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Les relations de Wagner et d'Edouard Schuré

Publié le 10 juin 2020 par Luc-Henri Roger @munichandco
Un article d'Alphonse Roux, qui fut le légataire littéraire de Schuré, publié dans l'hebdomadaire  L'Alsace française du 12 février 1933, un numéro tout entier consacré à Richard Wagner à l'occasion du 50ème anniversaire de sa mort.

Les relations de Wagner et d'Edouard Schuré

Schuré en 1880

Les relations de Wagner et d'Edouard Schuré
   Le sort se complaît souvent, on le sait, à l'ironie.   Il semble qu'il ait rarement mieux réussi ce jeu qu'en rapprochant Wagner et Schuré dont on voit surtout, dès l'abord, ce qui devait les séparer.    Parmi les écrivains qui se sont occupés de Wagner, surtout en France, bien peu ont été autant que Schuré l'exégète compréhensif, probe, enthousiaste et cependant clairvoyant que fut ce dernier ; peut-être même pas un, y compris Baudelaire, si intuitif pourtant, mais à qui il a manqué, à cet égard, d'être né à Strasbourg, de vieille souche d'Alsace. Or, le génial créateur de la Tétralogie, plus qu'Allemand, Teuton, était exalté par l'Alsacien qui, après nos revers, allait opter d'un seul élan pour la France, par le Français qui, fidèle à lui-même, devait vibrer en toutes ses fibres lors de la dernière guerre et mériter l'affection respectueuse de Pierre Bucher, dont on ne peut écrire le nom en cette revue qu'avec émotion.    Le génie du « diable » de Bayreuth — et ce mot revient maintes fois dans les lettres familières et dans le Journal intime de Schuré — a été compris et célébré par l'auteur des Grands Initiés ; le disciple philosophique du négateur Schopenhauer a été exalté par le servant de l'éternelle Psyché. Est-ce absolument incompréhensible ? Non point ; il n'y a pas en ce cas de mystère indéchiffrable. On s'en aperçoit si on regarde de près en ces deux hommes et surtout si on suit, avec quelque détail et à l'aide de cet éclaircissement, la courbe de leurs relations, ce qui permettra de mieux en connaître le caractère.
   Schuré eut la révélation de Wagner à Munich, en 1865. Ce fut en entendant une musique militaire jouer l'ouverture de Tannhäuser. « Je fus submergé », dit-il. Lorsqu'il se trouva assez près pour saisir l'ensemble symphonique, c'était « le moment où, après le déchaînement de la bacchanale païenne, le chœur des pèlerins, repris en fortissimo par les trombones, s'empare de cet océan de luxure pour le transformer en le purifiant et le soulever en vagues ascendantes vers la splendeur de son hymne triomphal. Il me semblait, ajoute-t-il, qu'un formidable esprit soulevait ma nature inférieure pour l'emporter à une hauteur vertigineuse, d'où l'on voyait le soleil levant jaillir de l'horizon et s'imposer au monde avec l'éclat fulgurant de la vérité. »     Voilà le ton. Il est visible qu'il ne s'agit pas ici d'un critique musical en présence d'une technique nouvelle, même en présence d'un tempérament artistique nouveau. Cela va plus loin, plus profondément. Dans son Journal intime, il précise et écrit, après avoir entendu pour la première fois Tristan et Iseult : « Cette représentation, et la connaissance du maître qui s'ensuivit, ont été la plus grande, la plus étourdissante révélation de ma vie. Avant cela, je ne savais pas ce que c'est que le génie créateur, car je ne l'avais pas vu face à face..., je ne savais pas ce que c'est que le drame et l'idéal de l'avenir, car je ne l'avais pas contemplé, et lorsque je le pressentis vaguement, craintivement, obscurément, je m'en faisais une idée bien inférieure. » Quels termes ! Schuré est marqué à fond. Wagner l'a « frappé, envoûté, déconcerté dès la première heure, comme un géant et comme une puissance démonienne incalculable. »
   Wagner saisit vite la qualité de l'enthousiasme éprouvé par le jeune homme qu'il vient d'accueillir. Schuré, en partie parce qu'il était Alsacien, était capable de comprendre l'esprit germanique, de pénétrer dans la sensibilité d'outre-Rhin. Aussi Wagner lui demande-t-il de se faire son coryphée. Cette idée entre dans sa tête et n'en sortira pas. Des lettres de lui, des lettres de Cosima Wagner apportent la preuve de la satisfaction qu'éprouve le maître à se sentir compris comme il l'est, et le désir qu'il ressent de se voir expliquer au monde par un tel commentateur. On pourrait citer plus d'un texte caractéristique. En voici du moins un que j'extrais d'une des lettres inédites : « Voyez-vous, Ami, vous n'avez aucune idée de l'impression que vous auriez produite (si Schuré était devenu allemand), de la place que vous auriez prise, du bien que vous auriez fait ». La lettre est de 1878, Wagner est le grand Wagner, et pourtant il regrette que Schuré ne soit pas devenu une sorte de Herr Doktor allemand attaché à sa gloire.    Mais Wagner se trompait. Schuré est un sincère et compréhensif admirateur, mais il est un Français, et un Français indépendant. Dans le Journal intime, je lis à la date du 22 août 1870 : « Dieu sait par combien de liens je me rattache à l'Allemagne, mais depuis que la France est si malheureuse, je sens la force du passé et combien je l'aime. La Prusse et les Prussiens me sont odieux. Sans doute, on est homme avant tout. Mais on se rattache à l'humanité par un rameau ; ce rameau, c'est la patrie ». Plus loin, transcrivant une phrase d'une lettre récente de Littré : La civilisation européenne vient d'être dépouillée de ses meilleurs attributs : justice, modération, humanité, fraternité, il ajoute : « Voilà le plus clair résultat de cette guerre, et je l'enregistre avec une tristesse profonde ». Que de citations l'on pourrait tirer de ce Journal intime, et de bien des lettres aussi ! La part de teutonisme qu'il y avait dans l'esprit et l'âme de Wagner l'empêchait de percevoir la puissance et la solidité de ces sentiments de Schuré. Celui-ci veut bien rester juste, clairvoyant, puisque, à la date du 20 juillet 1871, je trouve au haut d'une page du Journal : « Un livre à faire : France et Allemagne » et qui se résumerait en cette idée : faire mieux connaître l'une et l'autre, l'une à l'autre. Mais il y a une limite qu'il ne franchit point. Lorsque, à la suite de nos défaites successives d'août et de septembre 1870, Wagner écrit : «Venez chez nous, on ne reste plus dans un pays comme la France », Schuré répond : « Plus que jamais, je suis Français », et il rompt.   Wagner était trop unilatéral, trop égoïste. Il ne voyait que lui. Et encore ne se voyait-il pas tout entier. Ce que faisant, il ne se doutait pas combien une partie de lui-même était opposée à l'âme de Schuré, donc devait lui être antipathique. Il ne voyait pas le diable qu'il y avait en lui et l'hypertrophié. Même dans sa plus fervente admiration, Schuré a perçu ce mauvais Wagner, plus exactement ce Wagner-homme qui était loin de valoir le Wagner musicien ou, plus largement, le Wagner artiste.    Que de pages curieuses et encore inédites sont sorties de la plume de Schuré, qui, à plusieurs reprises, a vécu dans l'intimité des Wagner, à Bayreuth ! En voici une qui, au pittoresque près, résume la plupart de celles-là. Je l'extrais de la volumineuse correspondance échangée entre Schuré et Marguerite Albana Mignaty. Elle est datée de Bayreuth, le 12 août 1876, lors des répétitions et représentations du fameux cycle de la Tétralogie, suivi puis raconté et commenté jour à jour par Schuré pour son amie.    « A l'instant m'arrive ta bonne lettre du 9 août. Loin de désapprouver ta révolte contre l'homme-Wagner, je la partage et la comprends à merveille, l'ayant ressentie moi-même mainte et mainte fois. Maintenant que je le connais, rien ne m'étonne plus de sa part et j'assiste avec un certain calme aux manifestations de cette tyrannique individualité. Monod, avec lequel il a été fort gentil comme avec moi, me disait tout à l'heure qu'il s'étonnait aussi du nombre de grossièretés que Wagner trouvait le moyen de dire à tout le monde. Aussi personne ne lui est attaché personnellement. Tout le monde a plus ou moins à se plaindre de lui ; beaucoup se brouillent. Mais l'ascendant de son génie s'acquiert toujours de nouveaux disciples. À ce même dîner dont je t'ai parlé, il m'a avoué qu'il n'avait déploré mon option pour la France qu'à un seul point de vue, c'est qu'il perdait en moi un interprète pour l'Allemagne. L'égoïsme et le calcul sont le fond de sa nature ; l'œuvre qu'il fonde est grande, mais elle serait bien plus grande encore et surtout plus féconde si l'homme était noble et généreux en lui au lieu d'être ce qu'il est. »    On a pu saisir par ce qui précède ce qu'étaient, en regard l'un de l'autre, Wagner et Schuré, ce qui les réunissait, ce qui les séparait, ce que le musicien attendait de l'écrivain, ce que celui-ci avait trouvé et proclamé chez celui-là. L'évocation rapide de la courbe de leurs relations, par quelques détails caractéristiques, précisera sans doute cette notion.
  L'amitié entre les deux hommes date du début de leurs relations. En 1869, celles-ci sont déjà intimes, malgré la grande différence d'âge. M. et Mme Schuré, nouvellement mariés, sont à Paris, et Wagner les prie de remplir de petites missions familières : achat de papier à lettres, de menus objets, et même, parfois, de « tabac à priser de la régie ». A vrai dire, il est question aussi de l'œuvre musicale et de concerts préparés ; le nom de Pasdeloup revient plusieurs fois. Schuré se voit, si l'on peut dire, délégué à la propagande, en particulier sur un point spécial. Wagner avait la phobie des Juifs. Il écrit à son jeune ami, le 25 avril 1869 : « Mettre dans le même sac, disons : Heine et Goethe, Meyerbeer et peut-être... moi, voilà ce qui produit la confusion dont soutire tout jugement français sur ce qui est allemand. Je souhaiterais que vous preniez la tête d'un redressement de cette erreur. »     Puis survient le coup de foudre de 1870 et la rupture entre les deux hommes. Il dut y avoir d'âpres discussions épistolaires. Une des lettres de Wagner contient cette phrase : « Il va de soi que l'incendie de Strasbourg me navre et que j'aurais mieux aimé voir Paris détruit ». Quelle lettre, après la rupture dénoncée par Schuré, avait-il dû préparer, puisque Mme Wagner écrit, à Mme Schuré :   « Chère madame, mon mari a déchiré la lettre qu'il avait écrite au vôtre, reconnaissant que les choses qu'on peut traiter et discuter fort aisément en temps de paix ne sont pas faites pour être élaborées en temps de crise ».    Du 3 septembre 1870 au 19 décembre 1873, je ne trouve plus une seule lettre de Wagner dans mon dossier. D'ailleurs, j'en lis ensuite une datée du 6 février 1878. C'est tout. Y en eut-il d'autres ? Peut-être, mais je n'y crois pas, car il n'y aurait pas de raison pour que Schuré, qui a conservé quelques assez courts billets, d'intérêt secondaire, eût jeté au panier d'autres lettres. Mais le « maëstro », comme l'appelle souvent l'écrivain, s'en rapportait volontiers, durant les dix dernières années de sa vie, à sa femme, admirable gérante de ses efforts et organisatrice de sa gloire, pour les soins de la correspondance. Une liasse d'une quarantaine de lettres de celle-ci montre le rythme un peu saccadé des relations des deux hommes. Admiration toujours vivante, de la part de Schuré, pour l'œuvre, réserve à l'égard de l'homme qui choque son invité, tout en l'intéressant souvent. Wagner ne nous apparaît vraiment pas comme un séducteur ; à vrai dire, c'est parfois un ravisseur.    Les relations effectives, sous forme de visite, reprirent en 1873. L'arrivée de Schuré fut la bienvenue à Bayreuth. Cosima, en effet, écrit le 11 novembre 1873: « Nous vous remercions de tout notre cœur d'être venu nous retrouver ici et renouer le fil de nos relations ; tels que nous nous étions quittés, tels nous nous sommes revus, et de même que les enfants — en dépit du temps et des circonstances changées — vous reconnurent de suite, ainsi nos cœurs amis vous ont salué et désirent qu'aucune vanité (Wahn, Wahn, überale Wahn) ne s'interpose jamais entre nous. Wagner vous embrasse, vous remerciant avec effusion de votre lettre. »
   Voici maintenant le récit détaillé, du moins une partie du récit, de cette rencontre adressé par Schuré à Marguerite Albana Mignaty :    « J'ai donc revu le grand magicien ! et l'ai retrouvé tout entier. Il a été aussi aimable, aussi cordial que possible. Je viens de passer trois heures avec lui et, plein encore de cette impression, j'éprouve le besoin de te la dire ». Suivent de nombreuses pages sur le voyage, le pays, Bayreuth et son aspect, le théâtre en construction ; enfin arrive la rencontre.    « En me voyant arriver, Wagner descend de la gloriette, m'embrasse cordialement et me donne la bienvenue. « Bravo, dit-il, mon ami, c'est beau d'être venu. Cela veut dire quelque chose d'avoir fait ce grand voyage pour moi ». Dans la gloriette, Mme Wagner, dans une toilette de soie, blanc et noir, d'une élégante simplicité avec un chapeau de paille tout recouvert de plumes blanches, se lève et me tend la main avec une grâce de cygne...    Je m'assieds et la conversation générale s'engage.   D'abord les enfants viennent tour à tour me dire le bonjour : l'aînée, Loulou, la fille de Bülow. Isolde, Eva et enfin Siegfried qui a le front énorme de son père, des cheveux très blonds, des yeux (ici un mot manque) un nez long et fin et un air doux et rêveur, point sauvage du tout. « Vous oubliez votre ancien ami », dit le maëstro. C'était un énorme terre-neuve noir qui m'avait accueilli d'un sourd grognement pour se couche enfin à mes pieds. Sur ce, on cause, on se reconnaît un peu. Wagner se met à faire familièrement plaisanterie sur plaisanterie. Je l'ai trouvé d'abord un peu vieilli, les traits fatigués. La suite de la soirée m'a prouvé qu'il avait conservé sa vigueur indomptable, son diable au corps furibond. Après quelques minutes, il m'a fait voir sa nouvelle maison, m'a conduit partout, en haut et en bas. Sa future chambre, à lui, occupe le derrière de la maison. Elle est immense et entourée d'un péristyle à colonnade. Tout y aura place, deux pianos, une formidable bibliothèque, statues, tableaux, etc.
   On soupe à quatre : lui et elle, Malvida (1) et moi, et fort gaiement. C'est lui, naturellement, le maître, le génie-tyran, qui tient les dés de la conversation.  — « Prenez-vous du Bordeaux ou du vin du pays ? »  me dit Mme Wagner. — « Du Bordeaux, par patriotisme ». — « Chut ! taisez-vous, dit madame, ne mettez pas cette question sur le tapis ». — « Ce n'est, permettez, qu'une innocente affirmation ». — « Mais, savez-vous, cher ami, que vous avez été très dur et très méchant pour nous, dans le temps, et « que les Allemands auraient le droit de vous bouder ». — « Soit, je subis leurs rigueurs ». — « Ta ! « ta ! ta ! dit le maestro, laissons dormir tout cela. C'est une chose bien singulière que la culture allemande. Elle est dans un bien triste état aujourd'hui et pourtant si j'ai quelque espoir dans l'avenir du monde, je le fonde sur le génie germanique. S'il fait défaut à l'Europe ; alors bonsoir ! » Et de fil en aiguille, il se lance dans la question, affirme que tout le mal vient de l'imitation de la France, qui « date encore du XVIIe siècle, part comme une bombe sur le germanisme, déclare qu'il s'agit de sauver le monde, etc... Tout ce développement, qui se précipite comme un ouragan et roule avec le fracas d'un orage formidable, se termine par ces mots prononcés d'une voix terrible et véhémente : « Il s'agit ici de Religion, de Fidélité, de Foi ». Ces paroles terminent toute cette tirade comme trois bons coups de foudre. Les oreilles tintent, les vitres tremblent, le domestique, bouche béante, est immobile comme une statue dans un coin de la chambre. Le chien épouvanté s'enfuit. Malvida écoute la tète penchée, Mme Wagner regarde de son air fin et mystérieux comme quelqu'un qui vit dans ces ouragans. Moi, j'observe et j'admire, à ma façon, la fougue et la puissance de cette nature spontanée, grandiose et formidable jusque dans ses exagérations. Personne ne mange plus, les mets se refroidissent dans les assiettes. — « Ah ! ça, dit en riant ce diable d'homme, après nous avoir écrasés de ses affirmations et stupéfiés de sa voix de stentor, pourquoi ne dites-vous rien et pourquoi est-ce que je parle seul ? Il me semble que j'ai jeté un froid. Allons, vive le Bordeaux ! A nous deux ! » Et il m'en remplit un verre. — « Versez-moi du vin du Rhin », me dit « Mme Wagner ». Ainsi se termine ce petit incident de table. »
   Le séjour de Schuré à Bayreuth, en 1873, fut assez court. En 1876, il dura plusieurs semaines, toujours dans le cercle de Wagner. Les lettres quotidiennes qu'il écrivit à Marguerite Albana nous font vivre dans cette double atmosphère d'admiration, clairvoyante d'ailleurs et nuancée, pour l'œuvre qu'il voit presque journellement exécuter devant lui, et d'amusement parfois déconcerté et parfois choqué, que provoque le « diable » personnifié en cet artiste prodigieux, « l'étourdissant magicien », le « Titan germanique ».    Puis les rapports se distendent ; la période héroïque du reste est passée. Wagner n'a plus à lutter pour la gloire, ni guère pour son idéal. C'est l'organisation matérielle de Bayreuth qui l'occupe, et qui occupe Mme Wagner. Schuré, évidemment, fait partie des Patrons, c'est-à-dire des actionnaires, mais actionnaires désintéressés, sans même la promesse de dividendes.    Et la mort de Wagner, il y a cinquante ans, survient.
   Schuré a toujours conservé en ses sentiments ce que nous venons de percevoir. Enthousiasmé par ce que Wagner apportait de nouveau à la musique et au drame, trouvant en ce Germain une part d'inspiration que l'art de la latine France, — l'art en particulier, aimable, brillant, superficiel qu'aimait le second Empire — lui refusait, il s'est en toute sincérité lancé, on pourrait dire, dans l'apostolat wagnérien. Son fameux tome second du Drame musical : Richard Wagner, son œuvre, son idée, en fournit la preuve (2). Mais Wagner, à la main-mise trop prenante, a toujours poussé Schuré à se tenir sur la réserve personnelle. Du reste les individualités de ces deux hommes n'étaient pas faites pour une complète conjonction. Schuré s'en est nettement expliqué dans ses Souvenirs sur Richard Wagner. « J'ai connu, y dit-il, dans toute sa force la fascination de ce génie à travers ces créations ; j'ai connu aussi celle de l'homme, qui était à ses heures un grand charmeur dans une volonté terrible. Mais jamais l'enthousiasme que m'inspire son œuvre n'a pu faire taire mon besoin inné d'indépendance et jamais je n'aurais pu devenir pour Wagner un de ces disciples qui ne voient rien au delà ni en dehors de lui et qui jurent in verba magistri. »
   Nous pouvons être persuadés, comme Schuré, que, tout compte fait, Wagner admettait fort bien cette liberté d'allure. Qualités et défauts, il n'a rien caché de lui-même et s'est toujours montré tout entier. Je gage que si cet homme extraordinaire était encore en vie, il aimerait mieux être peint au naturel que placé dans une niche comme un Bouddha. Devant les timides servants de sa chapelle, il me semble que je le vois bondir et que je l'entends s'écrier, comme Wotan, à propos de Siegmund :  « Ne pétrirai-je que des esclaves ? » S'il n'aimait pas les « esclaves », tout en buvant avec délices l'ambroisie de l'admiration, il est naturel qu'il se soit, malgré des explosions de colère, réjoui du rôle de Schuré auprès, sinon de lui, du moins de son œuvre.
Alphonse ROUX,                                                                Vice-Président de la Société des Amis d'Edouard Schuré.
(1) Mlle Malvida de Meysenbug, qui fit faire à Schuré la connaissance de Mme Mignaty. (1) Dans Le Rêve d'une Vie, Schuré écrit : « Si je devais résumer en deux mots l'influence que ce puissant Daïmon exerça sur moi, je dirais qu'il me donna une plus haute idée du théâtre et m'ouvrit le premier une porte sur le monde occulte ».
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Les relations de Wagner et d'Edouard Schuré
Édouard Schuré se trouvait à Munich en 1869 pour la création du Rheingold de Wagner. Il est un des acteurs de mon livre Les Voyageurs de l'Or du Rhin où se trouve retranscrit l'article que Schuré consacra au premier Rheingold.
Luc-Henri ROGER, Les Voyageurs de l'or du Rhin. La réception française de la création munichoise du Rheingold à l'été 1869, BoD, 2019.  ISBN : 9782322102327
Pour en lire la préface, cliquer ici, puis sur lire un extrait.

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