Magazine Bons plans

Judith Gautier aux fêtes wagnériennes de Weimar en juin 1870

Publié le 23 juin 2020 par Luc-Henri Roger @munichandco

Judith Gautier aux fêtes wagnériennes de Weimar en juin 1870

Judith Gautier — Photographie Ateliers Nadar


C'était il y a 150 ans...
Le quotidien Le Rappel du 24 juin 1870 publiait un article de Judith Mendès, née Gautier, daté du 19 juin. Les époux Mendès s'étaient rendus à Weimar pour y assister au Festival Wagner.  La chroniqueuse Judith Gautier prend la plume au sortir du Vaisseau fantôme donné en ouverture du Festival  qui comportait quatre opéras du compositeur, pour le plus grand bonheur des Wagnéristes.
Le Festival Richard Wagner à Weimar Weimar, 19 juin.    Beaucoup de ceux que l'on glorifie du titre de Wagnéristes coucheront cette nuit à-la belle étoile. Il est vrai qu'ils pourront choisir entre l'étoile qui brille à travers la tempête dans le Vaisseau Fantôme, et celle qui se lève au-dessus des monts et des vallées dans le Tannhäuser, et que cette circonstance leur fera prendre leur mal en patience.    Quant aux lits, ils ont été mis aux enchères, et il n'y a pas de matelas si dur qu'il soit qui n'ait trouvé des surenchérisseurs.    Les chambres d'hôtels sont transformées en dortoirs; les habitants de la ville se sont retirés dans les greniers et ont cédé leurs appartements aux envahisseurs.   Ceux-ci sont vraiment aussi nombreux que les sauterelles d'Egypte. Il en vient de Russie, de Pologne, d'Italie, de France, de Belgique, de Belgique surtout. Le Lohengrin, représenté à Bruxelles, a fait de nombreuses recrues.    Enfin Weimar, d'ordinaire si tranquille, est en ce moment la ville la plus populeuse qui soit.    La scène de Weimar a eu l'honneur de représenter la première plusieurs opéras de Richard Wagner, entre autres, Lohengrin. Liszt était alors maître de chapelle à Weimar, et le théâtre a conservé religieusement les traditions de son ancien et célèbre chef.    Ce soir, vient d'avoir lieu la représentation du Vaisseau-Fantôme, et nous avons pu juger de quelle ressource dispose ce théâtre, peu considérable en apparence. L'orchestre est un des meilleurs de l'Allemagne ; nous n'en avons jamais entendu aucun qui jouât avec autant de fougue et d'enthousiasme. Avec quelle énergie les instruments ont lancé les premières clameurs de l'ouverture, qui vous emportent en pleine tempête, au milieu de l'Océan obscurci. On sentait passer les frissons de l'orage ; des rafales furieuses sifflaient sur les violons, et l'appel désespéré du vaisseau maudit dominait le tumulte avec une intensité lugubre.    Lorsque la toile se lève sur une côte de Norvège, une côte désolée et aride, et que le navire aux voiles sanglantes s'avance et jette l'ancre avec un bruit formidable, le public est saisi par une sorte de terreur mystérieuse, qui s'affirme encore quand le marin légendaire apparaît au pied du mât, avec son visage blême comme l'éclair et ses vêtements noirs dans lesquels frémit le vent des naufrages.       Nous n'analyserons pas le Vaisseau Fantôme ni les autres opéras de Wagner, qui vont être représentés successivement. Ces ouvrages, qui n'ont cependant jamais été chantés à Paris, sont connus de la plupart, à tel point qu'il est devenu oiseux d'en parler. Nous voulons seulement faire connaître aux admirateurs de Wagner, à ceux qui n'ont pas pu s'absenter de Paris, les noms, célèbres en Allemagne, des artistes qui ont prêté leur concours aux représentations de Weimar.    Plus l'intimité avec la musique de Wagner est profonde, plus est grand l'enthousiasme qu'elle inspire. Il est donc fort naturel que les artistes chargés de l'interpréter soient ses plus fanatiques admirateurs. On peut s'imaginer aisément quelle passion cet enthousiasme compréhensif communique à la voix et au jeu des chanteurs.    M. Milde est vraiment le Hollandais lui-même. Quelle lassitude dans ses gestes, quel désespoir dans ses yeux ! Il a souffert toutes les douleurs du sombre capitaine, subi tous ses naufrages ; Mlle Reiss s'est absolument incarnée en Senta [Le Rappel imprime Leuta en lieu et place de Senta]. Certainement elle, n'oserait pas affirmer qu'elle ne rêve pas quelquefois du Hollandais Volant et que, si elle le rencontrait par miracle, elle ne se sacrifierait pas pour le sauver.    Daland, le marin de Norvège, joyeux et avide, est remarquablement interprété par M. Scaria, qui a une voix puissante et superbe.    M. Gunz a donné au rôle d'Erick, le chasseur amoureux, un caractère de sauvagerie et de violence qui a fait très heureusement ressortir ce personnage un peu sacrifié. Quant aux choristes, on ne pouvait pas les espérer meilleurs musiciens, et ils sont en outre remarquables par une l'intense entente du groupe et des jeux de scène.    Le public de Weimar est un public dès longtemps en proie à la passion des choses artistiques. Il est donc inutile de dire que le Vaisseau-Fantôme a remporté un succès immense, et que M. Lassen, le maître de chapelle, a été acclamé avec enthousiasme.   Dans quelques jours, Tannhäuser, Lohengrin, les Maîtres chanteurs, et dans quelques mois, Tristan et Iseult. Les Wagnéristes n'ont jamais été à pareille fête. Ils parlent de fonder une colonie à Weimar. JUDITH MENDÈS.

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Luc-Henri Roger 35935 partages Voir son profil
Voir son blog