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Le Tour de Rien : en ville

Publié le 23 juin 2020 par Nicolas Esse @nicolasesse

Un coup de klaxon. Je sursaute. La moto me dépasse.
Vroum.
Je la retrouve un peu plus loin. Arrêtée au feu rouge.

— Ça vous amuse d’effrayer les cyclistes ?
— Non. Mais vous étiez au milieu de la route.

Je suis de corpulence moyenne. 1 mètre 73 pour 73 kilos. Largeur hors-tout, 70 centimètres à tout casser. 70 centimètres de chair sur une route permettant le passage de deux camions à l’aise. J’avoue, je n’étais pas tout à fait collé contre le mur côté montagne. À vélo, il est toujours prudent de laisser un espace entre un mur et soi. Mais bon, il restait quand même assez de place pour un camion et demi, ce qui nous fait à peu près trois motos.
Nous avons eu le temps d’échanger des points de vue différents, la motarde et moi. Ensuite, le feu est passé au vert. Elle a refait vroum. Je me suis remis en selle, moi et mes 70 centimètres plus 73 kilos de chair plus 10 kilos de vélo. J’y pense souvent en ville, sur mon vélo. D’un côté, un guidon et deux roues filigranes entraînées par une paire de jambes à demi-nues en été.
De l’autre trois tonnes d’acier trempé.

Au jeu de qui aplatit qui, c’est qui qui va gagner ?

Le type dans son 4X4 dispose de 300 chevaux montés sur des roues de tracteur. Sa garde au sol rehaussée permet le franchissement aisé d’une congère ou d’un corps allongé. S’il s’agit d’un cycliste, les bruits de chair écrasée mêlés au métal broyé seront parfaitement filtrés par des matériaux isolants de première qualité. Et le type dans son tank n’aime pas les microbes de mon genre.
À zéro à l’heure, morne et pendulaire, il vrombit de douleur pendant que je remplis le champ de son rétroviseur.
Et si ce n’était la peinture de sa chère voiture, il balancerait bien volontiers sa portière dans ma triste figure.
Mais moi, rusé comme un renard, je remonte la file sur des oeufs jusqu’au cul de la voiture de tête plantée sous le feu rouge. Comme la poupe est toujours pourvue d’un pot d’échappement, je pousse l’insolence jusqu’à me mettre devant.
Tout devant.
Ça les énerve, je le sens. Moi, je fais semblant de rien.
Extérieur, cool, à la fraîche, la mer qu’on voit danser.
Intérieur, attention, concentration, sinon ça va chier.

Sur le sémaphore perpendiculaire le signal piéton passe à l’orange, puis au rouge. C’est le moment de décoller. Là. Maintenant ! Mais pourquoi maintenant ? Parce que dans l’effervescence qui suit le passage d’un feu au vert, le cycliste préfèrera se trouver à l’avant qu’à l’arrière.
On ne sait jamais. Un coup de pare-chocs est si vite arrivé.
Donc, une fraction de seconde avant que la meute s’ébranle, je mets tout ce que j’ai dans les pédales et la tête dans le guidon, je frôle la jambe d’un piéton.

— CON DE CYCLISTE !

Je freine, recule, m’assure qu’il n’y a rien de cassé.

— Non, vous avez pas réussi à m’écraser.
— Je suis désolé
— Et moi, j’en ai marre. Marre de tous les mecs comme vous qui savent pas rouler. 

Un coup de vélo est si vite arrivé.


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