


Avec son intelligence vive et ouverte, le jeune Mathias apprit vite les rudiments de son métier et s'appropria promptement les secrets de la manufacture d'un bon instrument à cordes. Mais, dit-on, son caractère emporté lui attira maintes réprimandes et querelles et l'obligea un jour à quitter clandestinement et Crémone et son maître. Il erra à travers l'Italie, s'arrêtant dans différentes villes sans trouver un emploi régulier jusqu'à ce que son bon génie le fit arriver à Padoue, où il travailla dans l'atelier d'un autre luthier dont le nom ne nous a pas été conservé. Les années passèrent sans que Mathias songeât sérieusement à retourner dans son pays natal. Ce désir lui vint au bout de vingt ans seulement, lorsqu'il eut la certitude d'avoir acquis toutes les connaissances indispensables pour la réalisation d'un projet qu'il avait caressa depuis longtemps. Il voulait fonder à Mittenwalde une école de luthiers d'après le modèle des écoles italiennes, faire de son bourg natal, ignoré et perdu, un second Crémone, célèbre dans le monde entier. Ce projet si longtemps entrevu, il le réalisa avec une énergie louable et il eut la joie de le voir réalisé pleinement. Les habitants se portèrent avec d'autant plus d'entrain vers cette nouvelle industrie qu'en dehors de l'élevage du bétail ils n'avaient guère d'autres ressources ni d'autres occupations durant les longs jours d'hiver où la rigueur du climat les confinait à l'intérieur de leurs maisons. D'ailleurs, leurs forêts ne fournissaient-elles pas assez de bois pour se livrer à cette industrie nouvelle sans bourse délier? L'école de Mathias Klotz prospéra donc rapidement et bientôt de nombreux colporteurs, avisés du succès, vinrent chercher les instruments pour les transporter à travers les montagnes de ville en ville, de pays en pays. A la fin du dix-huitième siècle déjà certaines familles avaient trouvé un débouché au delà des mers, débouché qui encore aujourd'hui leur est assuré. Pour favoriser l'essor toujours croissant de l'industrie luthière, le roi de Bavière Maximilien II fonda en 1856 à Mittenwalde une école de luthiers qui fonctionne encore aujourd'hui. Placée sous la surveillance d'un directeur nommé par l'État, cette école, dont la durée de cours est de trois ans, enseigne non seulement toutes les branches de l'industrie luthière, mais aussi le dessin, le chant et la pratique du violon ; un cours supplémentaire initie les élèves aux secrets du vernis, un des facteurs essentiels pour la beauté et la diversité du violon. L'école, dont l'enseignement est entièrement gratuit, ouvre ses portes à tout jeune homme de Mittenwalde qui en fait la demande; elle reçoit d'autres jeunes gens des bourgades voisines et forme ainsi un noyau d'ouvriers capables d'assurer le bon fonctionnement de l'industrie locale. Un grave inconvénient s'est manifesté peu à peu par la pénurie des bois. Les provisions des alentours sont épuisées, et il faut faire venir de loin les produits indispensables. Le violon, comme tout autre instrument à corde, se fabrique par une combinaison de bois différents dont la qualité doit être à toute épreuve. Ainsi, pour la table, c'est-à-dire le dessus de la boîte, pour la barre, petite pièce sur laquelle reposent les cordes, on ne prend que du bois de sapin particulièrement sec et uni; pour le fond on choisit du bois d'érable non moins irréprochable avec lequel on fait aussi les contours et le chevalet. Depuis le déclin des bois de pin à Mittemvalde, on en fait venir des forêts d'Oherammergau, ce village fameux des Alpes bavaroises où, tous les dix ans, les habitants se réunissent pour représenter la Passion du Christ. La Bosnie et la Hongrie fournissent la plus grande partie du bois d'érable ; d'autres bois comme le palissandre, l'ébène servent pour les louches, les filets d'ornement, les chevilles le bois de Pernambouc est particulièrement apprécié pour les archets. On emmagasine tous ces bois durant dix à vingt ans avant de s'en servir afin d'être bien assuré de leur qualité irréprochable n'ayant plus tendance ni à se tasser, ni à se craqueler. Ce n'est cependant pas la vieillesse des matériaux qui assure la perfection de l'instrument, mais la propriété acoustique qui leur est inhérente. Nos gravures feront mieux comprendre ce que nous venons de dire voici d'abord l'atelier complet d'un luthier de Mittenwalde occupé à vérifier l'état de son violon.

Vernissage d'un violoncelle

Les luthiers de Mtttenwalde, ne se confinent pas exclusivement à la facture du violon, cela va sans dire. Ils fabriquent tous les instruments à cordes. Notre dernière illustration nous montre un luthier occupé a ajuster une imposante boite de contrebasse. Et ce n'est plus assis qu'il peut accomplir sa besogne, mais debout en travaillant avec un marteau autrement pesant que celui qui sert pour ajuster les éclisses d'un violon. La scie derrière lui est plus grande que celle du fabricant de violons, elle a la dimension de celle d'un menuisier ordinaire. L'attention soutenue avec laquelle l'homme travaille montre avec quel soin il doit accomplir sa besogne, et la lampe près de lui nous parle des longues nuits d'hiver où elle l'aide à finir sa tâche quotidienne. Toutes les pièces des violons, des violoncelles, des contrebasses, etc., sont faites à la main et exigent un travail long et pénible, accompli avec habileté et avec persévérance. C'est pourquoi le luthier n'est pas un ouvrier ordinaire, mais un artiste dont le nom se placera humblement ou glorieusement, selon son mérite, après ceux des Amati, des Guarnerius, des Jacob Stainer et de Mathias Klotz, le créateur de l'école des luthiers de Mittenwatde. H. HEINECKE.