Cinquième et dernière épisode de la saison pour cette nouvelle chronique "Not Just The Wife", [Pas seulement “femme de”] sur Podcast Science qui, pour rappel, consiste en des des traductions des épisodes du Dr Kat Arney du Podcast Genetics Unzipped, le podcast de la Société de Génétique du Royaume Uni. Genetics Unzipped est produit par First Create The Media. Retrouvez Kat Arney, Genetics Unzipped et First Create The Media sur twitter (@Kat_Arney @geneticsunzip @FirstCreateMe). La traduction a été réalisée par Élise et Pierre Kerner et son incarnation par la jolie voix d’Élise Kerner. Cette cinquième chronique en guise de bouquet final, vous présente l'histoire non pas d'une, mais deux généticiennes d'exception : Nettie Stevens et Mary Lyon (Épisode Originel).
Transcription de la chronique :
Nettie Stevens, née dans le Vermont en 1861, avait une véritable passion pour la biologie. Sa carrière de chercheuse a cependant mis un certain temps avant de démarrer en raison des difficultés que rencontraient les femmes pour étudier les sciences à la fin du XIXe siècle. Avant d’obtenir un doctorat, elle a dû longuement économiser sur ses revenus d'enseignante.
Enfin, à l'âge de 39 ans, la recherche devient son activité principale et elle choisit de s’intéresser à un nouveau domaine scientifique qui la fascine : la génétique et les chromosomes, dont on découvrait tout juste l’existence. En 1905, elle fait elle-même une importante découverte d’après ses études portant sur les ovules et le sperme des coléoptères. Elle fait l’observation suivante : alors que la plupart des paires de chromosomes sont identiques, l’une d’entre elles n’est pas assortie et contient deux chromosomes de tailles différentes. Elle appelle le plus grand des deux le chromosome X, et le plus petit le chromosome Y.
Elle remarque par ailleurs que les spermatozoïdes peuvent contenir soit un chromosome X soit un chromosome Y, tandis que les ovules ne possèdent que des X. Face au même constat chez les mouches drosophiles, Nettie conclut que la distinction mâle/femelle dépend de la combinaison de ces chromosomes inhabituels - XY pour les mâles et XX pour les femelles. Elle comprend que le sexe de la progéniture résulte du spermatozoïde impliqué lors de la fécondation, puisque c’est son contenu chromosomique est variable et fournit un chromosome X ou Y.
Il s’avère que pendant longtemps, cette découverte a été attribuée à Edmund Wilson, qui avait fait des observations similaires à peu près à la même époque, mais dont les conclusions étaient légèrement erronées. Comme il travaillait sur une espèce d'insecte chez laquelle le chromosome sexuel mâle est absent, il accordait un rôle prédominant à l'environnement dans la détermination génétique du sexe, contrairement à la théorie de Nettie qui estimait que cela dépendait des chromosomes. Ayant publié son article avant Nettie, morte peu de temps après d’un cancer du sein, c’est lui qui obtient une grande partie de la gloire liée à cette découverte majeure.
Mais c’est bien la théorie de Nettie sur les chromosomes sexuels qui s'est avérée valable pour un grand nombre d'espèces, quand bien même celles-ci ne possèdent pas toutes la même version du système X et Y. Les oiseaux ont par exemple des chromosomes W et Z, avec un système ZZ pour les mâles et ZW pour les femelles.
Désormais, nous savons que ce même principe de détermination du sexe par les chromosomes X et Y, observés par Nettie Stevens chez les coléoptères, est présent chez les mammifères, y compris les humains.
Une telle découverte conduit à de très nombreuses questions, dont une première, essentielle : si les femelles ont deux chromosomes X, cela signifie-t-il qu'elles possèdent une double dose de tous les gènes porté par ce chromosome ? La réponse est venue d'une autre femme Mary Lyon, chercheuse à l'unité de génétique du MRC dans l'Oxfordshire.
Au cours de ses expériences de mutagenèse sur l'impact des radiations sur les souris, Mary a remarqué une étrange souris mâle mutante, au pelage inhabituellement tacheté et marbré. Elle l’a alors croisée avec des femelles au pelage normal dans l'espoir d'obtenir des bébés tachetés. Mais les résultats étaient bien plus surprenants : les mâles porteurs de la mutation étaient morts pendant leur développement dans l'utérus, tandis que les survivants possédaient un pelage parfaitement blanc. Les femelles quant à elles, naissaient toutes avec un pelage tacheté, comme leur père.
Mary Lyon a finalement compris les deux phénomènes sur lesquels reposaient ces résultats : d’une part, la mutation est portée par un chromosome X et d’autre part, l’un des chromosomes X des femelles est inactivé, de façon aléatoire, dans les cellules souches très tôt au cours du développement. Ainsi, les mâles héritiers d'un chromosome X normal étaient en bonne santé et blancs tandis que ceux ayant hérité d'un X porteur de mutation ne se développaient pas correctement. Pour les bébés femelles, la situation était très différente : en raison du phénomène d’inactivation d’un X sur deux, certaines de leurs cellules activaient le chromosome muté et d’autres le normal. Cette combinaison assurait ainsi à la fois l’apparition visible de la mutation et la survie de l’individu.
Mary publie ses résultats en 1961 dans la revue Nature. Malgré l’accueil très mitigé de certains face à ses hypothèses voire ses compétences scientifiques, ses conclusions se sont avérées exactes. Le processus d'inactivation du chromosome X est même parfois mentionné sous le nom de “lyonnisation” en son honneur.
Aujourd’hui, les mécanismes moléculaires liés à l'inactivation de l'X ont été cartographiés dans les moindres détails. Très tôt au cours du développement d’une femelle, lorsque l’embryon n'est encore qu’une petite boule de cellules, chaque cellule vérifie le nombre de copies du chromosome X qu’elle contient : si elle en possède deux, l'une d'elles est désactivée de manière aléatoire, laissée inactive dans un coin du noyau de la cellule. Ainsi, le fœtus femelle devient peu à peu une mosaïque de cellules dans lesquelles l'un ou l'autre de ses chromosomes X est inactif, mais conservant toujours une copie de sauvegarde.
Cela peut expliquer qu’un certain nombre de maladies ou caractéristiques liées au chromosome X, touche seulement les hommes d'une famille lorsqu’ils ont hérité d’un X défectueux. Les femmes éventuellement porteuses d’un tel X défectueux ne seront pas gravement touchées grâce à la présence de l’autre X intact dont elles ont hérité. Parmi ces maladies, on compte l'hémophilie, qui a touché les descendants mâles de la reine Victoria pendant trois générations, la dystrophie musculaire de Duchenne, une maladie de déperdition musculaire, et le daltonisme.
Naturellement, des caractéristiques inhabituelles liées à un chromosome X anormal peuvent survenir chez les femmes aussi. En 1901, le dermatologue allemand Alfred Blaschko étudie certaines affections cutanées qui se manifestent sous forme de lignes, balayant la poitrine, les bras et les jambes, comme les rayures d'un tigre ou d'un zèbre.
Ces motifs sur la peau reposent sur deux phénomènes. Au cours du développement de tous les humains, la peau se forme à partir de cellules précurseurs qui migrent et prolifèrent suivant un tracé en forme de ligne ou rayure. Chez certains individus, quelques-unes de ces cellules précurseurs activent un chromosome X porteur d’une mutation produisant une variation de couleur ou texture de la peau. Toutes les cellules produites à leur suite comporteront ces mêmes anomalies et révèleront ainsi, de manière visible, les motifs de développement de la peau.
Mais si vous cherchez une parfaite illustration de l'inactivation du chromosome X, il vous suffit d’observer les chats au pelage en écaille de tortue.
On sait d’ailleurs que Mary Lyon possédait un chat de cette variété appelée aussi calico, et qui sont considérés comme des porte-bonheur dans de nombreuses régions du monde. Leur étrange pelage présentant de larges taches oranges et noires est une conséquence directe du phénomène d’inactivation aléatoire des chromosomes X chez les femelles. Lorsque parmi les deux chromosomes X dont elles ont hérité, chacun présente une variante de couleur différente, la désactivation au hasard de l’un d’eux dans chaque cellule, entraîne cette variation de couleurs. Les chats mâles, puisqu’ils n’héritent que d’un seul X, ont un pelage de l’une ou l’autre couleur. On peut observer de très rares cas de calicot mâles, qui s’expliquent par une autre anomalie génétique : la présence de deux chromosomes X en plus du Y.
Montage par Pierre Kerner, les musiques sont Fig Leaf Rag de Kevin MacLeod, Swipesy Cakewalk de E's Jammy Jams et Gang of Alley Cats de Komiku (Attribution-NonCommercial 3.0 International License).
Références et Liens:
Nettie Stevens, discoverer of sex chromosomes, Nature
How to Code a Human, Kat Arney chapter 14
Nettie Stevens discovered XY sex chromosomes. She didn't get credit because she had two X’s, Vox
The gift of observation - an interview with Mary Lyon - PLoS Genetics
Mary Lyon obituary, Nature
Lyon, M. F. (1961). Gene action in the x -chromosome of the mouse( Mus musculus L.). Nature, 190(4773), 372‑373. https://doi.org/10.1038/190372a0
Lyon, M. F. (1970). Genetic activity of sex chromosomes in somatic cells of mammals. Philosophical Transactions of the Royal Society of London. Series B, Biological Sciences, 259(828), 41‑52. JSTOR.