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07/05/2020 – DOSSIER MONDE. « Risque d’extinction de communautés indigènes en Amérique latine » Par Rosa MOUSSAOUI

Publié le 07 mai 2020 par Particommuniste34200

Les peuples autochtones, déjà affectés par une grande vulnérabilité sociale, économique et sanitaire, sont les plus exposés à la pandémie. Elle se conjugue, pour le pire, à des crimes environnementaux en plein essor.

Il est apparu plusieurs fois en larmes à la télévision, décrivant des « scènes de film d’horreur ». Ce mercredi, Arthur Virgilio, maire de Manaus, la capitale de l’Amazonie brésilienne, submergée par la pandémie de Covid-19, a encore lancé un déchirant appel au monde : « Pendant des décennies, nous avons joué un rôle important pour la santé de la planète, en conservant 96 % de notre forêt d’origine. Maintenant, en retour, nous avons besoin de personnel médical, de ventilateurs, d’équipements de protection, de tout ce qui peut sauver les vies de ceux qui protègent la grande forêt. » Jusqu’ici, l’État d’Amazonas, le plus touché du Brésil, a enregistré, selon les chiffres officiels, 649 décès dus au coronavirus. Le système de santé public est au bord de l’effondrement : plus de 95 % des lits en réanimation sont occupés et la région présente le taux de létalité le plus haut du pays.

Comme redouté, les populations indigènes, déjà affectées par une grande vulnérabilité sociale, économique et sanitaire, sont les plus exposées à la pandémie et à ses conséquences. Certaines communautés en danger interdisent désormais l’entrée de leur territoire aux étrangers, mais le sort des indigènes vivant en zone urbaine, dans la pauvreté, est tout aussi préoccupant. C’est en fait une véritable crise humanitaire qui s’installe.

Pauvre et isolée, l’Amazonie colombienne, touchée à son tour

Depuis l’épicentre brésilien, le coronavirus s’est frayé un chemin dans la forêt, propagé par les intrus : orpailleurs clandestins, pilleurs de bois et grileiros qui profitent de la suspension des patrouilles pour défricher des terres qu’ils accaparent. Pauvre et isolée, l’Amazonie colombienne, touchée à son tour, détient déjà, aux confins sud du pays, le funeste record du taux de Covid-19 le plus élevé, avec 30 cas pour 10 000 habitants. Un bilan probablement sous-évalué, faute de moyens de dépistage. « Ici, il n’y a pas d’eau potable, le système de santé est très précaire. Si le virus se propage, les morts seront inimaginables », se désespère Arley Canas, un Inga vivant dans la réserve d’Uitiboc. L’Organisation nationale indigène de Colombie va jusqu’à redouter un « risque d’extinction » des populations autochtones.

L’inquiétude est particulièrement vive pour les communautés isolées. « L es indigènes qui vivent en isolement volontaire sont spécialement vulnérables aux maladies infectieuses, du fait qu’ils n’ont aucune immunité face à la majorité de ces maux », résume Claudette Labonte, une porte-parole de la Coordination des organisations indigènes du bassin amazonien.

La crise sanitaire présente ravive, de ce point de vue, une mémoire douloureuse : celle de la colonisation bien sûr, avec des peuples décimés par les maladies apportées par les conquérants, mais aussi celle des années 1960 et 1970, quand la varicelle, la rougeole et la ­coqueluche, propagées par l’expansion des plantations d’hévéa, semaient la mort, tuant, dans certains villages, jusqu’à la moitié de la population.

Une gigantesque fuite de pétrole brut prive d’eau et de pêche 27 000 indigènes

Pour ces communautés fragilisées, la crise sanitaire se conjugue aujourd’hui pour le pire avec la destruction de leur habitat et des crimes environnementaux en plein essor. Encouragée par Bolsonaro avec son projet de loi qui « propose la libération des territoires autochtones pour l’exploitation des minéraux et des ressources en eau », la déforestation, au Brésil, bat son plein. D’après les données relevées par satellite, elle est en hausse de 71,2 % par rapport à la même période en 2019. Dans un autre registre, en Équateur, plusieurs dizaines de communautés indigènes viennent de saisir la justice contre les entreprises pétrolières et l’État, après une gigantesque fuite de pétrole brut qui a pollué la rivière Napo, un affluent de l’Amazone, privant d’eau et de pêche 27 000 indigènes des ethnies kichwa et shuar, en pleine crise sanitaire.

Avant la pandémie, déjà, les peuples autoch­tones étaient engagés dans une lutte historique pour leur survie . « Il y a longtemps, notre maison a été envahie par des gens qui ne pensaient qu’à la richesse. Ils sont entrés et nous ont tués avec des maladies que nous ne connaissions pas, écrit Francineia Fontes, du peuple Baniwa, dans un texte publié par Amazonia Real. Nous sommes originaires de cette terre et nous sommes fiers d’appartenir à des peuples qui luttent pour délimiter leurs territoires, ­résistent et continuent d’exister. Avec ou sans pandémie, nous continuerons. »

BRESIL. « À Manaus, on se croirait dans un film d’horreur  » Par Lina SANKARI

07/05/2020 – DOSSIER MONDE. « Risque d’extinction de communautés indigènes en Amérique latine » Par Rosa MOUSSAOUI

La métropole amazonienne, qui affiche le plus haut taux national de contaminations et de décès dus au coronavirus, lance un appel à l’aide. En cause, une urbanisation anarchique, un système de soins en crise et centralisé à l’extrême. À l’avenir, la hausse de la déforestation pourrait aggraver la situation sanitaire.

En bordure de la forêt, un champ de cercueils. Dix-sept rangées de vingt-sept croix bleues plantées à la va-vite. À quelques mètres des familles qui n’ont pu accompagner leur proche en fin de vie, des tractopelles s’activent pour creuser des fosses communes. Devant les cimetières, un embouteillage de corbillards. Manaus est dépassée par l’ampleur de l’épidémie. « On se croirait dans un film d’horreur », admet le maire Arthur Neto. La métropole amazonienne accuse le plus haut taux des vingt-sept capitales d’État du Brésil.

Les morts côtoient les vivants

Tout manque : les soignants contraints de travailler même contaminés, les lits d’hôpitaux, le matériel sanitaire, les respirateurs, les fossoyeurs malades ou morts à leur tour, les cercueils dont les stocks n’excèdent pas cinq jours. « J’utilise une cape de pluie pour me protéger », explique un physiothérapeute. Au sein des unités de soins, les morts côtoient les vivants. Ceux qui meurent chez eux ne peuvent bénéficier d’aucune assistance médicale. Dans des camions frigorifiques, les cadavres s’entassent en attendant une sépulture. Depuis une semaine, la moyenne des enterrements y est d’une centaine par jour au lieu de vingt à trente en temps normal. L’État d’Amazonas dénombre officiellement 380 décès du nouveau coronavirus pour 5 511 au Brésil, le pays le plus durement touché d’Amérique du Sud. Les chiffres réels seraient douze à quinze fois plus élevés, selon les spécialistes.

« Un état de calamité absolue »

Selon le syndicat des médecins, plus de 500 professionnels ont quitté la zone en quête de meilleures conditions de travail. Tous décrivent un système de santé déjà en apoplexie. La ville ne compte qu’une cinquantaine de lits en soins pour deux millions d’habitants. « On ne peut plus parler d’état d’urgence, c’est un état de calamité absolue », concède Arthur Neto. La région a fait appel en urgence à des médecins de tout le pays, construit un hôpital de campagne et demandé des fonds au gouvernement fédéral pour faire face. Si tout cela se révélait insuffisant, Manaus pourrait demander l’aide d’autres pays. La ville, développée à la va-vite autour d’une zone franche durant la dictature, oscille entre l’insolence de ses tours et l’indignité de ses bidonvilles. Cette explosion démographique anarchique est aujourd’hui la meilleure alliée du virus.

L’extrême centralisation des soins en Amazonas

« Si j’habitais à Manaus, je serais très inquiet », expliquait, le 7 avril, dans une impuissance quasi totale, Luiz Henrique Mandetta, le ministre de la Santé depuis limogé par le président d’extrême droite Jair Bolsonaro avec lequel il était en désaccord sur la gestion de la crise. La situation est d’autant plus préoccupante que, dans cet État, les unités de soins intensifs et 80 % des médecins habilités aux traitements sont concentrés à Manaus. « La plupart des villages ne sont reliés à Manaus que par voie fluviale, les liaisons aériennes sont très limitées », rappelle Bernardo Albuquerque, spécialiste des maladies infectieuses à l’Université d’Amazonas (UFAM). Les malades doivent parfois supporter plusieurs jours de navigation pour espérer être soigné. « Quand le patient parvient à arriver en vie, il se trouve souvent dans un état déplorable, sans aucune garantie de pouvoir être soigné. C’est une situation dramatique », conclut le maire.

Boom de la déforestation

Autre paradoxe : alors que la destruction des écosystèmes favorise l’émergence des épidémies, la déforestation de la partie brésilienne de l’Amazonie a augmenté, en mars, de 30 % par rapport à la même période l’an dernier. Le niveau mensuel le plus élevé depuis dix ans. Selon l’Institut national de recherche spatiale du Brésil (INPE), 326 km2 de forêt auraient été rasés, soit l’équivalent de trois fois la superficie de Paris. 

Les orpailleurs et voleurs de bois profitent de la réduction des patrouilles de la police environnementale pour s’adonner à ces raids illégaux, d’une certaine manière encouragés par Jair Bolsonaro qui donnait son feu vert en février dernier à un projet de loi favorisant l’exploration minière et agricole des territoires indigènes. « J’espère que ce rêve va se concrétiser », disait-il alors, faisant une nouvelle fois montre de son inconséquence.

07/05/2020 – DOSSIER MONDE. « Risque d’extinction de communautés indigènes en Amérique latine » Par Rosa MOUSSAOUI
07/05/2020

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