich, et je pus aussi me rendre compte que, pas plus que moi, Baumgartner ne considérait qu'une invitation à dîner devait être considérée comme une partie de plaisir en pique-nique».
Certes, il eût été dommage pour nous que M. Ferdinand de Hornstein imitât la discrétion de son père en ne publiant pas ce fragment. Nous devons ajouter, toutefois, que Robert de Hornstein fit preuve d'esprit en ne tenant pas rigueur à Wagner pour son inconvenance. Wagner, du reste, s'en était excusé auprès du compositeur Alexandre Ritter, disant qu'il avait à tort traité ses deux convives comme des « princes allemands » et ajoutant : « De tels princes vont entendre mes opéras et ont de l'enthousiasme pour ma personne, mais que m'en revient-il ? Pas un seul d'entre eux n'aurait seulement l'idée de m'envoyer une caisse de bouteilles de vin ». Ces derniers renseignements nous viennent, comme ce qui précède, de M. Ferdinand de Hornstein dont les représailles ne se bornent pas à l'histoire du dîner ; il publie des lettres de Wagner dans lesquelles de nouveau s'affirment les faiblesses et les tares bien connues de caractère du maître. Nous y reviendrons à l'occasion.
(À suivre)