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La plaie afghane, suite…

Publié le 22 juillet 2008 par Francois155

Je reviens quelques instants sur le billet d’hier en tentant d’élargir le propos suite aux multiples réactions déclenchées par l’interview de Gérard Chaliand. En effet, tant Olivier, que Joseph ou Vonmeisten ont donné leurs points de vue, de même que les commentateurs qui ont réagi sur ce blog, permettant de dégager certaines lignes de force sur lesquelles je crois bon de revenir.

Trois notions, plus particulièrement, ont attiré mon attention : l’incapacité supposée des Occidentaux à encaisser des pertes, une faiblesse que Chaliand identifie comme notre centre de gravité aux yeux des taliban ; la question, essentielle, de la volonté à la guerre, en particulier dans les guerres irrégulières ; enfin, le point crucial de l’objectif politique qu’on pourrait peut-être qualifier comme notre Etat Final Recherché (EFR) si, du moins, il était un peu mieux explicité (ce qui n’est pas toujours aisé, j’en conviens). Malheureusement, tempus fugit, je n’aurais pas le loisir d’examiner chacun de ces points en détail. Je me contenterais donc de revenir sur ce fameux centre de gravité qu’identifie Gérard Chaliand dans son entretien. Comme d’habitude, il s’agit plus de tenter de cerner les problèmes que d’y apporter des réponses définitives. Bref, de s’interroger en espérant qu’une petite lumière jaillisse au terme des débats…

- L’intolérance aux pertes, faiblesse majeure du camp occidental ?

C’est un truisme largement rebattu que de dire cela : voyez, nous dit-on, ce qui est arrivé aux Américains en Somalie (cf. Black Hawk Down) ! Une vingtaine de morts et ils plient bagages… Mouais. Et si c’était un petit peu plus compliqué ?

Tout d’abord, il y a le problème des pertes et celui de la perception qu’en retire le public au loin. Autrement dit, l’information brute passe à travers la caisse de résonnance médiatique et c’est en fonction de ce « bruit » que l’opinion publique manifeste, ou pas, sa lassitude éventuelle devant le conflit générateur de ces dommages humains. Un seul mort peut provoquer des réactions fort diverses selon la manière dont les journalistes rendent compte de ce décès et le « caporal stratégique » a clairement une influence sur le cours d’un conflit, autant par les excès qu’il peut commettre que par sa disparition au combat. Curieusement, soit dit en passant, les succès de ce dernier sur le terrain suscitent des répercussions moindres… L’une des données à prendre en compte est donc le traitement médiatique, et la possible manipulation (voulue ou pas) de l’information qui orientera l’opinion dans un sens ou dans l’autre. Cette question de la perception est cruciale puisqu’elle détermine, par ricochet, l’attitude des décideurs politiques. Du reste, il faut bien garder présent à l’esprit qu’une certaine frange de l’opinion sera toujours opposée aux opérations extérieurs, que celles-ci soient mortifères ou pas. Ces tragédies sont simplement pour elle l’occasion d’élever un peu plus la voix que d’habitude. Prudence, donc, face à ces manifestations d’indignation outragée…

Il y a ensuite l’idée, sinon fausse du moins exagérée, selon laquelle nos armées sont clairement engagées dans des guerres où elles ne supporteraient pas le moindre mort. « Zéro mort » ne veut pas dire « un seul tué et on a perdu » mais plutôt : « la chaîne santé doit être de tout premier ordre et il est inadmissible pour une armée occidentale de laisser ses soldats blessés mourir faute de soins ». S’ensuivent la fameuse « Golden Hour » et les progrès exceptionnels réalisés dans ces domaines sur le terrain. Qui peut vraiment prétendre qu’une telle évolution (historique, d’ailleurs, puisqu’elle se poursuit en progressant depuis la Première Guerre mondiale, voire même avant, jusqu’à nos jours) est détestable ? Une troupe se bat mieux si chacun sait qu’il peut aller au carton, et risquer d’être touché, avec les meilleures chances de survie possible. De même que les familles qui sont au loin. La protection passive (gilets et casques efficaces) et active (moyens de destruction de l’adversaire et, in fine, certitude d’être secouru en cas de blessures) est un facteur essentiel de la mobilité, pour reprendre le concept israélien. Autrement dit, un soldat se jettera vers l’avant, en sortant de l’abri de son blindage par exemple, avec moins d’appréhension s’il peut compter sur une bonne chaîne santé. A ce titre, les RETEX des Soviétiques, en Afghanistan, puis des Russes, particulièrement pendant la première guerre de Tchétchénie, sont éclairants : le caractère désastreux de leur dispositif sanitaire a entrainé des pertes inutiles qui ont miné le moral des combattants et sans doute de l’arrière, d’autant que les premiers concernés étaient des conscrits.

Et puis, en fait, sommes-nous (nous qui sommes au loin et qui « faisons » l’opinion publique) si rétifs aux pertes ? Comme le soulignaient certains intervenants mis en lien plus haut, les Américains et même les Anglais ont déploré, ces dernières années, des pertes conséquentes sans pour autant relâcher la pression. Le fait que nos amis britanniques aient un peu haussé le ton parce qu’ils avaient le sentiment que leurs troupes se tapaient le sale boulot en A-Stan pendant que certains pays de la coalition cantonnaient les leurs dans des secteurs jugés plus « pépères » ne doit pas nous tromper : partager les risques, dans un contexte d’intervention multinationale, ne signifie nullement vouloir les éviter à tout prix et, donc, faire preuve de faiblesse…

Pour en revenir à notre cher hexagone, et pour illustrer cette acceptation du fait qu’une intervention armée implique parfois des morts dans nos rangs, souvenons-nous du bombardement de Bouaké : sauf erreur de ma part, l’armée française est la seule, venant d’Occident, qui ait subi un bombardement aérien létal de la part d’un pays africain au cours de ces dernières décennies. L’opinion publique a-t-elle hurlé au désengagement immédiat (et nonobstant les éternels opposants qui le faisaient de toute façon avant cette attaque) ? Non, et peut-être pour une bonne raison : la riposte a été immédiate et assez foudroyante puisque la totalité de la flotte aérienne « ennemie » a été détruite dans les heures qui ont suivi. Le message envoyé et bien pris par l’opinion est le suivant : vous tuez nos hommes, nous vous tuons.

Autre contexte, la Yougoslavie. Qui n’a pas été scandalisé par ces images de nos soldats se faisant tirer comme à la foire par les snipers, à Sarajevo, et sans entraîner de riposte ? En revanche, lorsque le poste de Vrbanja a été repris par la force, pour un coût humain conséquent (2 morts sans compter les blessés), la réaction a été positive.

Bref, nous ne sommes peut-être pas aussi frileux face aux cruelles réalités du combat qu’on veut bien nous le laisser entendre. En revanche, et Joseph a raison de revenir sur ce point, nous avons sans doute une vision tronquée de la notion de « victoire ». Nous sommes les héritiers de cette bonne vieille tradition remontant aux Hoplites qui veut que la bataille soit bien sanglante, mais que son issue soit définitive et se répercute immédiatement, en bien ou en mal, sur la fin politique du conflit. Quand nous ne voyons pas de « grandes batailles », nous pensons qu’il n’y a pas de guerre, donc pas d’issue politique possible, donc pas de pertes acceptables.

C’est sans doute cette « culture de la victoire », chez les civils comme chez certains militaires, qu’il faut revoir. La « stabilisation musclée », pour reprendre la bonne expression d’Olivier, est longue, usante, couteuse… Si le public a conscience de ces notions, s’il sait quel est l’EFR, s’il sait que ses soldats sont le mieux protégés, équipés et soutenus possibles, il acceptera le prix et la réalité de la guerre.

Dans le cas contraire, ce seront les voix critiques qui seront les seules audibles et, plus important encore, les seules crédibles.

Bon, tout cela est sans doute trop lapidaire et mériterait des développements supplémentaires mais, présentement, le temps me manque… J’espère ne pas avoir été trop confus.


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