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Les souvenirs wagnériens de Robert de Hornstein (6) Une correspondance qui tourne à l'aigre.

Publié le 09 mai 2020 par Luc-Henri Roger @munichandco
Les souvenirs wagnériens de Robert de Hornstein (6) Une correspondance qui tourne à l'aigre. Si vous ne les avez lus il vous est loisible d'abord connaissance des quatre posts précédents consacrés aux relations de Robert von Hornstein et Wagner :

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Le journal L'Excelsior revient dans son édition du 6 juin 1911 sur la rupture qui intervint entre les deux compositeurs suite au refus de Hornstein de mettre une de ses maisons à la disposition de Maître Wagner. C'est dans cet article que l'on peut retrouver la retranscription la plus complète de la correspondance entre les deux hommes.
Une Correspondance inédite de Wagner
Wagner ne sollicitait pas des services de ses amis ; il les exigeait au nom de la souveraineté du génie. C'est ce que prouve l'incident qui interrompit ses relations avec M. de Hornstein.
Deux cycles de « la Tétralogie » à l'Opéra, l'un avec Mottl, l'autre avec Nikisch, d'une part, et, d'autre part, la publication en Allemagne des fameux mémoires de Richard Wagner, sous le titre de Ma Vie, voilà qui atteste que le wagnérisme n'est pas, comme certains l'ont hasardé, en déclin, et qui remet Wagner d'actualité.
Ma Vie va incessamment paraître en français. Déjà, en Bavière, la publication de ces mémoires a soulevé nombre d'incidents. Wagner avait l'esprit autoritaire et tyrannique. Il exigeait beaucoup de ses amis et, avec l'emportement et la virulence du génie, il en a jugé plusieurs sans indulgence. Ces querelles, outre leur intérêt particulier, présentent cet intérêt majeur d'éclairer le caractère hautain et douloureux de Wagner.
L'un de ces incidents est celui qui a été suscité par la famille de Hornstein — qui a bien voulu nous communiquer la correspondance inédite que nous publions aujourd'hui.
Le baron Ferdinand de Hornstein s'est décidé à cette divulgation afin de répondre à certains propos des mémoires de Wagner où celui-ci présente son père, le baron Robert de Hornstein (un gentilhomme qui fut aussi un compositeur estimé et un ami des arts) sous des traits assez satiriques.
« Le hasard, dit-il, m'a fait rencontrer ici une de mes anciennes connaissances : le jeune M. de Hornstein ; je l'ai présenté pomme « baron », à mes amis. Sa silhouette cocasse et ses manières godiches furent pour eux un sujet d'amusement. »
Dans un autre passage, Wagner, au sujet de l'événement qui interrompit ses relations avec M. de Hornstein, écrit :
« L'idée me vint de me chercher un séjour tranquille dans les environs de Mayence avec l'appui financier de Schott. Celui-ci m'avait parlé d'une jolie propriété appartenant au jeune baron de Hornstein et située dans cette région ; je croyais vraiment lui faire honneur en lui écrivant à Munich pour demander la permission de m'installer pour quelque temps dans son bien en Rhingau. Je fus, au contraire, tout confus en ne recevant pour réponse que l'expression de l'effroi au sujet de mon exigence. »
De son côté, le baron de Hornstein a laissé un commentaire de l'incident. Il déclare que « la somme élevée et le ton de la lettre avaient facilité son refus, qu'en outre il tenait Wagner pour un « panier percé », qu'enfin le passage ou Wagner dit : « Votre aide vous rendra intime avec moi » l'avait particulièrement froissé. Leur amitié antérieure n'avait-elle qu'une préparation au « tapage » futur ?...
Mais voici cette suggestive correspondance plus éloquente que tout commentaire. Elle constitue un exemple typique des rapports délicats entre l'homme de génie pauvre et les « mécènes » protecteurs. On y remarque la légitime circonspection de M. de Hornstein, mais surtout l'impérieuse angoisse de Wagner, qui voyait s'enfuir avec les jours les possibilités de réaliser l'œuvre sublime qu'il portait.
Wagner, alors à Paris, écrit :
                                                                                            19, QUAI VOLTAIRE. Paris, 12 déc. 1861.
Cher Hornstein,
   J'apprends que vous êtes devenu riche. Dans quelle tristesse je me trouve, vous pouvez le conclure facilement de mes insuccès. Je cherche mon salut dans l'isolement et dans un nouveau travail. Pour me permettre de suivre ce chemin, pour assurer mon existence, c'est-à-dire pour me libérer des obligations, des soucis et des tracas les plus pénibles qui me privent de toute liberté d'esprit, j'ai besoin immédiatement d'une avance de dix mille francs. Je pourrais alors régler de nouveau ma vie et continuer à créer.    Il vous sera, certes, difficile de me procurer cette somme. Mais vous le pourrez si vous le voulez et si vous ne reculez pas devant certains sacrifices. Et cela je l'exige, et en vous adressant cette prière je vous promets en retour de m'efforcer aussi, au cours de trois années, de vous restituer ce prêt sur mes recettes. Montrez donc si vous êtes un homme de caractère.    Si vous êtes cet homme pour moi — et pourquoi ne devrait-il pas enfin s'en trouver un ?... — votre aide vous rendra intime avec moi, et alors il faudrait que vous consentiez à m'accueillir auprès de vous, l'été prochain, pour trois mois environ, dans un de vos biens, de préférence en Rhingau.    Je ne veux plus rien vous dire aujourd'hui. Toutefois, en ce qui concerne le secours que je vous emprunte. je tiens à vous mentionner que ce serait déjà pour moi un soulagement considérable si je ne recevais immédiatement même que six mille francs. Je compte pouvoir alors faire en sorte de n'avoir besoin du complément qu'au mois de mars...    Cependant, pour être tout à fait soulagé, et j'en ai tant besoin, dans l'état d'âme où je suis — il serait préférable que j'ai tout de suite toute la somme.    Et voilà !... Et maintenant, espérons qu'un jour aussi le soleil luira un peu sur ma vie. Vraiment, j'ai, besoin de succès, sinon, je le crois bien, rien n'ira pus.
Votre RICHARD WAGNER.
A cette lettre, le baron Robert de Hornstein répondit :
Cher monsieur Wagner,
   Vous me paraissez vous faire une fausse idée de mes « richesses ». Je possède une jolie fortune, qui me permet de vivre convenablement et sans prétention avec ma femme et mon enfant. Vous devriez plutôt vous adresser à des personnes vraiment riches, et il y en a suffisamment dans toute l'Europe parmi vos protecteurs et vos protectrices.    Je regrette beaucoup de ne pouvoir vous satisfaire. En ce qui concerne votre séjour prolongé sur "un de mes biens" , je ne suis pas présentement organisé pour un pareil séjour, et si jamais je devais l'être je vous le ferai savoir.   C'est avec un vif regret que j'ai lu dans les journaux que la représentation de Tristan et Yseult n'aboutirait pas encore cet hiver. J'espère que ce n'est qu'une question de temps et que nous pourrons tout de même  entendre cette œuvre.    Mes salutation les plus amicales, ainsi qu'à votre honorée dame.
ROBERT DE HORNSTEIN.
Là-dessus, Wagner répliqua :
Paris, 27 décembre 1861.
Cher monsieur de Hornstein,
   Je croirais manquer à mon devoir en ne vous blâmant pas de la réponse que vous m'avez faite. Bien qu'il soit très difficile désormais qu'un homme de ma qualité s'adresse à nouveau à vous, le seul fait, cependant, de vous signaler l'inconvenance de vos paroles vous sera déjà une bonne leçon.   Vous ne deviez me donner aucun conseil, pas même me désigner les gens véritablement riches et vous deviez considérer comme mon affaire personnelle les raisons pour lesquelles je ne me suis pas adressé aux admirateurs et admiratrices auxquels vous faites allusion.    Si vous n'êtes installé dans aucun de vos biens de façon à me recevoir, que ne saisissez-vous l'occasion que je vous offrais de vous illustrer ? Il fallait arranger immédiatement le nécessaire là où je le désirais. Mais me laisser entrevoir que vous me ferez connaître un jour le moment où vous y serez installé, ce n'est là qu'une offense.    Le souhait que vous exprimez enfin à propos de mon Tristan, vous auriez dû vous en abstenir. Vous ne pourriez avoir, en effet, d'autre excuse à une telle réponse que d'ignorer complètement mes œuvres. Ainsi, que l'affaire soit terminée. Je compte sur une discrétion réciproque, comme je vous en fais promesse.
Votre dévoué, RICHARD WAGNER.
Cette lettre violente et hautaine mit fin à l'incident.

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