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Focus sur Lynette Yiadom-Boakye

Publié le 12 mai 2020 par Aicasc @aica_sc

©artprice

Lynette YIADOM-BOAKYE (1977) réalise des portraits, non pas des portraits posés mais des portraits d’improvisation. Elle les exécute rapidement, avec ce rituel d’une toile peinte en une seule journée. Ses œuvres sont donc exécutées avec intensité, à coups de pinceau brefs et expressifs. La palette met en exergue des tonalités sombres, ce qui baigne le sujet dans une ambiance dramatique, contrastée par quelques éclairs de lumière. Si le genre (le portrait) dans lequel excelle l’artiste est maintes fois vu et revu, pour ne pas dire éculé tant c’est un grand classique de l’histoire de l’art, sa peinture est pourtant profondément neuve. En effet, l’artiste met la figure noire au centre tout en détournant les codes culturels de l’histoire de l’art occidental (pose des personnages, cadrages, anachronismes vestimentaires), ce qui permet d’ouvrir plusieurs fenêtres culturelles en même temps et de brouiller les pistes.

La mécanique de parodie picturale dans la peinture de Yiadom-Boakye est à observer par le prisme de l’histoire de l’art britannique pour en saisir toute la portée. Remontons le temps, jusqu’au Londres des années 80′. Des artistes engagés sur les questions identitaires écrivaient alors des chapitres essentiels de la création, à travers le British Black Art et les Black Women Artists. Cela fait donc plus de 40 ans que les artistes anglais issus de diasporas africaines abordent les grandes problématiques liées à la représentation du corps noir. Lynette Yiadom-Boakye s’inscrit dans cette histoire là. Considérée comme une contribution essentielle à la renaissance de la peinture de la figure noire, son travail a intégré les collections permanentes d’importants musées à Londres comme la Tate.

Un pont d’or à la Tate

En l’annonçant sa première grande rétrospective du 20 mai au 31 août 2020, la Tate à Londres (fermée actuellement) faisait un pont d’or à l’artiste, tout en poursuivant l’un de ses grands axes de travail, qui est d’écrire l’histoire de l’art britannique sans omettre les artistes issues des diasporas. Il y a 10 ans, une première exposition à la Tate retraçait l’impact des artistes et intellectuels noirs dans la formation du modernisme du début du 20e siècle à nos jours. Sous le titre Afro Modern: Journeys through the Black Atlantic, l’exposition dressait un portrait de l’hybridité visuelle et culturelle dans l’art moderne et contemporain, en regroupant des artistes comme Picasso, Kara Walker, Isaac Julien, Adrian Piper, Ellen Gallagher, Chris Ofili. En 2011, l’institution invitait Lubaina Himid, une figure de proue du British Black Art dont le travail sur l’invisibilité de la diaspora africaine lui valu d’être décorée dans l’ordre de l’Empire britannique pour services rendus à la cause des artistes noires. Deux ans plus tard, en 2013, la Tate faisait entrer dans ses collections une œuvre très politique d’Eddie Chambers (intitulée Destruction of the National Front). Connu pour son travail sur la dualité entre l’identité britannique et le fait d’avoir la peau noir, Eddie Chambers a joué un rôle fondamental dans la ré-écriture du paysage artistique et intellectuel de l’Angleterre. Son livre Black Artists in British Art: A History Since the 1950s (paru en 2014, ré-édité en 2015) replace les artistes noirs dans l’histoire de l’art britannique, sans oublier Lynette Yiadom-Boakye citée parmi les artistes récemment acclamés. Peu avant la parution de l’ouvrage, la jeune femme venait d’être nominée au Turner Prize aux côtés des artistes Laure Prouvost, David Shrigley et Tino Sehgal ; et exposée sur l’un des plus prestigieux événements du monde de l’art, la Biennale de Venise.

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Lynette Yiadom-Boakye. The Generosity, 2010. Huile sur toile, 180 x 200 cm. © Lynette Yiadom-Boakye © Tate digital photography

Des enchères déjà millionnaires

En 2013, tout est en place pour tester la demande sur le terrain enchères. Lynette Yiadom-Boakye à tout juste 36 ans mais bénéficie déjà d’un rayonnement impressionnant grâce à sa nomination au prix Turner, couplée à son exposition à la Biennale de Venise la même année. A Londres, Christie’s et Sotheby’s mettent en vente trois de ses œuvres à l’automne 2013. Les enchères prennent d’emblée : 84 000$ sont récoltés pour sa toile Politics, puis 235 220 $ le lendemain pour une toile attendue au mieux à 80 000$ selon l’estimation de Christie’s (Diplomacy II, vendue le 18 octobre).

Devant tant de succès, les sociétés de ventes accélèrent le rythme et soumettent 13 toiles aux enchères en 2014. La réception des œuvres est toujours aussi bonne à Londres, mais c’est en intégrant les catalogues de ventes new-yorkaise que l’artiste passe au cran supérieur. En 2017, Sotheby’s vend The Hours Behind You, une grande toile (250 cm) de 2011 pour près de 1,6m$, quatre fois son estimation haute. L’année des 40 ans de Lynette Yiadom-Boakye, son travail est donc millionnaire aux enchères.

Après une année 2018 plus calme, l’artiste est revenue sur en force dans l’actualité. Elle est acclamée sur le premier pavillon ghanéen de la Biennale internationale de Venise en 2019 où elle présente neuf œuvres ; tandis qu’à Londres, la société Phillips enregistre un nouveau coup de marteau millionnaire. La toile en question (Leave A Brick Under The Maple) dépasse de 430 000 $ l’estimation la plus optimiste (le 27 juin 2019).

La jeune artiste est la première étonnée par un tel engouement. Mais l’envolée des prix récompense un type de peinture qui est arrivée au bon moment. Au moment où les artistes femmes sont mises sur le devant de la scène pour la première fois de l’histoire et du marché, et où les acteurs du monde de l’art ont commencé à rechercher des travaux artistiques ancrés sur les questions de nations, de nationalisme, de frontières et de franchissements de frontières. Des questionnements qui ont pris un sens différent, mais d’autant plus fort, avec la crise liée au coronavirus…

progression du CALynette Yiadom-Boakye. Progression du produit de ventes aux enchères.


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