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Drame de Mayerling : le cocher Bratfisch et son fiacre
Publié le 03 août 2020 par Luc-Henri Roger @munichandcoExtrait de Mayerling de Claude Anet : l'archiduchesse, la femme de Rodolphe, passant devant la demeure de la maîtresse de son mari, reconnaît le fiacre de Bratfisch et décide d'humilier son époux :
[L'archiduc Rodolphe] employait pour ces sorties qui devaient rester secrètes [ses rendez-vous galants] un cocher bien connu à Vienne, Bratfisch, homme discret et sûr qui lui était entièrement dévoué. Ce Bratfisch, joyeux compère, avait gagné une sorte de célébrité par ses talents de siffleur. Il n'était pas rare que ses clients de nuit le fissent venir dans le cabinet particulier où ils soupaient pour l'entendre siffler les airs populaires et les chansons à la mode. Ce soir-là, Bratfisch attendait donc à la porte du petit hôtel de la Waaggasse où habitait la belle comtesse Czewucka. Il se trouva que la princesse était ce même soir au théâtre. Le chemin le plus direct pour rentrer à la Hofburg passait par la Waaggasse. A la sortie du théâtre, le landau qui l'avait conduite prit donc cette rue. A la porte du petit hôtel de la comtesse Czewucka, elle [l'archiduchesse Stéphanie, épouse de Rodolphe] vit là voiture de Bratfisch. Il y avait trop de gens à la cour qui avaient intérêt à brouiller le couple impérial pour que la princesse ignorât que son époux s'occupait à ce moment-là de la jolie Polonaise. On ne lui avait pas laissé ignorer non plus que Rodolphe employait souvent pour ses sorties amoureuses Bratfisch qu'elle connaissait comme tout Vienne.. Elle se souvint que son mari avait refusé de l'accompagner au théâtre sous un prétexte qui lui avait semblé peu plausible. Mettant tout cela ensemble, elle eut aussitôt la conviction que Rodolphe était là derrière les volets clos de cet hôtel.
Sans hésiter, elle fit arrêter fit arrêter sa voiture, descendit et s'adressant à Bratfisch lui ordonna de la ramener à la Hofburg. Le joyeux compère se trouva fort embarrassé. Comment ne pas obéir à un ordre de la princesse impériale ? Du reste, s'il refusait, le scandale n'irait-il pas plus loin ? Ne serait-elle pas capable de sonner à la porte de l'hôtel ? En un clin d'œil, il eut pesé les difficultés de la position et, avec un aimable sourire, il répondit : — Aux ordres de V. A. I. [pour Votre Altesse Impériale]
La princesse donna l'ordre à son landau dont le cocher et le valet de pied portaient la livrée impériale d'attendre la porte de l'hôtel et monta dans la voiture de Bratfisch. On imagine les commentaires de la valetaille à la Hofburg lorsqu'on vit descendre la princesse de cet équipage. Il ne se passa pas vingt-quatre heures sans que toute la cour ne fût informée de ce nouveau scandale. Il arriva jusqu'aux oreilles de l'empereur qui déplora la conduite de sa belle-fille. La devise de ceux que leur haute position met en vue est le mot de l'Évangile « Malheur à celui par qui le scandale arrive. » Rodolphe acceptait les règles du jeu et observait pour sa vie privée le secret nécessaire. Mais comment ne pas blâmer une princesse qui rendait publics les dissentiments conjugaux et donnait à rire à la cour et à la ville. Rodolphe n'en ouvrit pas la bouche à sa femme. A quoi bon ? [...]