Dans la vieille ville où je me promène seul cet après-midi, j’avise le Musée Militaire. Je ne suis pas fasciné par le militarisme et je n’ai que peu de goût pour les uniformes et les armes mais, puisque je n’ai que cela à faire dans cette ville, je me laisse pousser par la curiosité. Il faut toujours se laisser faire par l’impulsion du moment : je n’ai pas regretté.
Tous les pistolets dont on entend parler dans les romans policiers sont là, sous vitrine : Colt américain, Lüger allemand, Nagan russe, Hertsal belge, Beretta italien, MP50 français… Un fusil antichar allemand a été créé dès les premiers chars, vers 1918 ; il est long et lourd comme un fusil-mitrailleur, mais a été rapidement dépassé. Il y a alentour des casques, des canons de l’époque Louis XIV, des décorations, des médailles allégoriques. Celle de l’Union Nationale des Sociétés de Tir de France montre une walkyrie ailée qui porte sur son épaule un jeune guerrier nu dont l’épée est brisée. L’insigne d’une escadrille d’avions de guerre arbore une jeune fille casquée qui chevauche un obus dont le percuteur est mamelonné comme un sein. L’obus allemand de la guerre de 1870 lui répond par sa forme tout à fait phallique. Le boulet de pierre de 150 kg et d’un mètre et demi de circonférence, datant de 1398, ne pouvait rivaliser avec ces métaphores sexuelles. Un modèle du premier missile radioguidé du monde, le HS293 est exposé ici ; il portait une charge de 500 kg. Il y a même un masque à gaz irakien de la première guerre du Golfe, une « prise de guerre » dont un soldat a fait don.
Un autre don est cette vingtaine d’assiettes et de livres dédiés à Napoléon 1er, « don de Mme Niollet suivant le désir de sa fille, Mlle Suzette Georges, ex-agent du secrétariat général de la Défense Nationale (Premier Ministre), 1926-1981. » Naïf et touchant patriotisme de secrétaire. La geste de Napoléon a frappé les imaginations, surtout en province où se sont répandus ceux qui ont bénéficié de l’élévation sociale des armées. Souvenons-nous que le père du petit Jacquou-le-Croquant, avant de braconner les terres du seigneur à la Restauration, avait eu son brevet de colonel sous l’Empereur, à Waterloo… Figure un joli portrait du Roi de Rome, des jetons et des médailles commémorant sa naissance et sa communion – « don de M. Louis Koechlin ». Un cadre contient « une branche de saule ombrageant le tombeau de Napoléon 1er et un morceau découpé dans son cercueil, rapporté en 1840 de Sainte-Hélène par le capitaine de vaisseau Hernoux, chef d’état-major, sur la frégate Belle-Poule, et offerts au colonel d’empire Le Conte, arrière grand-père paternel du donateur. »
Et des dizaines de sabres, de fusils, de balles, d’uniformes, de boutons, de vareuses, d’épaulettes, de képis, s’entassent dans les salles poussiéreuses. Le 50ème régiment d’infanterie est à l’honneur pour être en garnison à Périgueux depuis 1876. Les uniformes sont souvent supportés par des mannequins de récupération, aux yeux de femmes et aux longs cils, que l’on a tenté de viriliser en leur peignant un trait de moustache. Mais ces travelos n’ont pas la carrure nécessaire pour mettre en valeur les épaulettes.
Les horreurs de la guerre sont présentes sous la forme de la mitrailleuse allemande Maxim’s, du canon de tranchée Le Crapouillot avec sa bombe. On a aussi deux matraques ôtées aux gardiens du camp nazi de Munthausen, la robe de déportée rayée bleu et blanc « de Madame Lutenbacher à Ravensbrück », un drapeau nazi en noir, blanc, rouge pris au Berghof, le nid d’aigle de Hitler. Plus récemment, des poignards fellagas, des pièges à clous posés dans les rizières, des « pièges à cons » en bambou qui explosent ne marchant dessus, des pistolets viets de fabrication locale au canon récupéré et crosse taillée dans une branche d’arbre…
Lassé de toute cette destruction, j’arpente les rues piétonnes à nouveau. Deux greluches ivres de sève me posent la question de savoir pourquoi le personnage au-dessus d’une porte a une coquille. Elles ne se doutent même pas qu’il s’agit du symbole des pèlerins de Saint-Jacques. Bien sûr, l’école s’en fout et on n’en a pas récement parlé à la télé…