Chroniques d’un anthropologue au Japon (6)

Mauvaise adresse

L’hésitation n’a pas été longue. Troisième maison visitée, quartier calme, petit jardin, la signature du contrat est prévue une semaine plus tard. La banque accepte un prêt sur vingt-cinq ans. Je serai propriétaire à soixante ans, si aucun tsunami ne submerge le Japon d’ici là.

Depuis, pas une nuit passée sans mauvais rêve. Une maison située entre deux autoroutes. Les voitures passent en continu, jour et nuit. Paris Texas. Après tout, la route peut aussi être un sujet esthétique digne d’intérêt. Autre rêve prémonitoire. Je signe pour une maison à la mauvaise adresse. Complot absurde du propriétaire et de l’agence pour récupérer nos millions contre une cabane sans valeur.

J’en parle à ma femme. Elle se moque de moi. Je vérifie tout de même le contrat fraîchement signé. Petit coup au cœur. L’adresse de la maison achetée est différente de celle écrite par la propriétaire quelques lignes plus haut. Même quartier cependant. Je tape les deux adresses sur Google map, qui désigne bien deux maisons différentes. Celle que nous avions visité, et une autre, jolie demeure également. L’échange serait acceptable.

Nous en discutons. Il faudrait appeler l’agence. Confirmer l’erreur. En même temps, la peur de paraître idiot, en demandant une chose aussi absurde. Surtout après avoir signé un contrat qui a nécessité plusieurs heures d’explications fastidieuses en japonais. Je me renseigne sur le net.

J’apprends alors que les Japonais eux-même se posent la question lorsqu’ils achètent. Car les adresses utilisées au quotidien ne sont effectivement pas les mêmes qu’utilisent les agences et les notaires pour enregistrer les maisons ! Ils se réfèrent à des plans urbains réalisés et figés par le droit en 1962. (1)

Rémi Brun

(1) Site de la ville de Takarazuka