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MR. BIEN et ses élèves embellissent Grigny

Publié le 23 août 2020 par Paristonkar @ParisTonkar

Du 15 au 29 juillet dernier, Mr. Bien a été missionné pour réaliser une fresque sur un mur construit à l’occasion sur la Plaine Centrale du quartier de La Grande Borne, à Grigny. L’objectif était de transmettre la passion du graff à plusieurs jeunes du quartier qui ont peint une face du mur en suivant les conseils de leur professeur. Cette fresque s’inscrit dans un projet plus global visant à faire de Grigny un « musée à ciel ouvert ». Mr. Bien a pris de son temps pour parler de ce projet, mais aussi de lui et de son évolution avec Paris Tonkar.

MR. BIEN et ses élèves embellissent Grigny

PARiS TONKAR

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: Raconte-moi comment tout ça s’est mis en place ?

MR. BIEN : Alors moi, je suis un grignois de cœur, je ne suis pas né là-bas mais j’ai habité à Grigny depuis ma plus tendre enfance. J’ai quitté la ville parce que je me suis marié mais j’ai gardé des contacts avec les institutions avec lesquelles je travaille. C’est un job de longue haleine : de fil en aiguille, on construit des projets qui en amènent d’autres. Avec les événements qu’on a vécus ces derniers temps, les politiques et les villes ont souhaité mettre des projets en place pour remettre la culture en avant au sein des quartiers populaires. On a sauté sur l’occasion en association avec La Constellation. Ce sont eux qui ont fait le lien avec le bailleur et la mairie [Grigny est une des grosses maries communistes (PCF) de l’Essonne. Historiquement, elle consacre une bonne part de son budget à la Culture – NDLR].

PARiS TONKAR

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: Comment ont-ils pensé à toi ?

MR. BIEN : En fait, je travaille avec eux régulièrement. Quand des projets rentrent dans mon cadre, ils font appel à moi. Je leur avais soumis certains projets que je voulais mettre en place, je leur ai dit que ce serait cool de faire un atelier au milieu de La Grande Borne. On s’est dit qu’on n’allait pas construire un atelier mais carrément un mur, et autour de celui-ci, on a fait un atelier.

PARiS TONKAR

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: Tu es de Grigny, j’imagine que ça fait chaud au cœur d’être sollicité ?

MR. BIEN : En fait, c’est un peu rendre à César ce qui appartient à César. J’ai fait mes premières armes ici, la mentalité que j’ai vient de là. Si je n’avais pas grandi à Grigny, je ne serais pas l’artiste que je suis, j’en serais un autre. Ça me fait plaisir me dire que demain, grâce à ça, il y aura peut-être un nouveau Mr. Bien. Tu te dis que si tu peux être moteur de tout ça, il ne faut pas hésiter. Les jeunes ont parfois besoin d’un tout petit coup de pouce, d’un petit coup de fouet.

PARiS TONKAR

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: Justement, en plus de ta fresque, tu réalises aussi des ateliers avec des jeunes de la ville. C’était important pour toi ?

MR. BIEN : On est en atelier avec un groupe de jeunes qui a construit ce mur. Ils ont écrit « New Generation Grigny Wood 2.0 », c’est une phrase qui revient souvent dans Grigny, ils ont voulu faire leur truc à eux et j’ai trouvé ça vraiment super.

PARiS TONKAR

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: Tu veux transmettre ta passion du graff aux jeunes ?

MR. BIEN : C’est exactement ça ! Moi, je suis un writer, un amoureux de la lettre, j’ai dénaturé et revisité l’alphabet à ma manière. Donner cette culture aux jeunes, c’est intéressant parce que j’aime expliquer que c’est le graff qui m’a amené au dessin, et pas l’inverse. J’ai découvert énormément de choses grâce au graff. Je me souviens, pour ma première expo, je m’étais trompé de semaine, je me suis trouvé dans une expo qui n’avait rien à voir avec ce que je faisais. C’était Ousmane Sow, il faisait des personnages avec de l’herbe et du bois, et bizarrement, ça m’attirait. L’art, ça parle, on peut être sensibles à n’importe quel art. Ce n’est pas parce que tu viens de tel milieu social que tu vas être attiré par ci ou ça. C’est ce genre de choses que je me suis dit qu’il fallait transmettre aux jeunes parce que, souvent, nous-mêmes, on se met des barrières. Si tu as envie de dessiner, il n’y a pas de règles. Je me suis dit : « putain, j’ai perdu du temps » en me mettant ces barrières plus jeune.

PARiS TONKAR

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: C’est presque une leçon de vie en fait que tu essayes de transmettre…

MR. BIEN : Tu te sers de tes erreurs pour en faire une force, j’essaye de transmettre de la meilleure façon que je peux le graffiti. Aujourd’hui, on est noyés dans le graff. On va souvent te parler de street art, mais moi je dis que street art et graffiti, ce sont des cousins. C’est comme dire que rap et rock c’est la même chose : les deux sont de la musique, certes, mais tu ne peux pas dire que c’est la même chose. C’est de l’art, ce sont deux choses bien distinctes, tu peux être graffeur et street artist mais on ne peut pas dire que c’est la même chose. Le graff, c’est un vrai mouvement : du vandalisme, du graffiti mural, du graff institutionnel… J’aime bien faire ce petit point là parce que tu sais, j’ai commencé par du vandale. Tirer un trait sur ça, c’est comme effacer la moitié de ma vie. Je dis aux jeunes que de mon temps, la manière de peindre c’était comme ça, les conditions font que. J’ai commencé en 1995, il n’y avait pas vraiment de magazines, c’était rare. Si tu voulais voir un graff, c’était à Paris. Aujourd’hui, les jeunes allument leurs smartphones, ils tapent « graffiti » et ils ont un milliard d’images. Tu vois des jeunes qui arrivent et qui font des trucs de malade alors qu’ils ont quatre graffitis au compteur, ils vont beaucoup plus loin que nous. C’est pour ça qu’aujourd’hui tu peux voir des façades d’immeubles avec des noms de graffeurs. Pour notre génération, c’était impossible.

MR. BIEN et ses élèves embellissent Grigny

PARiS TONKAR

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: Tu m’as l’air d’être quand même un peu opposé à la starification des graffeurs. Je me trompe ?

MR. BIEN : Je n’y suis pas opposé, et d’ailleurs c’est vraiment un problème. Par exemple, il y a 2 ans, j’ai travaillé sur Paris et je passe après un peintre. Il fait une fresque magnifique et il avait touché quelque chose comme 30 ou 35 000 euros. Toi, derrière, tu arrives avec ton devis à 3 000 € et on te dit que c’est cher… C’est quoi les critères pour te dire que le graff ne vaut rien ? Le milieu de graff est un des seuls milieux artistiques à qui on veut imposer des choses. Quand tu prends un artiste, il va faire ce qu’il a envie de faire, tu ne lui demandes pas une maquette. Mais pourquoi nous, les graffeurs, on est obligés de faire des maquettes ? On traine encore ce boulet de vandale, les gens n’arrivent pas à faire la différence… Mais même à 60 ans, si le mec est dans le vandale, il va attendre que tu dormes et il va peindre ton mur ! Chacun son espace, chacun son truc, j’ai remarqué que souvent, on n’est pas logés à la même enseigne. Mais c’est vrai que c’est moins le cas maintenant, on commence à avoir plus la côte qu’il y a 10 ans et à avoir de vraies propositions intéressantes. J’ai 35 ans, je ne vais pas aller à la MJC quand même !

PARiS TONKAR

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: Plus globalement, tu graffes depuis plusieurs années maintenant, tu as développé un univers qui t’est propre…

MR. BIEN : C’est ça, exactement. Je pense que chaque graffeur développe au fil des années un univers qui lui est propre et c’est ça que je voulais faire comprendre aux jeunes. Le graff est régi par des codes et non des règles. C’est une culture qui puise sa force dans tout ce qui nous entoure, que ce soit des comics, des BDs, des films, des séries, des publicités… L’énergie est vraiment partout et tu essayes de le retransmettre dans ton art.

PARiS TONKAR

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: Pour ce projet on t’a guidé ou on t’a laissé carte blanche ?

MR. BIEN : Il y a des recommandations de base : pas de trucs violents, pornos, sanglants, mais c’est juste un peu de bon sens. Là-dessus, on ne m’a pas drivé plus que ça, on m’a juste dit qu’il fallait faire participer des jeunes, c’est ça l’essentiel de la mission. Si ça n’avait été qu’une fresque, honnêtement, je ne sais pas si j’aurais dit oui. Là, on a un mur avec deux faces : d’un côté mon expression personnelle, de l’autre un côté atelier où les jeunes s’expriment. Il y a mes œuvres et mon enseignement au milieu de La Grande Borne, sous un soleil de fou. Les jeunes sont super cool, le quartier est idyllique. Tu m’aurais demander de le rêver, je n’en aurais pas été capable. Tout est aligné, les gens sont contents, les mamans prennent le mur en photo, c’est vraiment bien.

PARiS TONKAR

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: Au final, être mandaté pour graffer à La Grande Borne, là où tu as commencé dans le vandale, c’est une belle revanche, non ?

MR. BIEN : C’est un beau retour. Je ne le vois pas comme une revanche mais comme un accomplissement. Te dire que tu es reconnu et respecté. Je n’ai pas changé de ligne de conduite : ce que je faisais sans autorisation, je le fais avec une autorisation, ça te permet de l’enseigner et de transmettre. Ce serait schizophrène de ne pas assumer le passé, et puis, s’ils veulent vraiment savoir ce que je faisais au début, ils trouveront. Tu ne peux pas renier ça, il faut être en accord avec toi-même. Il ne faut pas glorifier le vandale, il faut en parler, dire que ça existe, mais ne pas mettre ça en avant. Moi, par exemple, le discours qui dit : « si tu ne voles pas tes bombes, t’es pas un vrai », je ne suis absolument pas d’accord avec. Quand j’ai commencé, je n’avais pas de thunes et je ne savais pas bien voler alors je trouvais des plans, du système D. J’allais voir des anciens, je troquais, je négociais avec eux. De fil en aiguille, j’ai commencé les ateliers et je disais : « au lieu de me payer, achetez-moi des bombes » et comme ça, tu te constitues un petit stock. C’est la débrouille.

PARiS TONKAR

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: D’autres artistes ont été sollicités, notamment pour réaliser des œuvres qui seront dans les halls d’immeubles de La Grande Borne. Voir les writers et les street artists mis de la sorte en valeur, qu’est-ce-que ça fait ?

MR. BIEN : C’est un ensemble, ils essayent de créer un musée à ciel ouvert, une espèce de parcours, un rendez-vous où tu te balades. Ils ont invité plein d’anciens, des mecs qui ont eu un passé pas forcément similaire au mien mais qui ont presque tous été vandales à un moment. On a tous choisi un chemin qui nous plaisait et aujourd’hui on se retrouve à faire ça pour Grigny. J’en suis fier.

PARiS TONKAR

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: Ce projet, plus globalement, vise-t-il à faire de Grigny une place forte du graff ?

MR. BIEN : Ouais, je pense, parce que les ateliers n’auront pas lieu tout le temps mais le mur, lui, ne bouge pas ! Je vais faire venir des artistes qui sont chauds en personnages ou en lettrage, faire découvrir le travail d’artistes qui sont méconnus ou d’autres déjà connus. C’est un projet à long terme. L’idée, c’est d’immortaliser tout ça. À un moment donné, quand j’aurai une bonne quantité de photos, peut-être qu’on sortira un livre, que j’aimerai bien offrir au moins à chaque école et chaque bibliothèque de la ville. On se dit qu’on a laissé une marque. Les paroles s’envolent et les écrits restent.

Interview : Dorian LACOUR
Photos :
Mr. Bien


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