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Vu de France en 1910 : Les luthiers de Mittenwald

Publié le 10 juin 2020 par Luc-Henri Roger @munichandco
LES LUTHIERS DE MITTENWALDE [sic] Un article de H.Heinecke dans le Journal de la jeunesse (janvier 1910)        Nous avons déjà exposé à nos lecteurs l'origine et l'historique du violon, nous avons parlé de sa valeur commerciale et artistique et de la difficulté devnos luthiers modernes d'atteindre la perfection des anciens violons de Stradivarius, Guarnerius, etc.    Mais, si les violons anciens l'emportent de beaucoup sur les modernes, leur industrie n'en est pas moins florissante, car les Guarnerius sont rares et hors de prix et pourtant l'étude du violon a pris de nos jours, un essor extrêmement florissant dans toutes les classes de la société.    Nous allons donc faire aujourd'hui visite à un des centres les plus connus de l'industrie luthière et et conduire nos jeunes amis à la petite ville de Mittenwalde dont les habitants se livrent presque exclusivement à la fabrication des instruments à cordes, et cela depuis plus de deux cents ans. Vu de France en 1910 : Les luthiers de Mittenwald    Mittenwalde est située en Bavière à quelques lieues de la frontière du Tyrol, dans la riante vallée de l'Isar, bien connue des touristes amateurs de la belle nature. Comme la plupart des bourgades de montagne, la ville, qui compte environ 2000 habitants, s'étend tout en longueur des deux côtés de la vallée et n'a guère qu'une seule rue assez large que traverse l'Isar qui prend source dans les montagnes environnantes. Ce n'est encore qu'un ruisselet vif et bavard qui ajoute a la beauté du pays et au bien-être de ses habitants.  Quand l'été touche à sa fin, quand cesse l'affluence des touristes qui ont apporté aux habitants un peu de bien-être et de distraction, la ville reprend son aspect calme et paisible et les habitants retournent à leurs occupations habituelles. Alors, le voyageur attardé qui s'y arrête peut apercevoir, à l'intérieur de la plupart des maisons, des hommes assis devant leur établi, mesurant, taillant, ajustant, et des femmes robustes tenant entre leurs genoux des boîtes arrondies qu'elles badigeonnent de vernis, qu'elles frottent avec soin pour les rendre brillantes.    Depuis de longues années déjà Mittenwalde présente cet aspect industrieux et paisible, et il est intéressant de connaître comment et par qui ce petit bourg, perdu dans les montagnes, est devenu le centre d'une industrie florissante? Un vieux monument en bronze élevé devant l'église, en souvenir du bienfaiteur de la commune, nous révélera son nom et son origine : « Mathias Klotz, né à Mittenwalde en l'an de grâce 1655. » Vu de France en 1910 : Les luthiers de Mittenwald    Une destinée étrange guide parfois les enfants les plus humbles à accomplir de grandes choses ! Ainsi Mathias Kloiz, fils d'un pauvre bûcheron, chargé de famille, avait à peine dix ans lorsque son père le confia à des marchands partant pour l'Italie avec le désir formel de le conduire chez un luthier afin qu'il pût y apprendre la facture des violons italiens. Les marchands ambulants s'acquittèrent consciencieusement de leur mission et conduisirent l'enfant à Crémone chez Nicolas Amati, le luthier le plus célèbre, chez lequel travaillaient à cette époque Stradivarius et Guarnerius dont la réputation devait dépasser celle de leur maître vénéré. Vu de France en 1910 : Les luthiers de Mittenwald
  Avec son intelligence vive et ouverte, le jeune Mathias apprit vite les rudiments de son métier et s'appropria promptement les secrets de la manufacture d'un bon instrument à cordes. Mais, dit-on, son caractère emporté lui attira maintes réprimandes et querelles et l'obligea un jour à quitter clandestinement et Crémone et son maître.   Il erra à travers l'Italie, s'arrêtant dans différentes villes sans trouver un emploi régulier jusqu'à ce que son bon génie le fit arriver à Padoue, où il travailla dans l'atelier d'un autre luthier dont le nom ne nous a pas été conservé.    Les années passèrent sans que Mathias songeât sérieusement à retourner dans son pays natal. Ce désir lui vint au bout de vingt ans seulement, lorsqu'il eut la certitude d'avoir acquis toutes les connaissances indispensables pour la réalisation d'un projet qu'il avait caressa depuis longtemps. Il voulait fonder à Mittenwalde une école de luthiers d'après le modèle des écoles italiennes, faire de son bourg natal, ignoré et perdu, un second Crémone, célèbre dans le monde entier.    Ce projet si longtemps entrevu, il le réalisa avec une énergie louable et il eut la joie de le voir réalisé pleinement. Les habitants se portèrent avec d'autant plus d'entrain vers cette nouvelle industrie qu'en dehors de l'élevage du bétail ils n'avaient guère d'autres ressources ni d'autres occupations durant les longs jours d'hiver où la rigueur du climat les confinait à l'intérieur de leurs maisons.     D'ailleurs, leurs forêts ne fournissaient-elles pas assez de bois pour se livrer à cette industrie nouvelle sans bourse délier? L'école de Mathias Klotz prospéra donc rapidement et bientôt de nombreux colporteurs, avisés du succès, vinrent chercher les instruments pour les transporter à travers les montagnes de ville en ville, de pays en pays. A la fin du dix-huitième siècle déjà certaines familles avaient trouvé un débouché au delà des mers, débouché qui encore aujourd'hui leur est assuré.    Pour favoriser l'essor toujours croissant de l'industrie luthière, le roi de Bavière Maximilien II fonda en 1856 à Mittenwalde une école de luthiers qui fonctionne encore aujourd'hui.    Placée sous la surveillance d'un directeur nommé par l'État, cette école, dont la durée de cours est de trois ans, enseigne non seulement toutes les branches de l'industrie luthière, mais aussi le dessin, le chant et la pratique du violon ; un cours supplémentaire initie les élèves aux secrets du vernis, un des facteurs essentiels pour la beauté et la diversité du violon. L'école, dont l'enseignement est entièrement gratuit, ouvre ses portes à tout jeune homme de Mittenwalde qui en fait la demande; elle reçoit d'autres jeunes gens des bourgades voisines et forme ainsi un noyau d'ouvriers capables d'assurer le bon fonctionnement de l'industrie locale. Un grave inconvénient s'est manifesté peu à peu par la pénurie des bois. Les provisions des alentours sont épuisées, et il faut faire venir de loin les produits indispensables.   Le violon, comme tout autre instrument à corde, se fabrique par une combinaison de bois différents dont la qualité doit être à toute épreuve. Ainsi, pour la table, c'est-à-dire le dessus de la boîte, pour la barre, petite pièce sur laquelle reposent les cordes, on ne prend que du bois de sapin particulièrement sec et uni; pour le fond on choisit du bois d'érable non moins irréprochable avec lequel on fait aussi les contours et le chevalet.    Depuis le déclin des bois de pin à Mittemvalde, on en fait venir des forêts d'Oherammergau, ce village fameux des Alpes bavaroises où, tous les dix ans, les habitants se réunissent pour représenter la Passion du Christ. La Bosnie et la Hongrie fournissent la plus grande partie du bois d'érable ; d'autres bois comme le palissandre, l'ébène servent pour les louches, les filets d'ornement, les chevilles le bois de Pernambouc est particulièrement apprécié pour les archets.    On emmagasine tous ces bois durant dix à vingt ans avant de s'en servir afin d'être bien assuré de leur qualité irréprochable n'ayant plus tendance ni à se tasser, ni à se craqueler. Ce n'est cependant pas la vieillesse des matériaux qui assure la perfection de l'instrument, mais la propriété acoustique qui leur est inhérente.    Nos gravures feront mieux comprendre ce que nous venons de dire voici d'abord l'atelier complet d'un luthier de Mittenwalde occupé à vérifier l'état de son violon. Vu de France en 1910 : Les luthiers de Mittenwald    C'est un maître, jeune encore, qui, à en juger d'après les nombreux instruments qui l'entourent, s'entend à construire tous les genres violons, et, si les violons pendus aux murs témoignent de son activité inlassable, les pinces, les ciseaux, les scies et les marteaux disent quelle infinie variété d'ustensiles il lui faut pour mener à bonne fin le travail entrepris et l'exécuter avec toute l'attention et la patience que révèle sa physionomie honnête.    Voici maintenant un groupe de formes ébauchées, destinées les unes pour la table, les autres pour le fond et achevées progressivement pour le but entrevu. Elles sont loin d'être terminées cependant et vont être soumises à un travail minutieux par leur maître, jusqu'à ce qu'il arrive à la finesse absolue de la voûte qu'il obtiendra à l'aide des rabots et des limes qui décorent sa demeure.    Une des gravures nous montre un autre luthier occupé à sculpter le manche, appelé la volute, qui doit servir d'appui aux cordes que fera vibrer la main de l'artiste. Pour ce travail décoratif, il faut aussi beaucoup d'adresse; les anciens maîtres ne l'abandonnaient jamais à un ouvrier. Tout bon violon ancien porte à sa volute le nom de l'auteur.

Vu de France en 1910 : Les luthiers de Mittenwald

Vernissage d'un violoncelle

   Les femmes, voire même les enfants, secondent le chef de la famille dans la plupart de ses travaux. Elles savent manier le rabot et le ciseau et s'entendent surtout à étaler avec adresse le vernis précieux qui doit donner au violon son dernier fini. Comme une ouvrière modèle, la brave femme de notre illustration «habille» son enfant, un violoncelle de taille majestueuse, de vernis couleur acajou qui doit lui donner longue vie en le protégeant de l'humidité et de la piqûre des insectes. Le vernis est un facteur puissant pour la sonorité de l'instrument et ce n'est pas en vain que nos luthiers modernes cherchent, depuis des siècles, à retrouver la formule des anciens luthiers italiens. Les boites et les bouteilles rangées dans la pièce prouvent qu'il faut souvent revenir au même objet, avec des liquides et des tons différents, jusqu'à ce que la boîte ait acquis la beauté nécessaire.
Vu de France en 1910 : Les luthiers de Mittenwald

   Les luthiers de Mtttenwalde, ne se confinent pas exclusivement à la facture du violon, cela va sans dire. Ils fabriquent tous les instruments à cordes. Notre dernière illustration nous montre un luthier occupé a ajuster une imposante boite de contrebasse. Et ce n'est plus assis qu'il peut accomplir sa besogne, mais debout en travaillant avec un marteau autrement pesant que celui qui sert pour ajuster les éclisses d'un violon. La scie derrière lui est plus grande que celle du fabricant de violons, elle a la dimension de celle d'un menuisier ordinaire. L'attention soutenue avec laquelle l'homme travaille montre avec quel soin il doit accomplir sa besogne, et la lampe près de lui nous parle des longues nuits d'hiver où elle l'aide à finir sa tâche quotidienne.    Toutes les pièces des violons, des violoncelles, des contrebasses, etc., sont faites à la main et exigent un travail long et pénible, accompli avec habileté et avec persévérance. C'est pourquoi le luthier n'est pas un ouvrier ordinaire, mais un artiste dont le nom se placera humblement ou glorieusement, selon son mérite, après ceux des Amati, des Guarnerius, des Jacob Stainer et de Mathias Klotz, le créateur de l'école des luthiers de Mittenwatde. H. HEINECKE.

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