397, 398, 399, 400, le compte est bon !
Cilaos, île de la Réunion ! Route des 400 virages
A moto… Cette machine à compacter l’espace/temps en cassant les oreilles !
Tourner la poignée de la mienne équivaut à se téléporter dans le temps en silence. Avec celle-là, c’est pire. C’est de la physique quantique : à son bord tu deviens l’électron unique avec deux positions dans l’espace au prix de quelques vocalises dans le registre des aiguës.
Flash back :
Avoir un fils est déjà une bénédiction.
Un fils qui bosse, un fils qui réside au paradis, un fils qui a une moto, ici c’est bonus.
Plus prosaïquement, le deux roues s’impose dans cette perle de l’océan indien dans l’hémisphère sud où la philosophie et la spiritualité se discutent entre un temple Tamoul et une vieille église.
Les Avirons, Etang Salé, Saint Louis, la Rivière, Petit Serré, Entre Deux, la route est une partition qui se joue à moto, cet instrument à vent idéal pour prendre la fille de l’air.
En l’absence de Miss Bonnie (une vieille dentelle silencieuse et sereine des années 70 qui doit son nom au record de vitesse obtenu sur le lac Salé de Bonneville dans l’Utah. Désormais assagie, elle fait mon bonheur en me servant le thé sans arsenic en vallée de Chevreuse) c’est la Street triple de chez Triumph du fiston qui va assurer l’intérim des sommets jusqu’aux lagons de l’île.
Elle & moi c’est une longue histoire.
Nous avions fait connaissance à Bordeaux puis je suis parti sans avoir eu le temps de lui dire adieu car je subodorais que nous allions nous revoir. C’est très prétentieux un adieu ! C’est la spoliation de la part du hasard qui ne connait que des « au revoir »
Lorsque j’ai eu connaissance de sa solitude, abandonnée dans une périphérie de la ville captive d’un geôlier indifférent à sa sécurité, je suis allé la kidnapper pour une autre geôle, un parking souterrain et sécurisé en Beauce. Puis son légitime lui a mis des paillettes plein les mirettes : La Beauce ne pouvait rien contre l’hémisphère sud.
Malgré quelques revers de fortune qui aurait pu pousser son propriétaire à s'en séparer nous voila réunis imprévisiblement à l'autre bout de la terre au delà des mers, nos bisbilles et autres contrariétés vaincues.
Ce matin quand nous nous sommes revus elle était sur la béquille.
Moi aussi !
Un bout de voie rapide où je m'engage par la voie d’accélération si bien nommée pour nous glisser dans le flot de la circulation.
C’est pas moi, M’sieu le juge : j’étais tranquille en quatrième très loin de la zone rouge dont je me souvenais qu’il ne fallait pas trop la titiller dans cette partie intime. La cinq, puis la six et crac boum hu, je mate le compteur, parce que je trouve qu’il y a du vent ce matin et je vois un 2, un autre 2 et un 0 mais toujours pas de zone rouge. Le panneau rond cerclé de rouge lui par contre indique plus réglementairement un 1 puis un 1 et un 0. Corrompu par son plaisir, je l’ai laissé faire dans ce moment privé où je n’avais qu’à rester dur et dedans poliment en attendant que « ça » passe. Quelques seconde à la maintenir fermement le réservoir entre les cuisses pour ne pas se faire virer du plumard bordé de deux rails de sécurité pour calmer ses débordements puis c’est heureusement la sortie salvatrice vers Saint Louis.
Le sinueux qui s’ensuit, c’est la cigarette après l’amour. Apaisés, la douceur des virages où lentement elle s’incline des deux bords, c’est comme une tête conquise sur le paillasson pectoral à l’entrée de mon cœur qui tamponne.
Depuis la Corse et la Ducati je n’avais pas connu des virages aussi serré que des négociations sur la réforme des retraites. Ici, les virages changent trois fois de rayon, certains, tracés au compas forment un demi cercle parfait et d’autres s’enroulent comme un tire bouchon.
Il y a les classiques bien dodus où on inscrit la machine sur une trajectoire propre : freinage, extérieur, point de corde et accélération douce mais il faut compter avec le relief et bien visser la poignée. Elle miaule et me projette le prochain virage dans la tronche. Fourche comprimée, lâcher ce frein qui verrouille la direction, contrebraquage, la hanche hors la selle occupée par une demi fesse, l’épaule souple, le mollet taquin, genou visant le bitume, pied gauche en appui, le droit avec un orteil délicatement posé sur la pédale de freins, ça passe façon danseur de tango : tu croques en jambe ta partenaire, elle incline son buste sous l’autorité de ton bras. En confiance, ça passe à l’équilibre avec la bande son de Gotan Project. La sortie de l’épingle à cheveux est dix mètres au dessus et il faut regarder par-dessus l’épaule pour voir la sortie. Certains virages ont une moitié visible et bien sèche à l’adret et la seconde partie dans l’ombre avec l’humidité de l’ubac. La montagne se la joue ombre & lumière façon Georges de La Tour. Sans compter qu’il peut y avoir de la roche tombée de la haut.
Putain c’est bô ! Un moment de répit pour voir le paysage entre freinages, courbettes et ré-accél puis tout à coup, la route s’étrécit, au moment où j’aurais apprécié ses largesses, dans un virage où l’automobiliste d’en face croit très fort en dieu. Bien briefé par le fiston sur les pièges de cette route, j’avais senti mystérieusement qu’il fallait bien serrer la paroi. J’ai senti la bagnole de la mort-qui-tue passer prés de ma jambe gauche quand mon épaule droite tutoyait la roche. Avec le gabarit du bus que je viens de dépasser, sans l’aide des dieux de la route, ça passait pas.
D’ailleurs mon automobiliste croyant qui monte ne devrait pas tarder à croiser son créateur au volant du bus qui descend.
Bref, Eros & Thanatos comme d’hab, c’était bien !