Au moment où sa réforme des institutions passait au ras des pâquerettes à Versailles, notre regrettable président rendait visite aux Irlandais, qui l'attendaient de pied ferme.
Sur la réforme, que dire? Ce qu'elle a de plus désastreux est de passer pour un mini-succès de son auteur. Autrement... Ce n'est ni la révolution ni la contre-révolution. Il faudra faire notre deuil d'un référendum pour un nouvel élargissement de l'Europe (on pense bien sûr à la Turquie), ces messieurs de la finance entendant se passer dorénavant de l'opinion populaire pour élargir à leur convenance leurs terrains de pillage.
Il faudra aussi oublier le principe, pourtant promis, des « class actions », ces actions judiciaires collectives qui permettraient à des consommateurs de porter plainte en nombre contre des exploiteurs qui les violeraient avec trop peu d'égards. Non mais puis quoi?
Cette « réforme » restera donc comme le double symbole d'un petit plat dans un grand, et d'une grande victoire célébrée pour la conquête d'un carré de choux.
Sur la visite d'Isnogoud en Irlande? Pour atténuer l'effet désastreux de sa sortie de maître d'école hargneux voulant faire refaire leur copie aux Irlandais, il est descendu de son avion avec le sourire hypocrite et studieux de « celui qui venait essayer de comprendre pourquoi les Irlandais avaient voté non ».
Quel paradoxe! Quand on pense que ses propres concitoyens lui ont offert l'an dernier sur un plateau d'argent une étude complète et argumentée d'un non franc et massif à 62%.
Comme il était sur ses terres, il pouvait y multiplier les sondages et les études d'opinion, recevoir ses opposants et faire semblant de débattre avec eux, peut-être même les entendre un peu...
C'était trop beau, sans doute? Non, c'était devoir regarder son erreur en face. Alors, il a évité tout cela. Et il va maintenant en Irlande, dans un pays dont il ne parle pas la langue, dont il saisit l'opinion populaire encore plus mal que celle de son propre pays, essayer de comprendre pourquoi des gens qu'il ne connaît pas et dont il se contrefout en temps ordinaire, et dont ils se contrebalancerait s'ils avaient voté oui, essayer de comprendre pourquoi ces gens là sont finalement du même avis que les Français, les Hollandais, et que bien des peuples dont les parlements se sont prononcé sans les consulter.Il y a des limites à l'obséquiosité et à l'hermétisme. A l'hypocrisie aussi. Bas les masques. Cessons de feindre l'émerveillement. Le néo-libéralisme étend ses terrains de chasse au mépris des peuples et de leurs choix réitérés. Alors, on évite maintenant de les consulter, on contourne leurs décisions quand elles ne conviennent pas, et on appuie sur l'accélérateur pour écraser sous les chenilles des tanks ceux qui se dresseraient encore sur la route des titans de la finance.
On retrouve dans ce langage propre à les dénoncer le vocabulaire des trotzkistes de la première heure: « valet du capitalisme », « titan de la finance » et autres images vieillotes d'une révolution en noir et blanc. Mais n'assistons nous pas à la deuxième phase du même phénomène, la « lutte finale » à l'envers, à l'ultime assaut des forces de l'argent qui va nous faire passer de l'équilibre à l'excès, du juste milieu à l'extrême, d'une société humaine à l'autre sorte de fourmilière?
Car s'il existait bien une « fourmilière soviétique », on commence à découvrir le spectre d'une « fourmilière néo-libérale » qui n'a rien à lui envier, et dans laquelle ces gens-là sont en train de nous enfermer pendant que nous chantons la Marseillaise et que nous nous chamaillons sur l'hymne européen.