L'occupation de la maison vendue, dont la vente est annulée, par l'acquéreur ne donne pas lieu à paiement d'une indemnité d'occupation, dès lors que la privation de jouissance n'est pas la conséquence de la faute des acquéreurs ayant justifié la résolution de la vente.
"M. O... D..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° N 19-11.679 contre l'arrêt rendu le 30 août 2018 par la cour d'appel de Dijon (2e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. U... S..., domicilié [...] ,
2°/ à Mme B... S..., domiciliée [...] ,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Farrenq-Nési, conseiller, les observations de la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat de M. D..., et après débats en l'audience publique du 11 février 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Farrenq-Nési, conseiller rapporteur, M. Nivôse, conseiller, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 30 août 2018), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 29 juin 2017, rectifié le 29 mars 2018, pourvoi n° 14-26.720), par acte sous seing privé du 28 mai 2003, M. D... a vendu à M. et Mme S... un immeuble dont le prix était payable par versements mensuels.
2. Ceux-ci l'ayant assigné en réalisation forcée de la vente, M. D... a formé une demande reconventionnelle en résolution de la vente pour défaut de paiement du prix et a demandé la condamnation des acquéreurs à lui payer une indemnité d'occupation, puis, devant les cours de renvoi successivement saisies après cassation, le paiement de dommages-intérêts en réparation de son préjudice de jouissance, sur le fondement de l'article 1382, devenu 1240, du code civil.Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. M. D... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement de dommages-intérêts, alors " que la partie de bonne foi au contrat de vente résolu peut demander la condamnation de la partie fautive à réparer le préjudice qu'elle a subi en raison de la conclusion du contrat résolu ; qu'en retenant, pour débouter M. D... de sa demande en réparation de son préjudice de jouissance, que l'impossibilité d'occuper, de vendre ou de louer le bien n'était que la conséquence de l'acte de vente lui-même et en aucun cas celle de la faute commise par les acquéreurs ayant justifié la résolution de la vente, cependant que M. et Mme S..., aux torts desquels la résolution de la vente avait été définitivement prononcée, étaient précisément tenus de réparer les préjudices résultant pour M. D... de la conclusion du contrat de vente résolu, notamment son préjudice de jouissance, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil. "
Réponse de la Cour
4. En retenant que l'occupation de la maison par M. et Mme S... tant que la vente n'était pas définitivement résolue n'avait aucun caractère fautif et que la privation de jouissance invoquée par M. D... n'était pas la conséquence de la faute des acquéreurs ayant justifié la résolution de la vente, la juridiction de renvoi s'est conformée à la règle de droit qui a été affirmée par la Cour de cassation, dans la même affaire, par son précédent arrêt rectifié du 29 juin 2017.5. Le moyen, qui invite la Cour de cassation à revenir sur la doctrine de son précédent arrêt, alors que la juridiction de renvoi s'y est conformée, est donc irrecevable.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. D... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. D... ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq mars deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat aux Conseils, pour M. D...
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. D... de sa demande de dommages-intérêts ;
AUX MOTIFS QU'
" Il ressort de la lecture des décisions intervenues dans le cadre du présent litige que le seul point restant à juger concerne l'indemnisation que Monsieur O... D... entend obtenir pour l'occupation de la maison objet de la vente dont la résolution a été prononcée par des dispositions aujourd'hui définitives, occupation par les époux S... entre février 2005 et leur expulsion intervenue en octobre 2010 ;Il doit être relevé sur ce point :
- que dans son jugement du 6 novembre 2009, le tribunal de grande instance de Troyes a débouté Monsieur D... de ce chef de prétention formulée sous la qualification d'indemnité d'occupation ;
- que l'arrêt de la cour d'appel de Reims en date du 29 novembre 2010, qui a infirmé de ce chef le jugement et fait droit à la demande de Monsieur D..., a fait l'objet d'un premier arrêt de cassation du 25 septembre 2012 ;
- que par arrêt du 16 septembre 2014, la cour d'appel de Reims, saisie sur renvoi de la demande de Monsieur D... présentée sous la qualification d'indemnisation d'une occupation fautive, a infirmé le jugement du tribunal de grande instance de Troyes en ce qu'il avait débouté l'intéressé de sa demande de condamnation des époux S... et a condamné ces derniers au versement de 30 000 euros de dommages intérêts à ce titre ;
- que par arrêt du 29 juin 2017, la cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel de Reims en ses dispositions concernant la demande de Monsieur D... ;
Il convient de relever sur ce point que manifestement le dispositif de l'arrêt de la cour de cassation, qui casse et annule l'arrêt ''en ce qu'il déboute Monsieur D... de sa demande tendant à voir condamner Monsieur et Madame S... à lui payer la somme de 19 758 euros correspondant à l'occupation de l'immeuble de février 2005 au 31 décembre 2008'' doit être lu en ce qu'il casse et annule l'arrêt de la cour d'appel de Reims en ce qu'il ''infirme le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur O... D... de sa demande tendant à voir condamner les époux S... à lui payer la somme de 19 758 euros correspondant à l'occupation de l'immeuble de février 2005 au 31 décembre 2008" ;
Pour s'opposer à la demande de condamnation formulée à leur encontre par Monsieur D..., les époux S... soutiennent qu'il est définitivement acquis que la demande ne peut pas prospérer sur le fondement de l'article 1382 ancien du code civil dès lors d'une part qu'il s'agit d'une demande nouvelle formulée à hauteur d'appel et d'autre part que la cour de cassation, dans son arrêt du 29 juin 2017, a retenu que la seule occupation de l'immeuble n'était pas constitutive d'une faute ;
Si, par application de l'article 564 du code de procédure civile les parties ne peuvent pas soumettre à la cour d'appel des prétentions nouvelles, il ressort des dispositions des articles 565 et 566 du même code que les prétentions ne sont pas nouvelles lorsqu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent ;
En l'espèce, il ressort de la procédure que devant le tribunal de grande instance de Troyes, Monsieur D... demandait déjà la condamnation des époux S... à lui verser l'octroi d'une indemnité d'occupation ; que sa demande aujourd'hui qualifiée de demande de dommages intérêts tend aux mêmes fins sous un autre fondement juridique ; qu'elle est en conséquence recevable ;
Dès lors que Monsieur D... ne demande plus à hauteur d'appel l'octroi d'une indemnité d'occupation, le jugement du tribunal de grande instance de Troyes en ce qu'il l'a débouté d'une telle prétention ne peut qu'être confirmé ;
Monsieur D... argue des dispositions de l'article 1352-3 du code civil nouveau selon lesquelles la restitution du bien après résolution de la vente inclut les fruits et la valeur de la jouissance que la chose a procurée, dispositions qui contredisent la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation qui subordonnait la restitution des fruits à la mauvaise foi de l'accipiens ;
Il relève qu'il a été privé de la jouissance de son bien jusqu'à l'expulsion des époux S... survenue en octobre 2010, et qu'il a subi ce préjudice en raison de la conclusion du contrat résolu par la faute de ces derniers ;
Il en conclut que le maintien de la jurisprudence désavouée par le législateur n'est plus légitime puisqu'issue de volontés qui n'incarnent pas la volonté générale ;
Toutefois, il ressort des dispositions transitoires figurant à l'article 9 de l'ordonnance du 10 février 2016 que les dispositions de cette ordonnance entrent en application le 1er octobre 2016, et que lorsqu'une instance a été introduite avant cette entrée en vigueur, l'action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne, laquelle s'applique également en appel et en cassation ;
Surtout, il convient de relever que Monsieur D... ne demande pas l'allocation d'une somme correspondant aux fruits et la valeur de la jouissance que la chose a procurée aux époux S..., mais expressément l'indemnisation de sa privation de jouissance en soutenant que la vente a été résolue en raison de la faute commise par ceux-ci et qu'il subit en conséquence un préjudice en raison du contrat annulé, ce préjudice consistant en l'impossibilité de louer, de vendre ou d'occuper son bien ;
Or l'impossibilité d'occuper, de vendre ou de louer le bien n'est que la conséquence de l'acte de vente lui-même et en aucun cas celle de la faute commise par les acquéreurs qui a justifié la résolution de cette vente ; D'autre part, l'occupation par les époux S... de la maison tant que la vente n'était pas définitivement résolue n'a aucun caractère fautif ;
Les dommages intérêts auxquels la partie qui a obtenu la résolution d'un contrat synallagmatique peut prétendre en application de l'article 1184 du code civil devenu 1217 du nouveau code civil ne concernent que l'indemnisation du préjudice résultant de cette résolution ; Or la privation de jouissance invoquée par Monsieur D... n'est pas la conséquence de la résolution de la vente, Monsieur D... ne peut en conséquence qu'être débouté de sa demande " ;
ALORS QUE la partie de bonne foi au contrat de vente résolu peut demander la condamnation de la partie fautive à réparer le préjudice qu'elle a subi en raison de la conclusion du contrat résolu ; qu'en retenant, pour débouter M. D... de sa demande en réparation de son préjudice de jouissance, que l'impossibilité d'occuper, de vendre ou de louer le bien n'était que la conséquence de l'acte de vente lui-même et en aucun cas celle de la faute commise par les acquéreurs ayant justifié la résolution de la vente, cependant que M. et Mme S..., aux torts desquels la résolution de la vente avait été définitivement prononcée, étaient précisément tenus de réparer les préjudices résultant pour M. D... de la conclusion du contrat de vente résolu, notamment son préjudice de jouissance, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil."