L’actualité a parfois ce ton ironique qui démontre de lui-même le grotesque des postures de certains de nos députés : avec ce qui devient doucement « l’affaire Obono » d’un côté et, de l’autre, le procès des assassins terroristes de la rédaction de Charlie Hebdo, on a véritablement une magnifique illustration de l’état réel de la liberté d’expression dans le pays…
Comme bien souvent, la collision d’actualité commence avec un micro-événement qui n’aurait jamais dû devenir un fait de société : ici, il s’agit de la parution, dans Valeurs Actuelles, d’un article de fiction dépeignant en esclave du XVIIIème Siècle Danièle Obono, une députée du parti d’extrême-gauche La France Insoumise.
Comme l’explique la rédaction, il s’agit d’un texte produit dans le cadre d’une série de fictions replaçant une personnalité contemporaine dans une période du passé « afin de faire resurgir par contraste certaines inepties de notre époque ». Celui de lundi 31 août présentait donc en esclave au XVIIIème Siècle cette Danièle Obono, qui participe selon Valeurs Actuelles, « par ses prises de position répétées, à une entreprise idéologique de falsification de l’Histoire » imputant la traite esclavagiste aux seuls Européens, alors qu’elle fut aussi le fait clairement documenté d’Africains entre eux.
Mais voilà : rappeler ainsi que la traite esclavagiste a été largement entreprise sur le continent africain par des Africains eux-mêmes, qu’elle n’est donc pas du seul fait des Européens, et, pire encore, dépeindre la député dans une fiction comme une victime de cette traite, c’en fut vraiment trop : une enquête préliminaire a été ouverte avec forte diligence par le Parquet de Paris pour « injures à caractère raciste », ce qui montre qu’au contraire de certaines investigations, la justice sait aller très vite quand il s’agit de vraies atteintes à la personne : après tout, lorsqu’un député est attaqué (surtout de la France Insoumichon !), c’est toute la France qu’on attaque.
Pardon. C’est toute « la France qu’on nique », pour reprendre le vocable utilisé en 2012 par une pétition de soutien au rappeur Saïdou, pétition justement signée des deux mains par Danièle Obono et ses coreligionnaires néo-collectivistes au sein d’une tribune qui, c’est cocasse, soutenait alors la liberté d’expression et la « tradition pamphlétaire » française.
Tradition pamphlétaire certes, mais qui doit, semble-t-il, s’arrêter brutalement lorsqu’il s’agit de la petite personne de Danièle Obono dont l’émotivité est directement proportionnelle au bénéfice médiatique qu’elle pourra retirer de cette polémique…
Polémique qui déclenchera sans mal l’indignation de tout ce que la République peut compter de girouettes de la liberté d’expression, qui s’empressent toujours de monter au créneau pour que leurs protégés conservent le droit de cracher sur leurs têtes de Turc cibles préférées (depuis le clergé, et spécifiquement le catholique, jusqu’aux conservateurs en passant par les libéraux et même les plus modérés qui ont l’impudence d’utiliser cette liberté pour rappeler l’État à ses devoirs régaliens, les impudents) mais qui, tout fripés de courroux, s’empressent d’enfiler les procès afin de faire taire ceux, dans leurs victimes habituelles, qui auraient l’insolence inouïe de leur faire goûter de leur propre médecine.
On entend beaucoup froufrouter les plumes de ces petits coqs lorsqu’il s’agit de rappeler l’indispensable liberté d’expression, mais c’est surtout leurs caquètements de contentement qu’on perçoit lorsque des Dieudonné, Soral, ou Zemmour se font traîner au tribunal pour avoir émis des opinions qui choquaient leurs convictions. C’est surtout leur silence qui détone lorsque se met en place la Cancel Culture qu’ils affectionnent en réalité… Dans leurs bouches, et dans celle d’Obono, cette indispensable liberté est en réalité celle d’émettre des expressions strictement validées par eux, et la météo, mais pas plus.
Tout indique en réalité que la vraie liberté d’expression, celle qui aboutit inévitablement à devoir supporter des opinions adverses et notamment l’expression de philosophies qui leurs sont diamétralement opposées, cette liberté d’expression-là a un coût, celui de la tolérance pour la bêtise, pour l’outrage, pour la caricature, et ce d’où qu’elle vienne.
Ce coût, sur le papier, en principe et dans l’idée et aussi élevé soit-il, est non négociable.
Mais ce coût est trop élevé pour ces gens-là : laisser d’autres exposer des idées si violemment contraires aux leurs, prendre ainsi le risque de se retrouver caricaturé ou seulement dépeint dans une situation désagréable (comme Obono dans les illustrations de Valeurs Actuelles), d’être ridiculisé alors qu’on s’estime si important, ou, pire que tout, prendre le risque de voir ses slogans réduits en pièce, ses postures dénoncées pour ce quelles sont, ses manœuvres rhétoriques partir en quenouilles et ses raisonnements se faire démonter parce qu’ils ne tiennent pas debout ou sont, tout simplement, moqués par la réalité (impitoyable, elle), tout ceci est un risque et un coût insupportables qu’il convient de réduire et de contenir au maximum.
Il faut le dire – tant que la liberté d’expression le permet encore et avant que la censure ne s’abatte définitivement dans le pays : Obono et sa clique, en usant du procès, ne sont que l’étape précédent la violence physique. C’est, conceptuellement au moins, la version policée, civilisée de la fusillade de Charlie Hebdo : on use du tribunal et des moyens que la France fournit (cette France qu’on niquait quelques années plus tôt) pour faire tribune, puis on utilise cette tribune pour médiatiser sa haine et son opposition pour enterrer ses adversaires dans les vagues de protestations plus ou moins artificielles de tous les bien-pensants.
Oh certes, l’idée n’est pas de tuer physiquement les vilains racistes / fascistes / ultra-conservateur / turbolibéraux / etc, mais en tout cas l’idée est clairement de les faire taire, de les faire disparaître du paysage audio-visuel, du monde des idées et des conversations autorisées en ville. C’est plus soft, mais c’est finalement le même procédé qui est en place : « je ne suis pas d’accord avec ce que vous écrivez, et je me battrai jusqu’à votre mort s’il le faut pour que vous n’ayez pas le droit de le faire ! »
Car ne vous y trompez pas : découper ainsi la liberté d’expression, la réduire à ces seules opinions qu’on autorise, c’est toujours le préalable pour endormir les foules, faire monter le populisme – ce qu’on constate maintenant largement en France – et enfin offrir un boulevard au collectivisme et aux pires exactions qu’il entraîne immanquablement.
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