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Perdu au supermarché : la version de Ginsberg

Par Gui10sto
Perdu au supermarché : la version de GinsbergI'm all lost
I'm all lost
I'm all lost
I'm all lost in the supermarket (...)

En 1979, les Clash chantaient qu'ils étaient paumés dans le supermarché. Mais plus de vint ans auparavant, de l'autre côté de la grande mare étiquetée Océan, Allen Ginsberg écrivait un poème rempli lui aussi de supermarché, de grande distribution américaine et de Walt Whitman. En voici un extrait, tiré de la version de Christian Bourgois Howl et autres poèmes (traduction Robert Cordier).
"Un supermarché en Californie
Voilà ce qui me vient à ton propos ce soir, Walt Whitman, car j’ai arpenté les contre-allées, gêné par un mal de tête, et j’ai regardé la pleine lune à travers les arbres. Fatigué et affamé, cherchant des images à consommer, je suis entré dans un supermarché aux fruits de néon, en rêvant à tes énumérations !
Quelles pêches et quelles éclipses ! Des familles entières qui font leur course en pleine nuit ! Des allées pleines de maris ! Les femmes dans les avocats, les bébés dans les tomates — et toi, Garcia Lorca… Que faisais-tu parmi les pastèques ?
Je t’ai vu, sans enfants, Walt Whitman, vieux tripoteur solitaire, farfouiller dans les viandes du réfrigérateur, tout en matant les jeunes livreurs.
Je t’ai entendu poser des questions à chacun. Qui a tué ces côtes de porc ? Combien les bananes ? Veux-tu être mon bon ange ? J’ai fait des allées et venues entre les étincelantes piles de boîtes de conserve en te suivant, suivi à mon tour, imaginais-je, par le vigile du magasin.
Nous avons parcouru ensemble des allées dégagées, unis par nos chimères solitaires, goûté des artichauts, savouré des friandises glacées, sans jamais passer à la caisse.
Où aller maintenant, Walt Whitman ? Les portes ferment dans une heure. Quelle direction indique ta barbe ce soir ? (Je pose la main sur un livre de toi, je rêve à ton odyssée dans un supermarché et je me sens idiot.)
Marcherons-nous toute la nuit dans des rues désertes ? Les arbres ajoutent de l’ombre à l’ombre ; les lumières dans les maisons seront éteintes et nous nous sentirons tous deux solitaires.
Flânerons-nous en regrettant l’Amérique de l’Amour, le long d’automobiles bleues, jusqu’à notre petite maison silencieuse ?
Ah, cher père, chère barbe-grise, vieux professeur de courage,
Quelle Amérique était la tienne, quand Charon a cessé de pousser son bac, que tu es descendu sur la berge fumante et que tu as regardé son bateau disparaître sur les eaux noires du Léthé ?"

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