Il y a plus de deux mois, un jeune joggeur noir a été tué, en Georgie, par deux hommes blancs, aussitôt relâchés par la police. Après la publication d’une vidéo et une vague d’indignation, les meurtriers ont finalement été inculpés.
Il a fallu deux mois après le meurtre d’un jeune homme noir de 25 ans et deux jours après la publication d’une vidéo tout autant qu’une vague d’indignation dans le pays pour que les deux auteurs blancs – père et fils – soient enfin arrêtés et inculpés. L’histoire ne se déroule pas dans l’Amérique de William Faulkner mais dans celle de Donald Trump, où les démons raciaux ressurgissent à intervalles réguliers.
Les faits remontent au 23 février dernier. Ils se déroulent dans un quartier résidentiel nommé Satilla Shores, dans l’État de Georgie, le huitième du pays par sa population. Nous sommes dans le Sud, où flottent encore parfois les drapeaux de l’ex-Confédération et où plus de 80 % des blancs votent pour le parti républicain. Ahmaud Arbery fait son jogging. Il a l’âme sportive. Au lycée, déjà, il se distinguait par ses qualités de footballeur. Il pratique régulièrement la course à pied, en partant de la maison où il vit avec sa mère. Ce jour-là, à 1 heure de l’après-midi, il passe devant la demeure de Gregory McMichael, 64 ans. Celui-ci le prend pour un cambrioleur en fuite, appelle son fils Travis, 34 ans. Les deux s’emparent d’armes (dont un .357 Magnum), montent dans leur pick up, poursuivent le jeune homme. Le fils tente de l’arrêter. Ahmaud Arbery se débat, échappe à l’emprise de son agresseur, mais quelques foulées plus tard s’écroule, frappé par une balle,puis une seconde.
Ahmaud Arbery a été tué en faisant son jogging par deux hommes blancs armés. Dans le comté de Glynn, cela donne ça : la police entend les auteurs, qui affirment qu’ils avaient agi en état de légitime défense, puisqu’un homme noir avait été vu dans une maison vide, comme en atteste un appel à la police ; sans investiguer, les enquêteurs donnent crédit à cette thèse et relâchent les McMichael, puis passent un coup de fil à Wanda Cooper Jones pour l’informer que son fils avait été impliqué dans un cambriolage et était décédé. La vie peut suivre son cours.
Sauf qu’une vidéo existe. Tournée par un voisin, elle refait surface la semaine dernière. Elle révèle clairement au monde entier la réalité des faits : un lynchage. Les réactions – de militants des droits civiques, de Black Lives Matter, de personnalités (comme la basketteur LeBron James ou la réalisatrice Ava DuVernay), de pasteurs, d’élus (dont le probable nominé démocrate, Joe Biden qui a dénoncé un meurtre de « sang froid ») – obligent les autorités à rouvrir le dossier. On apprend ainsi que Gregory McMichael, a, pendant 30 ans, été policier puis inspecteur pour les services du procureur. Ce statut a conduit le procureur en exercice au moment des faits, un certain George Barnhill, à se dessaisir de l’affaire non sans avoir préalablement remis un avis à la police digne de la période de la ségrégation: il n’y a pas, selon lui, de causes suffisantes pour émettre un mandat d’arrêt; de plus c’est Ahmaud Arbery qui aurait « initié la lutte » avec Travis McMichael, autorisant, au regard des lois de l’Etat, les deux hommes « à user de la force mortelle pour se protéger. »
Le 8 mai, le jeune homme tué aurait fêté ses 26 ans. Des militants avaient demandé à toutes les personnes les volontaires de courir 2.23 miles (23 février : la date du meurtre du jeune homme) et de poster la vidéo sous le mot clé #IRunWithMaud. Finalement, la veille de cette initiative, la police a enfin arrêté les deux meurtriers qui ont ensuite été inculpés. L’indignation et la mobilisation ont permis que, dans la Georgie de 2020, l’impunité ne soit plus la règle. Mais le chemin vers la justice est sans doute encore long.
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