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Wagner zoophile — Pages de Gabriel Bernard

Publié le 20 août 2020 par Luc-Henri Roger @munichandco

Wagner zoophile — Pages de Gabriel Bernard

Pohl et son Maître en 1865


Quatrième partie — Anecdotes et curiosités wagnériennes CHAPITRE IV WAGNER ZOOPHILE
Un joli côté du caractère de Wagner. — Wagner aimait les animaux. — Le chien Robber. — Wagner, Minna et Robber en cab. — Sur l'impériale de la diligence. — Misère partagée. — Robber disparaît. — Une sombre journée. — Réapparition symbolique de Robber. —Robber est le héros du « Musicien étranger à Paris » —Encore et toujours l'Anglais — Le testament d'un zoophile. — Le dernier chien de Wagner se précipita dans la tombe du maître, à Bayreuth. — Un rapprochement émouvant. — Le chien Peps et le perroquet Papo. — À Tribschen. — Le danois de Wagner et le carlin de Mme Cosima. — Les soupers de Tribschen. — L'ordonnance du docteur pour chiens ! — Wagner contre la vivisection. — Une lettre ouverte. — La zoophile dans « Parsifal ».
L'un des plus jolis traits du caractère de Wagner, c'est sans contredit sa sympathie agissante pour les animaux. Certains districts de sa personnalité le vouaient a des rancœurs parfois justifiées. Mais la sincérité et la qualité de sa zoophilie sont, à notre sens, des coefficients moraux très importants lorsqu’il s'agit d'apprécier cet homme. Wagner aimait les animaux, non à la manière de ceux qui tirent vanité de la pureté de leur race, mais parce qu'il avait l'intuition de leur sensibilité. Sa tendresse pour ses chiens n'avait rien d'affecté. Il se sentait en confiance avec les bêtes et il était capable de sacrifices pour elles. Il le fit bien voir à propos de Robber, le grand danois qu'il amena, ainsi que nous l'avons dit, de Riga à Paris, en 1839. En voyage, le chien lui vaut mille désagréments. A Londres, il lui faut l'installer dans un cab avec Minna et lui-même. L'animal est si grand que sa tête dépasse le bord de la voiture, alors que sa queue et ses pattes de derrière font de même de l'autre côté !... C'est dans cet équipage que Wagner parcourt Londres pour la première fois. Quelques jours après, à Boulogne-sur-Mer, lorsque le compositeur prend la diligence à destination de Paris, l'installation de Robber sur l'impériale a les proportions d'un drame burlesque... Mais, jusque-là, Wagner ne s'impose que des tracas pour son chien. À Paris, quand la misère commença de se faire sentir, quand Wagner et sa femme ne purent mettre plus d'un franc à leur principal repas, ils surent toujours réserver la part du grand chien. Leurs amis leur faisaient discrètement comprendre qu'un animal de cette taille et de cet appétit — car il lui fallait une pitance abondante, à Robber ! — était une charge au-dessus de leurs moyens. Mais Wagner ne voulait rien entendre. Hélas ! un jour, le chien disparut. Sa beauté avait tenté un amateur qui sut l'attirer et le garda. Wagner fut affreusement peiné de la disparition de Robber. Pour comble de tristesse, il revit son chien quelques mois plus tard, mais ce fut pour le voir disparaître de nouveau et, cette fois, pour toujours... Cette journée-là, Wagner la classe au nombre des plus sombres qu'il ait vécues. Il était sorti, le matin, pour faire des démarches de première nécessité. Il s'agissait de trouver quelques francs afin de manger. À peine hors de chez lui, Wagner aperçoit Robber !... En proie à une émotion poignante, il l'appelle et il a la sensation très nette que le chien le reconnaît. Mais l'animal n'ose s'approcher de son ancien maître. Et Wagner se repent amèrement d'avoir eu la sottise de le corriger autrefois. Il se rend compte que le chien a peur d'être battu. Alors le musicien va à lui, mais l'animal hésite et finit par s'enfuir. Wagner se met à sa poursuite, mais bientôt, il lui faut s'arrêter. Le chien a pris une avance telle que toute chasse devient inutile... Et Wagner, qui voit dans cet incident un symbole douloureux de ses ambitions déçues, reprend ses démarches de solliciteur, lesquelles, ce jour-là, furent toutes vaines. L'aventure de Robber fit une impression telle sur l'esprit de Wagner qu'il en tira le sujet de la nouvelle publiée dans la Gazette Musicale de Schlesinger, sous le titre de : Un musicien étranger à Paris, — nouvelle qui est mentionnée dans le chapitre de ce livre consacré à Wagner, journaliste. Nous croyons devoir revenir ici à cette pièce littéraire de Wagner ; le compositeur-écrivain y trouve à propos de son chien des accents d'une singulière intensité. L'infortuné héros du conte, à la suite de trop longues attentes dans les antichambres, est tombé évanoui, mourant de faim. « Je te disais donc, raconte-t-il à un ami, que j'avais trébuché sur mon chien. J'ignore combien de temps je restai là, et combien de coups de pied je pus recevoir des allants et venants. Enfin, je fus éveillé par les tendres caresses, par la chaude langue du pauvre animal. Je me relevai et dans un moment lucide, je compris sur-le-champ le devoir qui m'était le plus impérieusement recommandé. Je devais donner à manger à mon chien. Un marchand d'habits intelligent m'offrit quelques sous pour mon mauvais gilet. Mon chien mangea, et je dévorai ce qu'il voulut bien me laisser… » Puis, l'animal ayant disparu, pris par l'Anglais fatidique, que le héros de Wagner tient pour son mauvais génie et qui a négligé de payer le prix de la bête à son malheureux propriétaire, celui-ci meurt de misère. Dans ses dernières volontés, Wagner fait mêler à son héros le souvenir de son chien et l'essentiel même de son cas : « En second lieu, lui fait-il dire, je veux que tu ne maltraites pas mon chien, si jamais tu le rencontres ; car je suppose que le cornet de l'Anglais l'a déjà terriblement puni de son manque de fidélité. — Troisièmement, je veux que le récit de mes souffrances à Paris soit publié, sauf à taire mon nom, pour servir d'avertissement à tous les fous qui me ressemblent... » Mais le plus poignant, c'est le dénouement de la nouvelle. Wagner décrit le pauvre enterrement du propriétaire du chien, que suivent seulement trois personnes, dont un peintre et un philologue, en lesquels il n'est pas difficile de reconnaître Kietz et Lehrs : « Comme nous arrivions sans pompes au cimetière Montmartre, nous remarquâmes un beau chien qui s'approcha de la civière et flaira le cercueil en renâclant avec une curiosité triste et inquiète. Je reconnus l'animal et regardai autour de nous : j'aperçus, fièrement assis à cheval, l'Anglais, qui parut ne rien comprendre à l'étrange préoccupation de son chien qui suivait le cercueil ; il descendit, donna son cheval à garder à son domestique, et nous rejoignit dans cimetière : « Qui enterrez-vous là, monsieur ? dit-il, en s'adressant à moi. — Le maître de votre chien, répondis-je. — Goddam ! s'écria-t-il, il est fort désagréable pour moi que ce gentleman soit mort sans avoir reçu son argent pour le prix de l'animal. Je le lui avais destiné et cherchais une occasion de le lui faire parvenir, quoique le chien hurle pendant mes exercices de musique... » « Puis il s'en fut et remonta à cheval ; le chien resta près de la fosse, pendant que l'Anglais s'éloignait. » Ce passage valait d'être cité entièrement, car il prend une signification douloureusement émouvante si l'on songe que, lorsque le corps de Wagner eut été transporté de Venise à Bayreuth pour être inhumé à Wahnfried, le dernier chien que le musicien possédât, en proie à un désespoir atroce, se précipita dans la fosse avant que le cercueil n'y fût descendu, puis demeura longtemps sur la tombe de son maître. La pauvre bête fut, du reste, enterrée près du tombeau de Wagner. On a vu qu'au moment de s'enfuir une première fois de Dresde pendant que la révolution ensanglantait la ville, Wagner n'avait eu garde d'oublier son chien Peps. Peps le suivit en exil, à Zurich, avec Papo. Papo était un perroquet. Racontant sa vie, aux environs de 1850, Wagner écrit : « Nos animaux domestiques, Peps et Papo, contribuèrent d'abord pour leur grande part à l'agrément de notre ménage. Chien et perroquet m'aimaient passionnément, parfois même de façon importune. Peps prétendait avoir sa place derrière moi, sur ma chaise de travail, et Papo m'appelait par mon nom : Richard, lorsque je m'absentais trop longtemps du salon où il se tenait. Quand je ne répondais pas, il arrivait en voletant dans mon cabinet et, posé sur ma table, se mettait à jouer d'une manière inquiétante avec les plumes et le papier. Il était si bien dressé que jamais il ne poussait son cri naturel d'oiseau : on ne l'entendait que parler ou chanter. Dès qu'il percevait mes pas dans l'escalier, il m'accueillait par la marche finale de la Symphonie en ut mineur ou par le commencement de la Huitième Symphonie en fa majeur, ou encore par un des joyeux motifs de l'ouverture de Rienzi. « Quant à Peps, il était d'une nervosité extraordinaire ; mes anis l'appelaient « Peps », et à certains moments, on ne pouvait lui adresser de paroles affectueuses qu'il ne se mît à gémir et à hurler. Ces animaux remplaçaient les enfants qui nous manquaient, et comme ma femme éprouvait pour eux une tendresse passionnée, ils formaient entre nous un lien et un objet d'intérêts communs. » Lorsque Papo mourut, Wagner fut profondément chagriné. Il avait entouré la pauvre bête malade des soins les plus attentifs. Sa mort l'assombrit considérablement et il la raconte avec une émotion qui n'a rien d'artificiel. La sympathie de Wagner pour les bêtes fut toujours si marquée qu'un de ses commentateurs, M. H. de WoIxogen, a pu écrire tout un livre sur : Richard Wagner et les animaux. À Tribschen, au temps de la gloire de Wagner, les chiens continuent à jouer un rôle important dans son existence. Lisez le récit de la première visite faite par Judith Gauthier [sic] à Wagner. Le maître est allé à la gare attendre ses visiteurs français, parmi lesquels se trouve Villiers de l'Isle-Adam. Puis, après les avoir conduits à l'hôtel, il est retourné chez lui pour « se préparer à les recevoir ». Enfin, ils arrivent à Tribschen. « Nous avançons lentement, émus, recueillis, écrit Mme Judith Gauthier, comme au seuil d'un temple ! On nous a vus, sans doute, car le maître paraît à la porte du salon et descend les marches ; un grand terre-neuve noir bondit près de lui. « D'un air à la fois cérémonieux et enjoué, Wagner nous fait entrer. Une jeune femme, grande, mince, d'un visage noble et distingué, aux yeux bleus, au frais sourire, sous une magnifique chevelure blonde, est debout au milieu du salon, entourée de quatre fillettes, dont une toute petite. « — Madame de Bülow, qui a bien voulu venir me voir avec ses enfants, dit le maître. « Après un échange de sympathiques poignées de mains, elle nous dit les noms des enfants, qui lèvent sur nous de grands yeux ébahis : Senta, Elisabeth, Isolde et Eva. — Nous reconnûmes dans le choix de ces marraines, toutes prises parmi les héroïnes de Wagner, un enthousiasme fanatique pareil au nôtre, qui chassa entre cette mère charmante et nous, toute gêne. « On nous présenta ensuite les chiens ; le grand terre-neuve, Rouzemouk — « Russ », dans l'intimité — et Cos, un carlin gris fer appartenant à Mme de Bülow. « — Je m'appelle Cosima, nous dit-elle, et, dans mon entourage, on avait pris la mauvaise habitude, qui m'horripilait, de m'appeler « Cos ». J'ai donné ce nom à mon chien, et, depuis, on n'ose plus m'appeler autrement que Cosima… » Et plus loin : « Tous les soirs, à huit heures, — nous avions eu beau nous en défendre, honteux vraiment d'une telle perturbation provoquée dans le régime de Tribschen, — tous les soirs, à huit heures, la porte du salon s'ouvrait et Jacob annonçait le souper. La salle à manger, assez petite, était étroite ; la table en forme de carré long, l'emplissait presque ; Wagner se plaçait à l'un des bouts. « Le souper se composait de viandes froides, de salaisons, de gâteaux et de fruits, et le Maître aimait à y joindre du champagne « de son ami Chandon », qu'il fallait boire sans scrupule, disait-il, car il en recevait en cadeau, de son admirateur français, plus qu'il n'en pouvait consommer. « ...On s'attardait à causer. La parole du Maître, violente, joyeuse, passionnée, toujours sincère, produisait sur nous une impression intense, pour ainsi dire : magnétique. Nous passions par tous les états qu'elle décrivait : enthousiasme, indignation, désespoir... » Mais voilà que les bêtes reparaissent : « ...Le carlin Cos, ayant la peau un peu irritée, était au régime : on lui avait interdit la viande. Si, cédant à ses instantes sollicitations, un des convives lui en glissait un petit morceau, Wagner s'arrêtait au milieu de n'importe quel discours et rappelait avec véhémence le décret du docteur pour chiens... Et c'était admirable, cette préoccupation attentive, dont rien ne le distrayait elle nous révélait chez cet être prodigieux, à la personnalité dévorante, une infinie bonté, un altruisme sans limites. » Plus tard, l'attention de Wagner fut attirée sur les atrocités de la vivisection, cette pratique pseudo-scientifique qui n'a jamais servi la science, mais qui a fait dans le peuple des bêtes inoffensives des myriades de martyrs. En 1879, Wagner adressa à M. Ernst von Weber, auteur des Chambres de torture de la science, une admirable lettre ouverte, dans laquelle ses sentiments zoophiles sont exprimés avec une élévation telle qu'on peut classer cet écrit parmi les meilleures productions extra-musicales du maître. Pour parler des animaux, Wagner se place sur le terrain de la sensibilité et de la morale supérieure ; et il répudie les arguments utilitaires si absolument qu'il croit devoir dire qu'il a refusé de faire partie de sociétés protectrices des animaux, uniquement parce que leur propagande en 'appelle à l'intérêt des gens pour protéger les bêtes. Cette lettre a été opportunément traduite en français par les soins de MM. J.-G. Prod'homme et le docteur Fritz Holl (1). En voici l'éloquente conclusion : « Notre conclusion, au point de vue de la dignité humaine, est que celle-ci ne se manifeste que là où l'homme peut se différencier de l'animal par la pitié qu'il aurait même pour l'animal, car nous pouvons apprendre de l'animal la pitié à l'égard de l'homme, dès que l'animal est traité raisonnablement et avec humanité. « Si cette conclusion faisait rire de nous, et si nos intellectuels nationaux devaient nous rejeter ; si la vivisection continuait à prospérer en public et en particulier, nous devrions cela de bon à ses défenseurs que nous quitterions volontiers et de bon cœur ce monde où un chien ne pourrait plus continuer à vivre », même si l'on ne nous joue pas un Requiem allemand. « Bayreuth, octobre 1879. « RICHARD WAGNER. » (1)   L'Antivivisection, numéro de mai 1913. L'un des traducteurs de cette lettre, M. J.-G. Prod'-homme, a publié dans la même revue un intéressant article intitulé : « Richard Wagner, antivivisectionniste », par lequel il s'attache à montrer Wagner zoophile non seulement dans sa vie, mais encore dans ses œuvres. Et, de fait, pour ne parler que de Parsifal, n'est-ce pas l'épisode du cygne percé par la flèche de l'adolescent, au premier acte, qui détermine chez le « chaste fou » l'initiale manifestation de la Pitié, élément primordial de tout le drame ?

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