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Affaire de pollution Tricastin-Areva : radioscopie des défaillances au plan technique et de la communication

Publié le 22 juillet 2008 par Muzard

2552895_106 L’incident survenu le 7 juillet dernier à la centrale de  Tricastin, aurait pu ne susciter que quelques brèves dans la presse compte tenu du fait qu’il a été déclaré de « niveau 1 », le plus bas niveau dans l’échelle des risques nucléaires et qu’à priori il ne pose pas de problème sanitaire.

Et pourtant , il a généré une vraie crise pour Areva, maison mère de Tricastin  comme pour le gouvernement.

 Pour Areva : puisque  le site de Tricastin doit fermer certaines installations selon une décision de l’ASN et  changer de Directeur Général. Sachant que désormais tous les sites d'Areva seront placés sous surveillance de l'opinion.

Pour le gouvernement aussi. Les acteurs anti - nucléaires se mobilisent, l’opinion s’inquiète, les autorités de contrôle du nucléaire ont perdu en crédibilité… Cette situation a conduit Jean-Louis Borloo à réagir officiellement en annononçant qu’il voulait vérifier les nappes phréatiques près des centrales nucléaires.
C’est vrai que cette affaire tombe mal à propos dans un contexte où Nicolas Sarkozy a décidé de construire un second réacteur nucléaire.

Le plus souvent, une crise est révélatrice de nombreux dysfonctionnements et non pas d’un dérapage isolé.Tricastin n’échappe pas à cette règle.

Des dysfonctionnements au plan technique et de la sûreté.

Visiblement, la centrale est confrontée à des dépassements de seuils autorisés en rejets de produits chimiques et radio actifs depuis longtemps, en tout  cas avant cet incident. Elle avait d’ailleurs reçu plusieurs avertissements de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (l’ASN) en 2007.
Et la manière de gérer au plan technique le problème d’étanchéité d’une cuve de rétention qui semble être à l’origine de la pollution du 7 juillet, confirme ces manquements.
En effet, si le problème d’étanchéité a été constaté le 2 juillet, il a fallu attendre le débordement de la cuve pour que le problème soit pris au sérieux et que le plan d’urgence soit déclenché.
Enfin, les problèmes de fuite détectés en fin de semaine dernière, dans un autre site d'Areva, dans la Drôme peuvent laisser penser que les dysfonctionnements ne se limitent pas à Tricastin.

Des maladresses de communication

Erreur 1-:  le site de Tricastin a tardé avant d’informer les autorités, les préfectures concernées et  avant de parler aux médias. Quant aux maires des communes voisines, ils n’ont été informés que le lendemain de l'incident  !
Les dirigeants du site ont donné d’entrée de jeu, l’impression qu’ils essayaient de cacher l’incident. Il semblerait qu’ils aient essentiellement communiqué par oral (notamment à l’AFP). En laissant le soin à l’ASN de diffuser plus largement un communiqué de presse.  On est loin d’une communication transparente.

Erreur 2- : le site a cherché à minimiser au maximum la pollution du 7 juillet en se contentant de le classer dans les incidents mineurs car de niveau 1. C’était sans compter la réaction de Greenpeace ou du  Criirad qui ont pointé du doigt certaines contradictions : le risque  sanitaire serait faible alors pourquoi prendre les mesures d’interdiction telles que ne plus consommer d’eau potable dans les communes environnantes ? Ils ont rappelé que Tricastin avait pris soin de ne pas révéler la quantité de  produits radio actif détectée, car celle-ci était très supérieure, selon leurs estimations, aux normes autorisées. Dès lors, l’opinion pouvait commencer à douter de la sincérité de la communication du site.

Erreur 3 -  les dirigeants de Tricastin ont considéré que l’incident pouvait être qualifié de banal, étant donné qu’il ne présentait pas de risque de nature sanitaire.
Si les conséquences au plan sanitaire semblent limitées, les conséquences sur la vie quotidienne des populations locales sont significatives. En particulier,  les agriculteurs  et les éleveurs qui ont souffert de l’interdiction d’irrigation ou de distribution d’eau aux animaux. Ou encore les habitants qui se sont rués dans les supermarchés pour acheter des litres de bouteilles minérales…
En minimisant trop l’incident et surtout ses conséquences au plan local, en n’exprimant aucun empathie, aucun regret par rapport aux difficultés provoquées par la pollution, le site de Tricastin s’est positionné en institution « froide, inhumaine, irresponsable » . Et ce d’autant qu’il n’a pas proposé d’aider les populations locales et encore moins  de prendre ses responsabilités vis à vis des éventuels dommages causés..


Erreur 4- interrogée sur le fait que le site aurait déjà été  confronté à  des incidents, la Direction de la communication de Tricastin a contesté ces accusations en affirmant « c’est la première fois qu’un tel incident se produit ». Or la encore, les faits ont contredit cette affirmation. Puisqu’il est vite apparu que l’ASN avait adressé plusieurs remarques à la Socatri en 2007. Devant ce fait avéré,  la Direction de la communication d’Areva, continue à nier tout problème « nous avons pris acte des injonctions de l’ASN »…mais l’argument ne suffit pas à convaincre, sachant que de nouvelles analyses ont fait apparaître d’autres problèmes non élucidés à ce jour, sur les nappes phréatiques voisines. En contestant, au début de l’affaire tout au moins, tout dysfonctionnement, Areva ne pouvait guère espérer être plus crédible que sa filiale.

Erreur 5- le site de Tricastin conteste l’hypothèse du Haut Comité pour la Transparence et l’Information sur la Sûreté Nucléaire (HCTISN) qui considère que des déchets militaires anciens seraient la cause de la contamination avérée de nappes phréatiques voisines. En remettant en cause l’opinion de cette autorité qui est censée être plus indépendante que l’ASN, Areva ne gagne pas non plus en crédibilité, et s’isole un peu plus.

Mais que pouvait faire Areva ?

Il ne faut pas surestimer le pouvoir de la communication. A partir du moment où il existait des défaillances techniques sérieuses, il était difficile de sortir indemne de cette affaire.

Cependant,  Areva aurait pu éviter de perdre durablement la confiance des populations locales dans le management du site  et d’alimenter la peur des Français par rapport au nucléaire en renforçant le  sentiment qu’on « leur raconte des histoires ». Elle aurait pu éviter que les dérapages de sa filiale impactent au final quelque peu sa réputation.


On pourrait penser que la tactique de communication a quand même permis d’éviter la panique au plan local.  C’était vrai à court terme, mais il semblerait que ce soit moins le cas aujourd’hui, les habitants ont peur, en témoignent les pharmacies locales confrontées à une rupture de stock des pastilles iodées (l’antidote à une exposition radio active).  Et surtout, le lien de confiance avec le site de Tricastin paraît rompu.

Entre dramatiser et minimiser une situation, il existait pourtant une position intermédiaire.
Il vaut toujours mieux se rapprocher le plus possible de la réalité. Préciser la quantité précise de radio activité détectée (comme c’est fait habituellement, car tout changement d’habitude dans la communication génère des doutes),  tout en précisant que c’est du niveau 1.

Le site de Tricastin, aurait pu au moins exprimer des excuses pour avoir causé des inquiétudes et des difficultés à la population locale et faire preuve  d’humanité voire de solidarité (en montrant comment l'aider). Tout en tenant un discours rassurant quant aux conséquences sanitaires.

Et surtout, il ne fallait pas dissimuler le fait que le site avait déjà été confronté à des difficultés.
Enfin, au lieu de laisser croire que tout était sous contrôle, qu’elle savait ce qui s’était passé et tenter de classer l’affaire, Areva aurait du reconnaître qu’elle prenait les choses au sérieux même si ce n’était qu’un incident de niveau 1 . Elle aurait pu annoncer qu’elle lançait une enquête approfondie et que des dispositions seraient prises pour que ce problème ne puisse pas se reproduire.
Cela aurait permis implicitement  de faire passer un message rassurant « Chez Areva, on prend des précautions, on ne traite rien à la légère ».
D'une manière générale en matière de crise, il vaut mieux admettre un problème et montrer comment on va le résoudre que le nier.

Certes, sous la pression médiatico-politique, Areva a pris la mesure de la crise. Sa responsable est alors montée en première ligne pour annoncer le changement de son Directeur Général et admettre qu’il pouvait y avoir  eu des manquements. Mais cela suffira-t'il pour retrouver de la crédibilité. Car désormais l’opinion doute. Et si les autres centrales étaient aussi peu fiables que celle de Tricastin ?  Si  nous étions empoisonnés depuis des années sans le savoir !
Les députés verts, les communes voisines… ont décidé de mener l’enquête voire d’engager des actions en justice contre le site de Tricastin. L’affaire est loin d’être finie.

Si Areva veut sortir la tête haute de la crise, il doit annoncer des mesures fortes pour moderniser, sécuriser ses installations et prendre des engagements pour communiquer de manière plus transparente, non seulement au niveau de la maison mère mais aussi des sites eux mêmes.


Ces incidents n'ont rien de comparables à ceux qui sont survenus aux USA (Three Mile Island) ou en Russie avec Tchernobyl, donc il ne faut pas céder à la  panique ni  remettre en cause le modèle nucléaire français. Mais il appartient aux acteurs du nucléaire de rapidement démontrer leur capacité à renforcer significativement la sûreté nucléaire et à assumer leur responsabilité.


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