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Chronique politique du perou 2019

Publié le 11 juillet 2020 par Slal

REFORMES POLITIQUES DU PRESIDENT VIZCARRA, LUTTE ANTICORRUPTION, NOUVEAU CONGRES ET DECLIN DEFINITIF DU FUJIMORISME : UN TOURNANT IMPORTANT POUR LE PAYS

Mariella Villasante Cervello
[Anthropologue (EHESS), chercheure associée à l'IDEHPUCP, Pérou]

Le nouveau gouvernement du président Vizcarra, octobre 2019

L'année 2019 marque une rupture importante dans l'ordre politique du Pérou depuis 2000. En effet, malgré les agissements des partisans de l'ancien dictateur Alberto Fujimori et de sa fille Keiko (tous les deux en prison actuellement), les réformes politiques du président Martín Vizcarra, ont pu se concrétiser. Mieux encore, après avoir été investi le 23 mars 2018 — suite à la démission de l'ex président Pedro Pablo Kuczynski, accusé de corruption —, et pour faire face aux manigances et à l'obstructionnisme constant des congressistes fujimoristes majoritaires, le président Vizcarra a décidé la fermeture du Congrès en septembre 2019, provoquant ainsi une large restructuration de la vie politique du pays, et le déclin définitif des partisans du fujimorisme. Ces partisans, en large majorité pauvres, non éduqués et séduits par des discours populistes avaient, en 2016, failli porter à la présidence Keiko Fujimori.

Des affaires de corruption à grande échelle ont fini par toucher la grande majorité des dirigeants du groupe fujimoriste, y compris Keiko Fujimori qui n'est plus candidate à la présidence et risque de passer de nombreuses années en prison. Ses électeurs ont apporté leurs voix à des groupes marginaux, disposant d'une forte présence en milieu rural, et porteurs des idées autoritaires et/ou ultra religieuses. Cependant, lors des élections législatives tenues le 26 janvier 2020, les Péruviens ont voté de manière préférentielle pour les groupes conservateurs de la droite traditionnelle (Acción popular, 10,1% des voix) et du centre-droite (Alianza para el progreso avec 8,0%, et Partido morado avec 7,5% des voix). Au total, ces groupes réunissent environ 31% des voix, soit environ 67 sièges. Alors que les fujimoristes n'ont obtenu que 7,0% des voix (ils disposent de 15 sièges contre 72 dans la précédente législature). Le fait est de taille et marque un avant et un après dans l'ordre politique national depuis la démission d'Alberto Fujimori en novembre 2000.

En ce début d'année 2020, la mise à l'écart du fujimorisme, fondé sur un populisme d'extrême droite et dont les chefs de file ont participé à de vastes réseaux de corruption et d'actions violentes et anti démocratiques, ne peut être que bénéfique pour entamer des réformes politiques urgentes, celles de l'État et des institutions nationales. Dans cette chronique politique, nous évoquerons d'abord la situation économique et sociale, avec deux thèmes centraux : les résultats du premier recensement ethnique de la population de 2018, et la présence de près d'un million de migrants vénézuéliens au Pérou, cause d'une nouvelle xénophobie.

La situation politique sera traitée en second lieu, avec l'analyse des élections législatives de janvier 2020 qui ont renouvelé le congrès jusqu'aux élections générales de juillet 2021. Dans ce contexte, les membres du Sentier Lumineux toujours actifs, alliés aux narcotrafiquants, sont réapparus dans la région de la Vallée des fleuves Apurímac, Ene et Mantaro (VRAEM), encourageant les populations à se soulever contre l'État. De leur côté, les partisans du MOVADEF [Movimiento por la amnistía y los derechos fundamentales] organisé par Abimael Guzman depuis sa prison, appelaient à voter blanc. Les activités de ces groupes subversifs sont restées cependant réduites en 2019 suite à la capture, en juillet, de « Julio Chapo », un dirigeant sanguinaire.

En troisième lieu on évoquera la poursuite de la lutte anti-corruption dirigée par les juges chargés de l'affaire de méga corruption latino-américaine Lava Jato, qui évolue au gré des aveux des ex-dirigeants de l'entreprise brésilienne des travaux publics Odebrecht connus maintenant pour avoir financé, à coup de millions de dollars, politiciens et hauts fonctionnaires latino-américains en échange de leurs faveurs. Actuellement, presque tous les ex-présidents péruviens depuis 2001 sont poursuivis : Alejandro Toledo [2001-2006] est en prison aux États-Unis et attend son extradition pour être jugé au Pérou ; Alan García [2006-2011] s'est suicidé en avril 2019 après les graves accusations de corruption à son encontre ; Ollanta Humala et son épouse Nadine Heredia ont été placés en prison préventive en 2019 et ils attendent leur procès. Enfin, Keiko Fujimori a fait de la prison préventive en 2019, libérée en décembre 2019, elle est à nouveau en prison depuis janvier 2020.

LA SITUATION ECONOMIQUE ET SOCIALE DU PAYS, LES RESULTATS DU PREMIER RECENSEMENT ETHNIQUE DE LA POPULATION ET LES MIGRANTS VENEZUELIENS

En 2019, la croissance péruvienne a été de 2,2%. L'économie du pays s'est adaptée au contexte international changeant et incertain dû aux conflits commerciaux entre les États-Unis et la Chine, et avec l'Europe. Selon les spécialistes, cette situation s'explique par la politique monétaire et fiscale prudente menée depuis une vingtaine d'années, par la croissance des exportations et par l'intégration du pays aux marchés régionaux et globaux.

La croissance du PIB est passée de 4% en 2018 à 2,3 % en 2019, en raison de la baisse des prix des métaux, dont le cuivre, principal produit d'exportation. Cependant, le Pérou se situe en deuxième position en Amérique Latine, après la Colombie (3,2%), et devant le Chili (1,3%), le Brésil (1,1%) et le Mexique (0,1%) (BCR, Peru 21 du 4 janvier 2020). Le pourcentage de la dette extérieure par rapport au PIB se situe au-dessous de 30%, l'un des taux les plus bas de la région. Les réserves internationales ont atteint 68 milliards de dollars en décembre 2019. Enfin, l'inflation se situe autour de 2,3%, en accord avec les prévisions de la Banque centrale (entre 1% et 3%).

Selon la Banque Centrale de Réserve [BCR], en 2020 la croissance devrait être de 2,7%, avec de meilleurs résultats dans les domaines des mines et de la pêche, comme dans la manufacture primaire. On attend également une augmentation de l'investissement public et la réactivation des dépenses des gouvernements régionaux. Parmi les indicateurs positifs, la BCR a signalé : l'augmentation de la consommation interne de ciment (+5% en septembre 2019), le dynamisme du marché du travail urbain à l'échelle nationale (+2,6% en août), le crédit de la consommation (+11% en septembre), et la relance de l'investissement public (+4,8% en septembre) (Andina, 1er janvier 2020 [1] ).

Les prévisions de croissance restent cependant dépendantes des exportations des matières premières (dont les prix sont liés aux fluctuations du marché international), des mesures commerciales protectionnistes, de la baisse de la croissance en Chine et aux États-Unis et des crises climatiques, dont le retour du phénomène « El Niño » (Banco mundial, octobre 2019 [2]).

En un mot, l'année 2019 a été assez positive et cette année s'annonce également positive. Pour autant cette bonne conjoncture économique n'a que peu d'effet sur les inégalités sociales, le niveau de pauvreté très important, notamment en milieu rural, et le retard général de l'éducation des enfants.

En 2018, 20,5% de la population péruvienne [31 millions] était classée comme « pauvre » [6 593 000 personnes] et 2,8% [900 000 personnes] comme « extrêmement pauvre » (Instituto nacional de estadística, INEI, La República du 10 avril [3]). Une autre donnée importante concerne le fait que 27,7% de la population pauvre parle une langue native, ce qui confirme la situation d'exclusion des populations quechua et amazoniennes.

On ne dispose pas encore de données pour l'année 2019 ; le PNUD a annoncé en avril 2019 que la « pauvreté multidimensionnelle » avait diminué au Pérou. Mais en réalité les pourcentages de baisse restent très faibles, et l'on peut estimer qu'actuellement au moins 20% des Péruviens vivent dans la pauvreté, sans avoir accès à une alimentation correcte et à un habitat décent, sans avoir accès aux soins de santé ni à une éducation de base digne. Le haut taux d'anémie des enfants âgés de 6 à 35 mois qui était de 42% en 2018, constitue un indice évident de cette situation navrante dans un pays riche en matières premières, mais avec une redistribution des richesses presque inexistante. L'une des priorités du gouvernement du président Vizcarra fut et reste la réduction de l'anémie des petits enfants, et le plan mis en route concerne une quinzaine de ministères, les gouvernements régionaux et les organisations de la société civile. L'objectif annoncé est de réduire l'anémie des enfants de moins de 3 ans à 39% en 2019, à 29% en 2020, et 19% en 2021 (Gestión 9 février 2019 [4]).

1 : Infographie du taux d'anémie d'enfants de 6 à 35 mois au Pérou : évolution entre 2011 et 2018

(Source : INEI Encuesta demográfica de salud familiar, Gestión 9 février 2019)

Malgré une croissance correcte, les programmes sociaux destinés à l'aide aux millions de Péruviens qui survivent péniblement chaque jour ne sont pas suffisants. Ils n'arrivent même pas aux régions rurales d'accès difficile, notamment en Amazonie, qui concentre un taux de 42% de pauvres [2 958 000 personnes], alors que dans les zones urbaines le taux de pauvreté est de 14% [3 634 000 personnes]. Plus choquant encore, Cajamarca, qui est le département où se trouve la mine d'or la plus grande d'Amérique du Sud, est aussi le département avec le plus haut pourcentage de pauvres (entre 37 et 46% de la population). En outre, huit départements ont un taux de pauvreté situé entre 32% et 36% : Amazonas, Apurímac, Ayacucho, Huancavelica, Huánuco, Loreto, Pasco y Puno. Et six autres départements ont un taux supérieur à 20% de pauvres : Ancash, Cusco, La Libertad, San Martin, Junin y Piura. Dans les villes de la côte, y compris Lima, le taux de pauvreté oscille entre 11% et 13%.

2 : Infographie de la pauvreté au Pérou, 2017-2018

(Source : INEI : Encuesta nacional de hogares 2017-2018, La República [5] )

• Les résultats du premier recensement ethnique

En 2017 eut lieu le premier recensement qui tenait compte de l'auto-identification ethnique des Péruviens de plus de 12 ans. La population totale est passée de 27 412 127 personnes en 2007 à 31 237 385 personnes en 2017. Dans ce cadre, l'auto-identification ethnique a concerné 74% du total, soit 23 196 391 Péruviens.

TABLEAU N° 1 : DONNEES DU RECENSEMENT DE 2017


• La majorité s'est identifiée comme étant « métis » (60,2%), alors que les Quechua représentent la première minorité nationale (22,3%) ; loin derrière se placent les « Blancs », descendants des Européens, qui ne représentent que 5,9% du total des Péruviens. Les Afro-descendants occupent la troisième position des groupes minoritaires (3,6%), suivis par les Aimaras (2,4%), les natifs de l'Amazonie (0,3%), les Nikkei d'origine japonaise (0,1%) et les Tusan d'origine chinoise (0,1%). Le critère d'auto-identification limité au plus de 12 ans implique que l'on ne connaît pas la position de 8 040 994 mineurs, mais on peut supposer qu'elle est similaire à celle des parents (INEI, Base de datos 2017, Perfil sociodemográfico août 2018, et Resultados definitivos, octobre 2018 [Voir Villasante 2019 : 61-62].

• L'estimation de l'évolution des populations amazoniennes confirme que les Ashaninka de l'Amazonie centrale constituent le groupe natif le plus nombreux du pays : leur population est passée de 88 703 en 2007 à 115 669 en 2017 ; soit un tiers de la population native du pays (32%) qui est estimée à 432 867 personnes.

Certains analystes nationaux ont critiqué ce recensement arguant qu'il allait diviser les Péruviens en les enfermant dans des catégories communautaires. Cependant, l'État a fait valoir l'intérêt de déterminer l'auto-perception des Péruviens après deux siècles de République. Une auto-perception qui était souvent associée aux « origines raciales » héritées de l'époque coloniale, et toujours à la base des hiérarchies sociales. D'autre part, il fallait déterminer le nombre des ressortissants des groupes minoritaires autochtones pour pouvoir organiser des programmes d'aide sociale plus précis, mieux ciblés, dans l'ensemble du territoire national.

Ce qui est ressorti de manière claire est que les « Blancs » ne sont que 6% de la population totale, et que les Métis représentent la majorité des Péruviens. Les Quechua n'ont plus honte de leurs origines, comme par le passé, et 22% (plus de 5 millions) affirment sans complexes leurs racines culturelles et linguistiques. Le processus de métissage culturel a cependant beaucoup avancé car on sait qu'un certain nombre de Péruviens d'origine quechua préfèrent s'auto-identifier comme « métis », une catégorie qui, dans les mentalités ordinaires, favorise la mobilité sociale.

Dans la vie quotidienne, les scènes de racisme à l'encontre des « indiens » [terme péjoratif au Pérou] quechua et amazoniens perdurent, notamment en milieu rural, qui reste très conservateur. Néanmoins, au niveau local et régional, l'État a introduit des mesures de lutte contre le racisme ordinaire en favorisant le dépôt de plaintes contre ces agissements.

Enfin, l'auto-identification « Métis » majoritaire n'implique pas que les hiérarchies entre les métis eux-mêmes aient disparu, bien au contraire, car ceux qui revendiquent des origines européennes feront toujours preuve de leur sentiment de supériorité vis-à-vis ceux qui ont des ancêtres « indiens », « noirs », ou « asiatiques ».

L'essor revendiqué des métis est aussi observable dans le milieu politique et public en général ; si les Péruviens avec des origines européennes occupaient jadis la majorité des postes de direction dans le milieu politique et économique, depuis une dizaine d'années les métis d'origine provinciale sont devenus plus visibles dans ces milieux. Les grandes villes de la côte, dont Lima, sont majoritairement habitées par des migrants provinciaux qui tentent d'échapper à leur classement minoré en envoyant leurs enfants aux écoles et universités privées. Cependant, les générations des parents et grands-parents sont restées peu éduquées ; ce qui ne les empêche pas de s'enrichir, et de monter dans l'échelle sociale, en somme de « réussir » leurs vies.

La migration des Vénézuéliens et les réactions de xénophobie et racisme des Péruviens
Depuis quelques années, suite à la crise de gouvernement et la disparition de l'État de droit au Venezuela, des millions de Vénézuéliens ont émigré dans les pays voisins, dont la Colombie et le Pérou, mais aussi l'Équateur, l'Argentine, l'Uruguay, le Chili et le Brésil ; les plus fortunés émigrent en Europe (Espagne) et certains réussissent à entrer au Mexique et aux États-Unis.

En décembre 2019, l'Organisation des États Américains [OEA] estimait que 10% de la population totale, soit 4,7 millions de Vénézuéliens avaient quitté leur pays ; chaque jour, ils sont environ 40 000 à traverser la frontière avec la Colombie. Dans ce pays, la population vénézuélienne atteint 1,6 million de personnes. Selon l'INEI, en octobre 2019, 862 000 Vénézuéliens vivaient au Pérou ; 77% d'entre eux (382 120) résident à Lima, qui compte environ 10 millions d'habitants (La República du 18 décembre 2019 [6] ).

Les capacités d'intégration des migrants vénézuéliens sont cependant très limitées au Pérou, où l'on estime que seulement 12,5% ont pu trouver des emplois formels ; les autres survivent grâce au travail informel, mal payés et souvent exploités et discriminés, et les femmes sont harcelées sexuellement.

3 : Vénézuéliens au Pérou (Source : Teletrece, You Tube, 2019)

Le gouvernement de Vizcarra a promulgué des mesures d'aide humanitaire d'urgence en faveur des migrants vénézuéliens depuis 2018 ; elles sont gérées par un organisme spécialement créé à cette fin (Monitoreo del flujo de migración venezolana en Perú). De plus, les églises et des ONG comme World Vision et CARE, financées par USAID, tentent de réduire la vulnérabilité des migrants et des Péruviens très pauvres depuis juillet 2019. Les programmes d'aide au logement, à la nourriture, à la santé et au transport, ciblent en particulier les villes de Lima, Tumbes et Trujillo, ainsi que les groupes vulnérables d'enfants et d'adolescents, les femmes seules avec des enfants à charge et les personnes âgées (La República du 27 juillet 2019 [7] ).

Dans ce contexte préoccupant, une partie non négligeable de la population péruvienne (issue surtout des classes populaires) a réagi avec une agressivité rare, poussée en cela par des politiciens pitoyables qui agitent les mêmes épouvantails employés par l'extrême droite en Europe contre des « étrangers qui viennent voler les emplois aux locaux », qui « introduisent des vagues de criminalité » et qui « devraient être expulsés de force ». Ainsi par exemple, lors de la déclaration au Congrès du président Vizcarra, le 30 septembre 2019, l'ancienne congressiste Esther Saavedra, du parti fujimoriste Fuerza popular, a demandé au président la « fermeture des frontières » et « l'expulsion des Vénézuéliens, bons ou mauvais », car « un million d'immigrants légaux et illégaux, bandits et délinquants, viennent prendre les emplois des Péruviens ». Puis elle ajouta « qu'il est grand temps de faire sortir l'armée dans les rues pour appuyer la Police dans sa lutte contre l'insécurité citoyenne (America TV du 30 septembre [8]). Les Vénézuéliens ont dénoncé les actes de xénophobie à leur encontre et le chef de l'opposition Juan Guaidó, président par intérim reconnu par l'UE et une trentaine de pays, a demandé aux États la protection de ses compatriotes [voir les détails dans la chaîne vénézuélienne NTN 24 du 30 septembre 2019 [9].

En dehors des personnes diplômées qui ont eu accès à des postes de travail décents dans les secteurs privé et public, les migrants vénézuéliens travaillent surtout dans le secteur de la restauration et l'hôtellerie, et les moins chanceux vendent de la nourriture dans les rues. Ils sont présents non seulement dans les grandes villes, mais aussi dans des petites localités de l'intérieur du pays, et la xénophobie est présente partout. Ainsi par exemple, lors de mon récent séjour à Satipo (département de Junín, Amazonie centrale), en novembre 2019, un fait divers a provoqué une vague de haine autrefois impensable au Pérou. En tentant de séparer deux Vénézuéliens qui se battaient, un policier a reçu un coup de couteau mortel. À la suite de cet incident tragique, une chaîne câblée (Shirampari televisión), a diffusé durant trois jours des discours de haine contre les Vénézuéliens de la région, alimenté tant par le présentateur, que par des passants appelés à donner leur opinion sur les migrants vénézuéliens. Malheureusement, il n'existe au Pérou aucun contrôle sur les messages télévisés, même lorsqu'ils constituent des incitations à la haine, notamment dans les régions de l'intérieur du pays où l'État est peu présent.

C'est une triste banalité que les crimes commis par des « étrangers » exacerbent les idéologies de la haine. C'est le cas au Pérou et dans les autres pays de migration des Vénézuéliens, où les délits et/ou crimes de quelques-uns provoquent des réponses d'une violence inouïe (La República du 1er octobre 2019 [10] ). La majorité des Vénézuéliens cherchent évidement des emplois qui leur permettent de soutenir leurs familles et d'envoyer une aide financière à leurs proches qui manquent de tout dans leur pays. De leur côté, de nombreux Péruviens ont oublié que des milliers de compatriotes ont connu, eux aussi, des épisodes de migration intenses au cours des années 1980-2000, lorsque tous ceux qui le pouvaient partaient pour échapper à la violence de la guerre interne. Des milliers de Péruviens ont été discriminés, marginalisés et maltraités dans les pays voisins (dont le Chili et l'Argentine où on les traitait de « sales indiens »).

LES RESULTATS DES ELECTIONS LEGISLATIVES : LA PREDOMINANCE DU VOTE CONSERVATEUR ET L'EMERGENCE DU PREMIER PARTI POLITIQUE EVANGELISTE AU PEROU

Le processus qui a conduit aux élections de janvier 2020 a commencé avec la dissolution du Congrès le 30 septembre 2019. Dans son message à la Nation, le président Vizcarra avait déclaré :
« (…) Como sabemos, mi gobierno ha recurrido tres veces a la Cuestión de Confianza. (…) Hoy hemos presentado la tercera cuestión de confianza, y lo que ha acontecido en el Congreso subraya la desvergüenza en la que ha caído la mayoría parlamentaria, absolutamente divorciada de la voluntad de los peruanos y trabajando de manera denodada para proteger y blindar a los suyos. (…) Ante la denegación fáctica de la confianza, y en respeto irrestricto de la Constitución política del Perú, he decidido disolver constitucionalmente el Congreso y llamar a elecciones de congresistas de la República.” [Voir le message complet [11]].

Comme on pouvait s'y attendre, les congressistes fujimoristes ont multiplié les déclarations absurdes sur la non-légalité de la dissolution du Congrès, plusieurs dénonçant un « coup d'État », d'autres déclarant la « vacance de la présidence ». L'acte le plus choquant fut probablement la prestation de serment comme « présidente du Pérou » de l'ex-vice-présidente Mercedes Aráoz, une proche d'Alan García, encouragée et soutenue par le secteur le plus virulent des fujimoristes. Une déclaration évidement sans lendemain.

4 : Discours de dissolution du Congrès du président Vizcarra (La República)

Après la dissolution du Congrès, une Commission permanente de 27 membres fut mise en place pour préparer la transition. Le même jour, les Péruviens sont sortis dans les rues proches du Congrès et du Palais du gouvernement pour fêter l'évènement.

5 : Les Péruviens dans la rue pour fêter la dissolution du Congrès (AP, Martín Mejía)

Le 3 octobre, le président a annoncé le nouveau gouvernement : Vicente Zeballos a été nommé Premier ministre en remplacement de Salvador del Solar, Gustavo Meza-Cuadra est le nouveau chancelier-ministre des Affaires Étrangères, le général Walter Martos est ministre de Défense, María Antonieta Alva est ministre d'Économie, Ana Teresa Revilla est ministre de Justice et droits humains, Francesco Petrozzi est ministre de Culture, Jorge Montenegro est ministre d'Agriculture. D'autres ministres ont été ratifiés : le général Carlos Morán reste ministre de l'Intérieur, Zulema Tomás ministre de Santé, Gloria Montenegro ministre de la Femme, Sylvia Cáceres ministre du Travail, et Flor Pablo ministre de l'Éducation [voir les détails dans RPP du 3 octobre [12] ]. Rappelons ici qu'il s'agit du cinquième gouvernement depuis juillet 2016. Les postes de Premier ministre ont été successivement occupés par : Fernando Zavala (juillet 2016 à septembre 2017) ; Mercedes Aráoz (septembre 2017 à avril 2018) ; César Villanueva (avril 2018 à mars 2019) ; et Salvador del Solar (mars 2019 à septembre 2019).

6 : Nouveau gouvernement péruvien, octobre 2019 (El Comercio)

RESULTATS DES ELECTIONS EXTRAORDINAIRES DE JANVIER 2020

L'ONPE (Oficina nacional de procesos electorales) a publié les données suivantes [13]
— On dénombre 28 804 140 électeurs habilités. Sur un total de 17 741 356 votes (100%), il y eut 14 798 379 (80 %) de votes valides ; 2 988 420 de votes nuls (16%) et 414.724 de votes blancs (2,3%).

— Les élections de janvier ont été marquées par un absentéisme assez important. Sur un total de 14.798.379 voix valides, 25% des électeurs n'a pas voté, 19% a émis des voix nulles ou en blanc, et près de 40% a voté par de partis qui n'avaient aucune chance d'obtenir 5% des voix pour siéger au Congrès. Au total, les 130 congressistes ont été élus par 40% de l'électoral du pays. Le taux le plus bas de toute l'histoire républicaine.

— Selon la Loi des élections, seuls les partis qui obtiennent plus de 5% des voix peuvent avoir des sièges au Congrès. Neuf partis sur 17 ont dépassé ce pourcentage.

— Les 4 partis de droite (Acción popular [25 sièges]) et du centre (Alianza para el progreso [22 sièges], Somos Perú [11 sièges] et Partido morado [9 sièges]) sont majoritaires. Ils pourraient constituer un groupe majoritaire avec 67 sièges au Congrès.

— Quatre partis se classent dans les extrêmes de la droite populiste/autoritaire (Podemos [11 sièges], Unión por el Perú [13 sièges], Fuerza popular [15 sièges], et le parti ultra religieux Frente popular agrícola del Perú [FREPAP, 15 sièges]). Au total ils ont obtenu 54 sièges au Congrès, mais il serait étonnant qu'ils puissent s'allier pour former un groupe du congrès.

— Le courant de gauche modérée est représenté par Frente amplio, avec 9 sièges, qui est très isolé.

• Les résultats des élections de janvier 2020 révèlent trois faits majeurs : l'émergence d'une majorité conservatrice, l'entrée au Congrès de nouveaux groupes populistes autoritaires et d'un groupe fondamentaliste, et l'écart des courants de gauche qui se sont présentés divisés en trois partis, dont un seul a pu obtenir des sièges.

Le vote n'a pas été « contre l'establishment » comme l'affirme Jaime de Althaus ( El Comercio du 31 janvier 2020), mais il traduit plutôt une remise en question de la politique dominée par le fujimorisme depuis 1990. Qui votaient pour les fujimoristes ? Les classes populaires qui croyaient en leurs promesses et qui profitaient aussi des « largesses » des notables leur offrant de la nourriture et des vêtements en échange de leurs voix. Les classes riches également, car elles pensaient que l'ordre autoritaire était une garantie de reproduction de leur statut et de leurs privilèges. Les classes moyennes votaient en ordre dispersé, mais nombre d'entre-elles étaient devenues fujimoristes pour obtenir des faveurs et autres services, c'est-à-dire pour des raisons opportunistes.

• Ces résultats ont permis également d'apprécier qu'au Pérou les idéologies sont quasiment inexistantes, et que les partis politiques ne véhiculent plus des programmes sociaux cohérents et réfléchis, mais simplement des consignes, des slogans, ou des idées simplistes sur l'ordre politique, social, économique et culturel. Cela s'explique par deux données majeures :
(1) L'expérience de la démocratie au Pérou est très limitée. Entre 1968 et 1979 on avait une dictature militaire plutôt réformiste, très différente de celles de nos voisins chiliens et argentins. Ensuite, des élections ont eu lieu en 1980 et un président de droite traditionnelle, Fernando Belaunde, a gouverné le pays formellement, alors qu'en réalité, dès décembre 1982, il a accordé les pleins pouvoirs aux militaires pour lutter contre la subversion armée du Parti communiste du Pérou, Sentier Lumineux. Donc, entre décembre 1982 et novembre 2000, les militaires ont contrôlé la plus grande partie du pays. Durant le régime civilo-militaire de Fujimori (1990-2000) les institutions étatiques se sont affaiblies et ont été gangrenées par la corruption qu'il encourageait avec son homme de main, Vladimiro Montesinos. Les partis traditionnels ont disparu dans ce processus.

(2) Les nouvelles générations nées après 1990 n'ont jamais connu le sens des termes : démocratie, partis, représentativité et gouvernabilité ; voilà pourquoi elles sont si facilement manipulables, tout comme leurs aînés sans éducation formelle et sans éducation politique.

• Que reste-t-il du monde politique d'avant 1968 ? En fait, presque rien. Seulement les termes associés à l'ordre politique moderne. Il n'y a plus de partis, mais seulement des groupes et/ou des courants plus ou moins organisés, avec des durées de vie éphémères, toujours centrés sur la personnalité d'un chef, d'un caudillo à l'ancienne. Lorsque celui-ci vient à disparaître, tout s'effondre, et un nouveau caudillo apparaît.

La distinction droite / gauche a-t-elle encore un sens ? Un peu seulement, car ces termes servent plutôt à classer rapidement les courants qui sont « pour conserver le statu quo » et les courants qui affirment la nécessité « de changements, de réformes ». Mais au cours de la guerre interne, les groupes de droite se sont réduits comme peau de chagrin, ceux de gauche ont perdu toute crédibilité car on les considérait proches des subversifs du Sentier Lumineux et du Mouvement Révolutionnaire Túpac Amaru (MRTA), et, en fin de compte, seuls ont pu prospérer les groupes populistes corrompus, portés par un caudillo : le fujimorisme et le groupe apriste (fondé par Haya de la Torre et dont le chef était Alan García).

• Depuis 2000, les anciens partis de droite ont tenté de se reformer, et les groupes jadis illégaux de gauche ont continué à se diviser et à lutter entre factions ; parallèlement, de nouveaux courants centristes sont apparus. Dans ce cadre, les dernières élections montrent bien l'essor de groupes conservateurs éloignés du fujimorisme et de l'aprisme, et qui promettent un « retour à l'ordre et au progrès social ». Néanmoins, on a vu émerger aussi des courants politiques autoritaires et ultra-religieux. Un éclatement qui reflète bien l'état actuel de notre société.

7 : Distribution des sièges au Congrès 2020


(Source : La República)

• L'analyste Luis Pásara considère que les partis Podemos, dont le principal dirigeant est Daniel Urresti [ex-général de l'armée, ancien ministre de l'Intérieur (2014) accusé d'avoir ordonné l'assassinat d'un journaliste en 1988, en attente de son procès en avril 2020 [14]], et Unión por el Perú, dont l'un des principaux dirigeants est Antauro Humala [ex-militaire, frère d'Ollanta Humala, en prison pour avoir participé à une émeute dite Andahuaylazo], expriment la tendance autoritaire et radicale des Péruviens, qui oscille entre la gauche et la droite. Pour l'analyste, cette situation est comparable à celle des régimes de Sanchez Cerro, de Manuel Odría et d'Alberto Fujimori. Dans les deux cas, il s'agit pour régler les affaires politiques du Pérou d'employer « mano dura » [main dure, la manière forte] : autoritarisme, répression et tyrannie (La República du 9 février [15] ). Un exemple paradigmatique de cette tendance est l'incroyable score électoral obtenu par Daniel Urresti qui, malgré une accusation d'assassinat, a remporté 543 407 voix. Cependant, contrairement à Pásara, je doute fort que ces groupes puissent s'allier au Congrès, et encore moins avec l'étrange FREPAP.

• Les prochaines élections générales doivent se tenir le 11 avril 2021 afin d'élire le président, deux vice-présidents, 130 congressistes et 5 parlementaires andins pour la période 201-2026. Les nouveaux élus prendront leurs fonctions les 27 et 28 juillet 2021. Jusqu'à présent, une vingtaine d'hommes et de femmes ont exprimé leur volonté d'être candidats à la présidence, mais aucun ne paraît avoir la stature requise pour cette fonction. Selon un sondage récent, l'ex-Premier ministre Salvador del Solar rassemble 16% des intentions de vote, suivi par George Forsyth, maire de La Victoria avec 9%, et enfin Julio Guzmán, chef du Partido morado, 7% (Datum, Perú21 du 21 janvier).

L'étrange parti fondamentaliste FREPAP

L'émergence d'un parti ultra-religieux comme le FREPAP [Frente popular agrícola del Perú] est une surprise pour tout le monde. De fait, il représente un courant qui mélange le fondamentalisme religieux évangélique né au début du XXe siècle aux États-Unis, avec les revendications politiques d'une vie meilleure pour les classes pauvres. Ce mouvement est largement répandu au Brésil et ailleurs en Amérique centrale depuis une trentaine d'années.

En effet, depuis 1970, les églises évangéliques [historiquement protestantes et néo évangéliques], se sont répandues en Amérique latine. En 2017, on estimait que seulement 57% de Latino-Américains s'identifiaient comme catholiques, contre 22% appartenant à une église évangélique, et 10% sans religion. Issues de l'évangélisme nord-américain, les églises pentecôtistes qui annoncent la fin du monde (adventistes, méthodistes, Témoins de Jehova, Mormons), et néo-pentecôtistes se multiplient en Amérique latine depuis les années 1970-1980, autour des idéologies de la prospérité, des postures conservatrices de l'ordre moral et un fondamentalisme biblique assumé. Selon José Luis Pérez, ex-ministre de l'Intérieur du Pérou, sociologue et théologien (2018), ces églises investissent la politique en tant qu'instrument au service de leur mission religieuse. Il s'agit d'influencer directement la vie sociale et politique et obtenir des biens matériels en utilisant les médias, les journalistes et les dirigeants en général [16].

Gerardo Lissardy (BBC Mundo avril 2018 [17]), a raison de souligner que cette idéologie représente une nouvelle force politique en Amérique latine, comme on peut le constater au Brésil [Bolsonaro a gagné avec les votes des évangéliques], au Mexique [López Obrador s'appuie sur le parti évangélique Encuentro social pour gouverner], et au Chili [Piñera a courtisé les évangéliques dans sa campagne électorale]. Rappelons qu'au Pérou, Alberto Fujimori avait établi une alliance forte avec les églises évangéliques depuis les années 1990 jusqu'à sa chute. Ces mouvements évangéliques profitent de deux faits parallèles : la baisse d'adhésion au catholicisme et le désenchantement des peuples, surtout les pauvres, vis-à-vis de la politique ordinaire.

Le FREPAP se place dans ce cadre-là, et non dans le cadre d'un « retour au messianisme inca » comme certains analystes indigénistes l'ont avancé. Leurs membres sont autonomes, sans lien avec d'autres courants évangéliques, et leurs pasteurs ont un contrôle autoritaire et total de leurs églises. Ce qui les réunit est un agenda d'accès à la terre, une morale ultra-conservatrice s'opposant à « l'idéologie de genre », à l'IVG, et au mariage égalitaire.

8 : Dirigeants de la Misión Israelita del Nuevo Pacto Universal en 2015. Debout en tunique bleu clair, Juan Ataucusi. Temple de Carabayllo, Huarochirí (Lima). (Alvaro Arce, Somos-El Comercio, 2015 et 30 janvier 2020)

Le FREPAP est né d'une secte issue de l'adventisme, fondée par un paysan pauvre, Ezequiel Ataucusi Gamonal, né à Huarhua, petit village d'éleveurs de lamas d'Arequipa en 1918. En 1955, un pasteur adventiste oublia une bible chez lui, lorsqu'il habitait à Picoy, petit village de Junín, travaillant comme cordonnier. Cette bible provoque son éveil spirituel et il devient adventiste ; selon l'anthropologue Manuel Marzal (2002 : 43 [18]), Dieu lui apparut en songe pour lui annoncer la fin du monde et pour signer « un nouvel pacte universel avec l'humanité ». Ezequiel fut considéré comme le nouveau Christ et l'incarnation de l'Esprit Saint. De fait, les églises pentecôtistes nient la divinité de Jésus, et ne sont pas à proprement parler « chrétiennes », même si elles s'inspirent des évangiles.

Le nouveau christ Ezequiel s'est installé plus tard à Palomar Sanchirio, un village de Chanchamayo (Junín), et affirme avoir vu la Sainte Trinité (le Père, le Fils et le Saint Esprit), qui lui ont confié la mission de répandre les commandements. En 1968, il fonde l'Asociación evangélica misionera Nuevo Pacto Universal. Dans les années 1980, il crée des « centres de formation biblique » dans la plupart de provinces du pays (Juan Ossio, El Comercio du 27 janvier [19]). Ces derniers devinrent plus connus sous le nom d'Israélites, et leurs membres fondèrent des communautés en Colombie, en Équateur et en Bolivie (Marzal 2002).
br> L'association délivre un message de salut face à l'imminence de la fin du monde, qui devrait arriver lorsque le message d'Ezequiel atteindra les « quatre coins du monde ». Il s'agit d'une référence à l'ancien empire des Inca Tahuantinsuyo (l'empire des quatre côtés). Ossio et d'autres analystes ont avancé qu'il s'agissait d'un « messianisme andin » qui considère que les Quechua qui ont fondé l'empire inca sont les descendants d'une tribu perdue de l'antique Israël, ce qu'il qualifie de « syncrétisme millénariste nationaliste » (Guillermo Flores, El Comercio du 29 janvier).

Comme d'autres groupes néo-pentecôtistes du monde, Ezequiel propose une interprétation littéraire de l'Ancien testament et des dix commandements de Moïse, y compris les sacrifices rituels du samedi, les habits et les cheveux longs des anciens Israélites (Somos du 30 janvier [20]). Les imitations de ce qui est considéré comme le « mode de vie israélite » sont importantes [tuniques, voiles pour les femmes, barbes et cheveux longs pour les hommes], et, à mon sens, tout à fait comparables aux modes adoptées par les islamistes salafistes qui croient vivre et s'habiller « comme au temps du Prophète ».

9 : Sacrifice rituel d'un mouton dans le Temple de Carabayllo, Huarochirí (Lima). (Alvaro Arce, Somos-El Comercio, 2015 et 30 janvier 2020)

En dehors de ces aspects folkloriques, il importe de retenir ici que la secte adventiste d'Ezequiel Ataucusi s'est développée en Amazonie centrale, parmi les paysans pauvres originaires des Andes (Ayacucho, Huancavelica), avec l'idéologie dite des « frontières vivantes » pour trouver la « terre promise ». Pour les paysans quechua de cette secte, il s'agit de coloniser l'Amazonie, d'expulser les Natifs et de s'y installer définitivement. Voilà pourquoi elle attirait autant de paysans dont le seul espoir était d'acquérir, par n'importe quel moyen, des terres de culture pour installer leurs familles. Ces Andins se considèrent aussi « porteurs de civilisation » vis-à-vis des Natifs qu'ils voyaient comme des « chunchos », des primitifs sans Dieu. Les invasions de terres, la déforestation amazonienne et l'extraction illégale de bois ont été dénoncées par des organisations natives de Loreto et de Junín [voir Servindi du 27 janvier [21] , et du 29 janvier [22] ].

En 1989, émerge le bras politique de la secte adventiste, nommée Frente popular agrícola del Perú avec l'objectif central d'obtenir à la fois une reconnaissance sociale et des terres légales dans les régions où ils s'étaient installés (Junín, Loreto, Amazonas, Lima et ses provinces). Ce mouvement choisit le symbole du poisson qui représente le « christianisme et l'abondance ». La propagande d'Ezequiel annonce aussi qu'avec son parti, le Pérou ne connaîtra plus la faim ni la pauvreté et que les Péruviens seront riches [23] .

Selon ses statuts, le FREPAP se définit comme « théocratique, nationaliste, tahuantinsuyano, révolutionnaire, agraire-écologiste, de large base et intégrationniste » (Servindi du 27 janvier). Après les élections de janvier, les aspects nocifs de leurs installations en Amazonie, notamment dans les régions de Pevas, Caballo Cocha, capital de la province de Ramón Castilla (Loreto), ainsi que leurs relations hostiles avec les peuples originaires, ont été vivement dénoncés [voir Roger Rumrill, Servindi du 11 février [24] ).

Le FREPAP a participé aux élections en 1990 (1,2%), en 1995 (1,1%) ; puis en 2000 (2,2%), lorsque le parti obtint deux élus qui entrèrent dans les rangs des fujimoristes après avoir reçu de l'argent de Vladimiro Montesinos. En 2001 et 2006 le parti obtint 1,7% et 1% des voix et aucun siège au Congrès. Cependant, en 2002 et en 2006 il obtint deux mairies de district et une mairie provinciale respectivement. En 2018, il remporta quatre districts et une province [RPP du 27 janvier].

En juin 2000, à la mort d'Ezequiel Ataucusi, ses adhérents croyaient qu'il allait ressusciter. Depuis sa disparition, l'association « israélite » et le parti politique traversent une profonde crise de succession. Au début, l'un des fils d'Ezequiel, Jonás Ataucusi Molina, a assumé la direction des deux groupes en apportant une perspective politique plus large. Mais des luttes intestines se sont installées par la suite, et actuellement la direction semble très affaiblie. En effet, Jonás dirige dans l'ombre, son frère Juan Ataucusi réclame le pouvoir, et sa sœur Raquel Ataucusi accuse leur famille maternelle, Molina, de vouloir s'approprier le parti FREPAP (La República du 9 février [25] ). Le pourcentage élevé (8,38%) obtenu aux élections a dû surprendre même les dirigeants de ces deux familles, suscitant des luttes factionnelles au demeurant très banales au Pérou [la famille Fujimori reste divisée entre les adhérents à Keiko, majoritaires, ceux de son frère Kenji, et ceux du père Alberto].

Pour conclure, on peut avancer que le FREPAP est un courant politique ultra-religieux, issu des classes populaires rurales et citadines peu éduquées, qui justifie ses invasions des terres amazoniennes au détriment des Natifs et de l'écologie en invoquant des croyances obscurantistes. Il défend aussi une vision anachronique du monde moderne, s'opposant à l'égalité des sexes, aux droits des femmes, et bien évidemment à l'IVG et à l'homosexualité, classée comme un « mal profond » (même si cela n'est pas au centre de leur action politique, contrairement à ce qu'avance François-Xavier Gomez, Libération du 1er février [26]). On devra observer le comportement des congressistes durant cette courte période législative pour évaluer l'évolution ultérieure du premier parti pentecôtiste arrivé au Congrès péruvien. Rappelons ici qu'Alberto de Belaunde est le premier congressiste du centre [Partido morado], ouvertement homosexuel, ce qui montre que l'ouverture vers la modernisation des usages sociaux dans le domaine politique est déjà en marche au Pérou.

Les senderistes du VRAEM et les membres du MOVADEF contre l'État et la société

En janvier 2020, les subversifs du Militarizado partido comunista del Perú (MPCP), dirigé par Victor Quispe Palomino, « camarade José », ont fait campagne dans la Vallée des fleuves Apurímac, Ene et Mantaro (VRAEM) poussant les populations à protester contre l'État en s'emparant des rues et en attaquant les policiers. Il faut préciser que depuis la capture de Hugo Sixto Campos Córdova, alias « Julio Chapo », en juillet 2019, les subversifs s'étaient repliés dans les zones d'accès difficile de la région. Cela a favorisé le travail de la police et des forces armées, qui travaillent à l'éradication des cultures de coca dans les districts de Mazamari et Pangoa (Satipo). En décembre 2019, le gouvernement a annoncé la destruction de plus de 25 000 hectares de plantations de coca dans les deux principales zones de production, le VRAEM et la vallée du Haut-Huallaga. Au reste, compte tenu de l'augmentation de la consommation de cocaïne au Brésil, en Argentine et au Chili, les nouvelles zones de production concernent les frontières entre le Pérou, la Colombie et le Brésil, ainsi que le Madre de Dios et la forêt tropicale de Puno, proche de la Bolivie (RFI du 14 décembre [27] ).

10 : Soldats détruisant des milliers d'hectares de coca au VRAEM (RFI)

Les forces de l'ordre ont réussi à infiltrer le groupe subversif MPCP et à utiliser également des informateurs qui résident au VRAEM et sont régulièrement menacés de mort par les subversifs pour leur coopération avec les « ennemis de l'État ».

Une campagne de sabotage des élections a été menée par la distribution de tracts dans les zones de Vizcatán (fleuve Ene), dans la province de Satipo (Junín), dans les districts de Canayre, Llochegua et Sivia (Huanta, Ayacucho), et finalement dans la province de Tayacaja (Huancavelica) (Perú 21 du 23 janvier [28] ). Toutes ces zones étaient aux mains des senderistes depuis les années 1985-1990.

11 : Livre Violencia política en la selva central del Perú (Villasante 2019)

Il s'agit des mêmes senderistes qui ont installé des camps totalitaires dans les zones du fleuve Ene et de Pangoa, en gardant en captivité des milliers de Natifs Ashaninka et des centaines de paysans andins ; cette situation a été au centre de mes recherches dans la province de Satipo depuis 2008. En octobre 2019, avec le soutien de la COMISEDH (Comisión de derechos humanos), l'aide de l'Union européenne et de l'ONG allemande Pain pour le monde, j'ai publié un livre au Pérou pour exposer les résultats. L'ouvrage a été présenté en novembre à la Defensoría del Pueblo, où sont conservés les 17 000 témoignages recueillis par la Commission de la vérité et la réconciliation. Dans les camps en question au moins 7 000 Ashaninka sont morts entre 1985 et 2000, et leurs conditions de détention ont été comparables à celles des goulags soviétiques, les laogaï chinois et les camps de concentration nazis. Une réalité qui reste encore méconnue au Pérou et ailleurs dans le monde [voir Villasante 2019 [29] ].

Au total, 34 districts du VRAEM ont été déclarés en état d'urgence depuis décembre 2019 et cela devrait prendre fin le 22 février 2020, du moins en principe. Dans ces zones réparties entre les départements de Junín, Cusco, Ayacucho et Huancavelica, on dénombre 230 924 électeurs (Perú 21 du 23 janvier).

Enfin, au début février 2020, une colonne d'une dizaine de membres du MPCP a déserté et tente de s'échapper dans la zone du fleuve Ene (Valle Hermoso et Vizcatán del Ene). Selon la Direction contre le terrorisme (DIRCOTE) et le Comando especial del VRAEM, la colonne est poursuivie par des subversifs loyaux à « José » et soutenus par des narcotrafiquants, mais aussi par les forces de l'ordre qui sont au courant de leur désertion (El Comercio du 14 février [30]).

De leur côté, les partisans du MOVADEF, groupe subversif organisé par Abimael Guzman depuis sa prison, appelaient à voter blanc aux élections de janvier 2020. En février 2019, le gouvernement péruvien a protesté devant la Commission interaméricaine des droits humains (CIDH) qui avait accepté la présence du MOVADEF et de deux autres groupes subversifs (Asociación de familiares de desaparecidos y víctimas de genocidio [AFADEVIG] et Instituto de asesoria e investigación jurídica Ratio Iuris) dans une réunion de travail avec les représentants de la société civile, dans le cadre de la célébration de sa 171ème session à Sucre (Bolivie). Des membres de ces groupes ont dénoncé « la politique de persécution et de discrimination de l'État pour les exclure de la société » ; et ils ont accusé le président Vizcarra de diriger un État « policier et corrompu ». Le gouvernement a rappelé à la CIDH que ces groupes sont terroristes et a demandé qu'elle prenne des mesures pour empêcher que les espaces de dialogue avec des associations de la société civile ne soient utilisés par ces groupes qui ont des discours contraires à la démocratie, à la paix et à l'état de droit (Gestión du 15 mars [31] ).

12 : Producteurs participant au 5ème Festivraem, Lima, novembre 2019 (Andina)

Cependant les activités des groupuscules subversifs sont restées assez réduites en 2019, et les programmes nationaux pour le développement des communautés et villages de la région ont continué à apporter des résultats positifs. Ainsi par exemple, en novembre 2019 a eu lieu le « 5ème Festivraem » pour la promotion des produits de l'agriculture tropicale (cacao, café, fruits) alternatifs aux cultures de coca (Andina [32] ).

LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION : LES HONORABLES JUGES PERUVIENS

L'année 2019 fut l'« Année de la lutte contre la corruption et l'impunité » et, comme le dit bien le journaliste d'investigation Gustavo Gorriti, jamais dans l'histoire du pays on avait autant avancé dans cette lutte sans fin. Cela change profondément la réalité politique et sociale du Pérou. Je résume ici les principales propositions de Gorriti (IDL Reporteros [33] ).

• Les avancées les plus importantes sont celles liées aux affaires Lava Jato et Lava Juez ou « Cuellos blancos del Puerto » [association de malfaiteurs à la Cour de justice du Callao]. Elles ont empêché les manifestations de mécontentement social qui ont marqué toute l'Amérique latine (Chili, Colombie, Venezuela, Haïti, Nicaragua, Honduras) et plusieurs autres pays dans le monde. La dissolution du Congrès a renforcé le gouvernement de Vizcarra parce qu'il défend la lutte contre la corruption et ce Congrès était le bastion central pour la protection des corrompus.

• La lutte contre la corruption n'a pas été une persécution politique comme certains l'ont avancé, elle a concerné tout le monde : l'ancienne Maire de Lima, de gauche, Susana Villarán, César Villanueva, ex-premier ministre de Vizcarra. Puis les ex-présidents Alejandro Toledo (en prison aux États-Unis, en attente d'extradition), Pedro Pablo Kuczynski (assigné à résidence pour 36 mois depuis avril 2019), Keiko Fujimori (de retour en prison préventive depuis le 28 janvier 2020, elle avait été incarcérée 13 mois et libérée par un jugement irrégulier du Tribunal Constitutionnel le 1er décembre 2019 ; le procureur Rafael Vela a demandé au juge Víctor Zúñiga 15 mois de prison). Ollanta Humala a été libéré mais sera accusé rapidement, ainsi que son épouse Nadine Heredia. Alan García s'est suicidé alors qu'il allait être arrêté, mais ses collaborateurs proches ont confirmé qu'il avait reçu des sommes considérables d'argent d'Odebrecht.

13 : Keiko Fujimori de retour en prison préventive (décembre 2019)

• Les investigations ont révélé non seulement la corruption au sein de l'État, mais aussi dans les principales entreprises du pays et ses syndicats ; dans des cabinets d'avocats renommés et chez les banquiers qui transportaient des millions de dollars non déclarés dans leurs bagages. On en apprendra encore plus grâce aux témoignages des « collaborateurs efficaces » des entreprises associées à Lava Jato.

• À la différence du Brésil, le Pérou a obtenu des résultats spectaculaires à partir du travail de petits groupes de personnes. Les journalistes d'investigation d'IDL Reporteros ont obtenu des informations décisives dans l'affaire Lava Jato ; l'équipe spéciale des procureurs, dirigée par le juge Rafael Vela en collaboration avec le procureur José Domingo Pérez, tous les deux d'excellents investigateurs, ont obtenu des résultats sans précédents en coopération avec leurs collègues brésiliens. Cela n'aurait pas été possible sans la participation de juges intègres et, du côté opérationnel, sans celle de policiers et d'experts efficaces.

• Les procureurs et les juges font partie d'organisations hiérarchisées et traditionnellement corrompues au Pérou. Cette corruption est encore visible dans l'affaire Lava juez (« Cuellos blancos »). L'équipe spéciale qui s'occupe de cette affaire est très réduite au sein de la Fiscalía de la nación, et elle est entourée de groupes hostiles. Ils survivent grâce au soutien de la société civile. Il y a un an, le Procureur de la nation Pedro Chávarry décida de séparer l'affaire « Vela y Pérez » de l'affaire « Lava Jato », mais les protestations dans la rue l'ont obligé à faire marche arrière, puis à démissionner [voir la Chronique 2018]. Zoraida Avalos est ainsi devenue la nouvelle Procureure de la nation, elle soutient l'équipe spéciale mais s'oppose à trois des cinq procureurs (Chávarry, Gálvez et Rodríguez).

• Au sein du pouvoir judiciaire, il y a également un équilibre précaire ; l'affaire Lava juez a permis le départ de plusieurs juges corrompus, mais pas de tous. Des juges et des fonctionnaires honnêtes pourront jouer un rôle important dans le futur.

• Les actions du président Vizcarra ont été très importantes. En 2018, le nouveau président a décidé de soutenir pleinement la lutte contre la corruption et il a montré une force et une capacité d'action jamais vues dans le pays. En 2019, le président n'a pas évité l'affrontement avec un Congrès à majorité fujimoriste, et il a décidé de le dissoudre, gagnant une nouvelle fois un large soutien populaire. Vizcarra n'est pas un chef charismatique, il communique mal et ne dispose pas d'un état-major digne de ce nom ; cependant, il est pragmatique, travailleur et il sait profiter de la sous-estimation de ses adversaires à son encontre.

14 : Les procureurs Rafael Vela [cravate bleue] et José Domingo Pérez [avec lunettes] (IDL Reporteros)

• On doit tenir en compte des efforts sans précédents déployés par l'équipe spéciale qui travaille dans un contexte difficile. Néanmoins, elle ne peut pas gagner seule le combat contre la corruption, elle a besoin non seulement de la mobilisation de la société civile, mais aussi de celle des élus qui doivent accomplir plus que leurs promesses de campagne. En somme, Gorriti considère que malgré des avancées notables, il est essentiel de ne pas baisser la garde.

REFLEXIONS FINALES

• Si la lutte contre la corruption, soutenue par la société civile citoyenne et par le président Vizcarra représente l'avancée la plus positive de l'année 2019, le chemin reste long pour éradiquer la corruption qui constitue un problème endémique en Amérique latine.

• La société civile péruvienne consciente de ses droits a soutenu cette évolution avec des marches pacifiques tout au long de l'année 2019, se mobilisant pour soutenir les juges, la dissolution du Congrès, la lutte contre la violence faite aux femmes. Cette prise de conscience et cette mobilisation constituent des avancées très encourageantes pour le futur.

• Le pays traverse aujourd'hui une période de transition politique qui décidera des années à venir avec les nouvelles élections de 2021. Le paysage électoral de janvier 2020 laisse à penser que ce sont les courants de droite et du centre qui rassemblent la majorité des Péruviens. La meilleure nouvelle est que le courant fujimoriste est en déclin, et que leurs réseaux de clientèles mafieuses sont aussi en voie de disparition. Cela ne veut pas dire que les courants réactionnaires, autoritaires, obscurantistes et anachroniques aient disparu du paysage politique péruvien. Ils restent encore ancrés au sein des classes populaires, surtout en milieu rural et dans les périphéries des villes, comme l'a montré le haut pourcentage obtenu par le parti fondamentaliste FREPAP, dont la majorité est d'origine quechua.

• Ce qu'on peut espérer dans l'année c'est l'ouverture des débats politiques dignes de ce nom et de propositions politiques qui tiennent compte de la complexité sociale et ethnique de notre pays. L'anniversaire des 200 ans d'indépendance, en 2021, pourrait alors être célébré sous les meilleurs auspices.

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[1] Voir Andina : https://andina.pe/agencia/noticia-economia-peruana-logra-21-anos-crecimiento-continuo-al-cierre-del-2019-780027.aspx

[2] Voir Banco mundial : https://www.bancomundial.org/es/country/peru/overview

[3] Voir La República : https://larepublica.pe/economia/1447062-pobreza-cajamarca-mantiene-region-pobre/

[4] Gestión : https://gestion.pe/peru/midis-anemia-peru-redujo-5-puntos-porcentuales-segundo-semestre-2018-258269-noticia/

[5] Voir La República : https://larepublica.pe/economia/1447062-pobreza-cajamarca-mantiene-region-pobre/

[6] Voir La República : https://larepublica.pe/mundo/2019/12/18/crisis-en-venezuela-cifra-de-migrantes-venezolanos-podria-llegar-a-7-millones-en-un-ano-colombia-peru-david-smolansky-fotos/

[7] Ver La República : https://larepublica.pe/sociedad/2019/07/27/venezolanos-en-peru-mas-de-68-000-migrantes-y-peruanos-recibiran-ayuda-humanitaria/

[8] Voir America TV : https://www.americatv.com.pe/noticias/actualidad/esther-saavedra-fuerza-popular-venezolanos-malos-buenos-tienen-que-salir-peru-n390205

[9] Voir https://www.youtube.com/watch ?v=_PRKs440MEk

[10] Ver La República : https://larepublica.pe/sociedad/2019/10/01/crisis-en-venezuela-casos-de-xenofobia-hacia-venezolanos-aumentaron-tras-los-crimenes-en-smp-discriminacion/

[11] Voir le message du président : https://fr.scribd.com/document/428170659/Mensaje-a-La-Nacion-del-presidente-Vizcarra-30-9-19#from_embed Voir aussi : https://www.americatv.com.pe/noticias/actualidad/disolucion-congreso-texto-mensaje-nacion-que-envio-presidente-n390197 Voir aussi : https://larepublica.pe/politica/2019/09/30/martin-vizcarra-brindara-importante-mensaje-a-la-nacion-este-lunes-30-cuestion-de-confianza-congreso-en-vivo/

[12] Voir RPP : https://rpp.pe/politica/gobierno/martin-vizcarra-vicente-zeballos-gabinete-jura-en-palacio-de-gobierno-tras-disolucion-del-congreso-noticia-1222784 ?ref=rpp

[13] Voir les détails ici : https://elcomercio.pe/elecciones-2020/resultados-onpe-elecciones-2020-estos-son-los-reportes-oficiales-de-la-onpe-al-100-en-lima-peru-y-el-extranjero-congreso-de-la-republica-frepap-accion-popular-podemos-peru-partido-morado-noticia/ Voir aussi ONPE, El Comercio : https://elcomercio.pe/elecciones-2020/el-nuevo-congreso-fue-escogido-por-el-40-de-los-electores-habiles-noticia/ ?ref=ecr :

[14] Sur Daniel Urresti voir : https://rpp.pe/politica/congreso/perfil-daniel-urresti-el-exministro-y-procesado-por-asesinato-que-llego-al-congreso-con-medio-millon-de-votos-noticia-1244172

[15] Voir La República : https://larepublica.pe/politica/2020/02/09/congreso-luis-pasara-pazosantauro-y-urresti-son-caras-de-nuestra-fibra-politica-que-antes-apoyo-a-odria-o-fujimori/

[16] Voir l'intéressant article « Evangélicos y política en América latina », Aleteia, juillet 2019 : https://es.aleteia.org/2019/07/18/evangelicos-y-politica-en-america-latina/

[17] Voir : https://www.bbc.com/mundo/noticias-america-latina-43706779

[18] Voir Marzal, "Categorías y números en la religión del Perú hoy", in La religión en el Perú al filo del milenio, Lima.

[19] Voir El Comercio : https://elcomercio.pe/eldominical/ataucusi-quien-fue-el-profeta-y-fundador-del-frepap-elecciones-congreso-frepap-2021-noticia/

[20] Voir l'intéressant article d'Alvaro Arce : https://elcomercio.pe/somos/historias/frepap-asi-vivian-los-israelitas-del-nuevo-pacto-universal-hace-5-anos-elecciones-2020-noticia/ ?ref=ecr

[21] Voir Servindi : https://www.servindi.org/27/01/2020/debemos-preocuparnos-por-el-frepap

[22] Voir Servindi : https://www.servindi.org/actualidad-noticias/29/01/2020/el-frepap-y-el-origen-de-sus-colonias-en-la-selva-amazonica

[23] Voir : http://www.aeminpulima.org/revista-de-predica/el-pez-es-el-simbolo-del-frepap.pdf

[24] Voir Servindi : https://www.servindi.org/11/02/2020/el-frepap-la-tierra-prometida-y-las-fronteras-vivas-de-la-amazonia

[25] Voir La República : https://larepublica.pe/politica/2020/02/09/congreso-frepap-peleas-mitos-y-verdades-entre-hermanos-ataucusi/1/ ?ref=photogallery

[26] Voir Libération : https://www.liberation.fr/planete/2020/02/01/les-homophobes-prophetiques-entrent-au-parlement-du-perou_1775997

[27] Voir RFI : http://www.rfi.fr/fr/ameriques/20191214-perou-cocaine-drogue-criminalite-illegal-gouvernement

[28] Voir Perú 21 : https://peru21.pe/peru/senderistas-del-vraem-y-movadef-azuzan-a-poblacion-por-elecciones-noticia/ ?ref=p21r

[29] Voir la présentation de mon livre Violencia política en la selva central 1980-2000. Los campos totalitarios senderistas y las secuelas de la guerra interna entre los Ashaninka y los Nomatsiguenga (Lima, Tarea Gráfica, 790 pages), Revista Ideele : https://revistaideele.com/ideele/content/la-violencia-pol%C3%ADtica-en-la-selva-central-del-perú-1980-2000 Pour commander le livre : Librería El Virrey (Lima) : https://www.elvirrey.com/libro/la-violencia-politica-en-la-selva-central-del-peru-1980-2000_70122212

[30] Voir El Comercio : https://elcomercio.pe/peru/policias-y-militares-buscan-a-al-menos-10-terroristas-armados-que-desertaron-en-el-vraem-noticia/

[31] Voir Gestión : https://gestion.pe/peru/politica/peru-protesta-participacion-organizaciones-vinculadas-sendero-luminoso-cidh-nndc-261469-noticia/

[32] Voir Andina : https://andina.pe/agencia/noticia-mas-60-organizaciones-participan-del-festivraem-peru-2019-lince-772514.aspx

[33] Voir IDL Reporteros : https://idl-reporteros.pe/la-lucha-contra-la-corrupcion-el-2019/


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