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Gouverner, c’est prévoir. gouverner, c’est décider et faire appliquer ses décisions.

Publié le 26 mars 2020 par Liberum_expressio
GOUVERNER, C’EST PRÉVOIR. GOUVERNER, C’EST DÉCIDER ET FAIRE APPLIQUER SES DÉCISIONS.

Par Youssef O.

Zéro prévision, zéro capacité à faire appliquer ses décisions. Ainsi peut se résumer la gestion calamiteuse de la crise sanitaire, découlant de la pandémie du COVID-19, par les autorités ivoiriennes. Il y a quelques années pourtant, à l'époque où le virus Ebola décimait les populations de deux pays limitrophes du notre, ces mêmes autorités avaient réagi de façon énergique, courageuse, responsable ; réussissant à nous préserver de cette terrible maladie et forçant l'admiration (même inavouée) des plus réfractaires au régime en place depuis 2011. J'exprime au passage toute mon admiration à Madame Raymonde GOUDOU COFFIE. Elle était un Ministre de la santé (1) digne de ce titre. On ne saurait en dire autant de son successeur...

Cette fois hélas, l'exécutif ivoirien (peut être trop occupé à faire passer sa réforme constitutionnelle) a gravement péché par une irresponsabilité mêlée d'incompétence manifeste.
Tout commence par le grand retard avec lequel les premières mesures ont été prises. Pendant que tous les Etats du monde commençaient à se barricader, nous on ouvrait au contraire nos frontières pour accueillir des personnes venant d'horizons divers à l'occasion du MASA (2). C'était le temps de l'insouciance, comme si on avait signé un accord avec le Coronavirus stipulant qu'il ne s'attaquerait pas à notre beau pays. ZÉRO PRÉVISION!

Mais s'il y a bien un épisode qui symbolise et illustre parfaitement tout l'amateurisme, la légèreté et l'irresponsabilité avec lesquels nos autorités ont géré la crise, c'est celui de l'INJS sur lequel j'insisterai particulièrement.
Décider d'une mise en quarantaine obligatoire des personnes en provenance de pays où sévit une maladie mortelle et hautement contagieuse, c'est le minimum que le bon sens commande à toute personne raisonnable.
Toutefois, pour qu'une telle mesure puisse prospérer, il faut respecter des conditions élémentaires :

  • Informer les personnes avant leur départ qu'elles seront mises en quarantaine dès leur arrivée sur le territoire ivoirien ;
  • Aménager un local approprié et offrant des commodités minimales pour recevoir les personnes mises en quarantaine car il ne s'agit pas d'une sanction mais bien d'une mesure préventive visant à protéger les populations. Il faudrait donc faire en sorte que la quarantaine soit la moins pénible possible pour les personnes qui y sont soumises.
  • Soumettre tout le monde aux mêmes conditions de mise en quarantaine, indépendamment du statut social, de la fortune, de la notoriété ou de toute autre considération.

Sur au moins deux de ces trois points, nos autorités ont failli.

Concernant le premier, je ne saurais trop m'avancer car j'ignore si les personnes mises en quarantaine à l'INJS avaient été informées au préalable du sort qui les attendait à leur arrivée à Abidjan. Au vu de leur réaction, on note cependant un certain étonnement de leur part, comme si elles avaient été surprises de leur acheminement vers un lieu de quarantaine. Il n'est aussi pas exclu que l'information leur ait été délivrée et qu'elles aient juste fait preuve d'une mauvaise foi exceptionnelle une fois sur le sol ivoirien.

Sur le deuxième point cependant, il est clair que l'INJS n'avait pas été aménagé pour recevoir des personnes mises en quarantaine. Les vidéos qui ont été partagées nous ont donné l'impression d'une grande impréparation et d'un cafouillage sans précédent. Mettre des gens en quarantaine, ce n'est pas aller les parquer tous ensemble dans un lieu et les surveiller pendant 14 jours. Il faut prévoir notamment des distances de sécurité et tout un tas de mesures d'accompagnement, comme par exemple trouver de quoi occuper les personnes. Des activités ludiques s'imposent, surtout que des enfants peuvent également être concernés par la quarantaine. Ce n'est pas par hasard que dans la plupart des pays, les autorités ont réquisitionné des hôtels (parfois haut de gamme) pour les mises en quarantaine. Comment voulez vous que des gens habitués à vivre dans un certain confort puissent accepter miraculeusement de passer au moins 14 jours privés de toutes commodités ? C'était tout simplement puéril de penser que cela aurait pu fonctionner.

Enfin, sur le troisième point : le deux poids - deux mesures.

Cet épisode de l'INJS nous a confirmé une chose que nous savions déjà depuis belle lurette : il y a les uns et les autres dans ce pays. Mais nous étions en droit d'espérer que face à une situation si périlleuse, nos autorités fassent preuve de plus de pudeur à défaut de responsabilité.

Comment pouvait-on espérer que les " citoyens lambdas " acceptent gentiment de moisir (permettez moi l'expression) à l'INJS pendant qu'on permettait aux " supers citoyens " de regagner leurs domiciles pour dormir dans leurs chambres climatisées et leurs lits douillets ? Nouvelle puérilité.

On apprit plus tard, par la voix de Madame la Ministre de la Salubrité, que cette décision d'autoriser certaines personnes à se soustraire de la mise en quarantaine à l'INJS venait directement du Premier Ministre. Le Chef du gouvernement en personne nous le confirma par des publications toujours visibles sur son compte Twitter et sur sa page Facebook. Selon ces publications, c'est devant le refus de certaines personnes de se soumettre à la mise en quarantaine obligatoire à l'INJS que le Chef du Gouvernement de la République de Côte d'Ivoire a " ordonné " à ces dernières de prendre toutes les dispositions nécessaires pour leur confinement à domicile (ce qui fut qualifié plus tard d' " auto-confinement " ). C'est à en éclater de rire.

En réalité, deux hypothèses sont envisageables :

  • soit c'est le Premier ministre lui-même qui a pris l'initiative d'autoriser certaines personnes, en raison de leur statut particulier, à rentrer chez elles plutôt que d'aller se mettre en quarantaine avec les autres à l'INJS. Une telle décision serait gravissime en ce qu'elle consacrerait de manière flagrante une rupture d'égalité entre les citoyens;
  • soit comme le Chef du gouvernement tend à l'affirmer lui-même, c'est devant le refus de certaines personnes de se soumettre à la mise en quarantaine à l'INJS qu'il a " ordonné " que celles-ci fassent leur quarantaine à domicile.

Ceci voudrait donc dire que des individus ont refusé d'obtempérer à une mesure décidée par le Conseil national de sécurité, ce qui est assimilable à de la rébellion. Et devant un tel comportement, tout ce que l'Etat a trouvé à faire, c'est d'entériner cette rébellion à son autorité en autorisant les individus insoumis à rentrer chez eux comme ils le souhaitaient. C'est un peu comme un père qui interdit à son enfant de sortir et qui devant le refus d'obtempérer de l'enfant finit par lui dire qu'il ne doit pas rester dehors au-delà d'une certaine heure.

ZÉRO CAPACITÉ A FAIRE APPLIQUER SES DÉCISIONS.

Des deux hypothèses, j'ignore laquelle est la plus terrifiante, scandaleuse et ahurissante.
Je note cependant que le Président de la République, dans son message à la Nation du 23 mars 2020, a condamné ces agissements qui ont entraîné le fiasco de la mise en quarantaine à l'INJS. C'est bien. Mais dans un État digne de ce nom, quand une faute aussi lourde est commise, on ne peut pas se contenter de renfrogner la mine et d'exprimer son indignation. Des gens ont mis en danger la vie de millions d'ivoiriens. Il faut que les responsabilités soient situées et que les sanctions appropriées soient administrées tant sur le plan politique que pénal.

Au final, la décision de permettre aux personnes en provenance des pays où la pandémie sévit le plus de rentrer chez-elles en vue d'un soi-disant " auto-confinement " était la pire à prendre dans ces circonstances. Elle restera certainement dans l'histoire comme l'une des décisions les plus irresponsables et scandaleuses jamais prises par un gouvernement ivoirien. L'histoire retiendra également que jusqu'au 18 mars 2020, date de la prise de cette décision, la Côte d'Ivoire comptait moins de 10 cas confirmés de personnes atteintes de la maladie. Deux jours plus tard, soit le 20 mars 2020, le bilan grimpait à 14 cas confirmés pour s'établir officiellement à ce jour (26 mars 2020) à 96 cas (3). Tout le monde pourra en tirer les conclusions qui s'imposent.

L'auto-confinement était et demeure une mesure irresponsable dans la mesure où il est évident qu'on n'a pas de moyens de vérifier et de s'assurer que les personnes qui y sont soumises respectent effectivement tout ce qu'implique un confinement. Comment aurait-on pu en effet s'assurer que ces personnes resteraient à leur domicile pendant 14 jours consécutifs, sans jamais mettre le pied dehors ou recevoir des visites ? En postant un policier 24h/24 devant le domicile de chaque personne confinée ? Disposons nous d'autant d'agents des forces de l'ordre pour se permettre d'en immobiliser des milliers afin de jouer le rôle de gardien ?
De toute évidence, nos autorités elles-mêmes savaient que cette mesure serait impossible à faire respecter. C'est pourquoi d'ailleurs le ministre de la santé s'en remettait à " l'esprit de discipline " et au " patriotisme " des personnes devant s'auto-confiner (4), pendant que le Directeur général de l'Institut National d'Hygiène Publique comptait quant à lui sur leur " bonne volonté " (5).

Quand on a la responsabilité de veiller à la santé de millions de personnes, on ne peut pas s'en remettre à des qualités aussi subjectives que l'esprit de discipline, le patriotisme et la bonne volonté des personnes. Au contraire, on est prévoyant, on prend les décisions qui s'imposent et on les fait appliquer quoi qu'il en coûte.

Nos autorités ayant démontré leur incapacité à cela, nous voilà réduits à attendre le JT de 20h chaque soir pour connaître le nombre de nouveaux cas confirmés au cours de la journée.
Merci à vous chères autorités.

Que Dieu nous protège !

(1) - Raymonde GOUDOU COFFIE, Ministre de la Santé et de l'hygiène publique de 2012 à 2018.

(2) - MASA - Marché des Arts et du Spectacle Africain.

(3) - La Côte d'Ivoire comptait au moment de la publication de cet article, plus de 900 cas (comptage de l'Université John HOPKINS). Pour une estimation actualisée, suivez ce lien.

(4) - Déclaration à la presse faite à l'INJS le 18 mars 2020, diffusée au JT de 20h du même jour.

(5) - Interview au JT de 20h du 20 mars 2020.


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