Il suffirait d'un regard

Publié le 09 septembre 2020 par Paulo Lobo

Mais quelle délectation vous avez à porter ce masque. 

Tout d'un coup, la question du droit à l'image est réglée. Je ne vous identifie plus. Vous êtes devenu un corps sans visage. Un corps sans âme. Une silhouette dissoute et flottante.

Quand je vous parle, je ne vois que la barrière.

Vos yeux sont des caméras. Vos paroles sont dictées par les algorithmes. Vos gestes sont cliniques et défensifs.

Les individus se fondent dans la masse.      

A quoi jouent les gouvernants ?

On met tout le monde sous sédation vigile. Par petites doses, on anesthésie, on conditionne. 

La ville fonctionne comme un territoire en cage.

Un climat bizarre. Il ne m'est plus possible de regarder les trottoirs avec légèreté. 

Je déambule dans les rues, le coeur en déroute. 

Tout déraille dans ma tête. Je vois des objets flous, des bâtiments qui se distordent, des pavés qui s'embrument.

Me voilà projeté dans la brousse, entouré d'animaux sauvages, terrés au fond de leur nuit.

Je peux monter les iso autant que je veux, la caméra ne peut discerner aucun détail dans cette envahissante obscurité.

Tout seul je marche. Seul mais entouré d'êtres masqués. Je ne peux plus les appréhender que par écran interposé.

Qui es-tu, toi ? Non, je ne te regarde pas avec mes yeux physiques, je fixe l'image que tu as choisie pour ton profil.

C'est bien toi ? 

Quelle est ton histoire, qu'est-ce que tu aimes, quels sont tes espoirs? 

Tu es lisse et admirable comme la majorité des gens nouveaux. Irréprochable sur le plan politico-moral.

Quant à moi, je suis l'être imparfait que tu ne voudras pas voir.