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Mgr Jacques Gaillot, l’évêque aimé par ceux qui n’ont pas la foi

Publié le 10 septembre 2020 par Sylvainrakotoarison

" Chers amis, je sais que vous ne manquez pas de souffle et que personne n'est à l'étroit dans votre cœur. Merci de faire jaillir des flammes d'amour là où vous êtes. Pour la joie de beaucoup. " (Mgr Jacques Gaillot, novembre 2013).
Mgr Jacques Gaillot, l’évêque aimé par ceux qui n’ont pas la foi
L'ancien évêque d'Évreux Mgr Jacques Gaillot fête ce vendredi 11 septembre 2020 son 85 e anniversaire. Très médiatique dans les années 1980 et 1990, il a fait partie de beaucoup de combats (il continue encore aujourd'hui), mais son côté assez "transgressif" n'a pas plu aux "autorités" ecclésiastiques, si bien qu'il a été "démis" de son diocèse par le pape Jean-Paul II pour un imaginaire évêché de Partenia. Parfois, l'Église catholique fait aussi dans le virtuel. En effet, depuis le 13 janvier 1995, Mgr Jacques Gaillot est évêque in partibus de Partenia, un ancien diocèse situé en Algérie et qui n'est qu'honorifique (ce qui explique qu'il est toujours en fonction, puisqu'un évêque, normalement, est mis à la retraite à 75 ans).
Je n'ai pas souvent été d'accord avec lui sur beaucoup de ses prises de position, et son omniprésence dans les médias me gênait un peu car un homme d'église (il est ici inutile de rajouter, hélas, une femme d'église) doit être a priori "humble" et s'effacer dans le service qu'il assure. Mais je porte envers lui une grande estime parce qu'il tente d'aller jusqu'au bout de ses idées et que c'est l'essentiel, l'indépendance d'esprit et les combats qu'il considère comme la traduction, libre, du message de l'Évangile. Surtout que ses combats sont toujours du côté des plus faibles, des plus démunis. Il faut être fort pour tenter à la fois de détonner (je pourrais même écrire "détoner") et de rester au sein de l'Église dont la hiérarchie est parfois trop prégnante. C'est pour cela que son éviction de l'évêché d'Évreux m'a paru regrettable et anachronique : dans l'Église catholique aussi, il faut insuffler un peu de "démocratie participative" !
Le 13 janvier 1995, Mgr Gaillot a expliqué son éviction en prenant les médias à témoin : " J'ai été convoqué à Rome par le cardinal Gantin, préfet de la Congrégation des évêques, le 12 janvier à 9 heures 30. Les menaces qui pesaient sur moi depuis un certain temps ont été exécutées. Le couperet est tombé. On m'a notifié que j'étais relevé de mes fonctions d'évêque et que le siège d'Évreux serait déclaré vacant le jour suivant à 12 heures. On m'a invité à donner ma démission, chose que j'ai cru ne pas devoir faire. ".
Dans ses grands moments, probablement happé par les sirènes des médias (et son côté très charismatique ravissait ces dits médias qui bénéficiaient d'une forte audience avec lui), Mgr Gaillot séduisait paradoxalement beaucoup ceux qui n'avaient pas la foi, ceux qui se qualifiaient volontiers de "bouffe-curés" ou d'anticléricaux, si ce n'est d'athées ou d'agnostiques. Sa "disgrâce" a scandalisé ceux qui, normalement, devaient se moquer de l'organisation interne d'une Église dont ils n'étaient pas membres et que pour certains, ils ridiculisaient régulièrement.
Ses transgressions avec le discours officiel de l'Église catholique ont montré que cet homme est un réel homme de foi, qui considère Dieu avant toute autre considération, notamment cléricale, et en cela, il a raison dans la hiérarchie des valeurs. Il est en quelque sorte un aiguillon dans une structure un peu trop timorée ou conservatrice.
Cela explique d'ailleurs pourquoi il s'entend bien avec le pape actuel, le pape François, qui, lui aussi, est hors normes, n'hésite pas à bousculer les conservatismes internes et taper dans la fourmilière. La rencontre de Mgr Gaillot avec le pape François le 1 er septembre 2015 au Vatican a été une sorte de réhabilitation même s'il n'avait jamais été "dégradé" par l'Église catholique. Il aurait pu être suspendu (ce fut le cas par exemple pour des évêques ou cardinaux rendus coupables de faits de pédophilie), alors qu'il n'a été, lui, qu'éloigné de la communauté catholique en lui laissant un ministère de la parole et de la réflexion. Cela montre aussi à quel point les déclarations de Mgr Gaillot étaient dérangeantes, mais pas condamnables.
Dans une lettre adressée en novembre 2013 à des fidèles, Mgr Gaillot d'ailleurs a évoqué sa proximité avec le pape François qui venait d'être élu : " Saint François [d'Assise], avec sa merveilleuse humanité, a souvent soufflé sur les braises pour que jaillissent en toute occasion les flammes de l'amour. (...) Si notre pape bien-aimé a choisi de porter le nom de François, qu'aucun pape n'a osé prendre dans l'histoire, c'est pour réformer l'Église et lui redonner le goût et la joie de l'Évangile. (...) Voilà un pape qui ouvre des portes, donne envie de vivre avec humanité et nous engage à rendre la terre plus habitable à tous. Il ne fait pas la morale, ne juge pas, ne rappelle pas la discipline. Il indique une autre façon d'être en allant vers les déshérités, invite à prier, à écouter la Parole de Dieu pour que notre cœur devienne brûlant. ".
Mgr Jacques Gaillot, l’évêque aimé par ceux qui n’ont pas la foi
Né le 11 septembre 1935 à Saint-Dizier, Jacques Gaillot fut ordonné prêtre le 18 mars 1961 à Langres, fut affecté à Saint-Dizier en 1973 puis nommé vicaire général du diocèse de Langres en 1977, et consacré évêque le 20 juin 1982. Il fut pendant plus de douze ans le très médiatique évêque d'Évreux, du 5 mai 1982 au 13 janvier 1995, et pas un seul sujet de société ne le laissait indifférent, ce qui faisait qu'il contribuait très fréquemment au débat public, mais en solitaire, face à deux cardinaux très écoutés de l'époque (et dont la richesse de pensée manque aujourd'hui), Mgr Albert Decourtray et Mgr Jean-Marie Lustiger, archevêques respectivement de Lyon et de Paris.
Se plaçant sous le parrainage du père missionnaire Jacques-Désiré Laval (1803-1864), béatifié le 29 avril 1979 par Jean-Paul II (sa première béatification !) et fêté le 9 septembre, prêtre d'Évreux parti à l'île Maurice, Jacques Gaillot est devenu très rapidement un "évêque rouge" : opposé à la dissuasion nucléaire (octobre 1983), soutenant la première Intifada et rencontrant Yasser Arafat à Tunis (1985), préférant défendre en Afrique du Sud un militant anti-apartheid (d'Évreux) à accompagner sa communauté diocésaine à un pèlerinage à Lourdes (juillet 1987), favorable à l'ordination des hommes mariés et prêt à bénir l'union entre deux personnes homosexuelles (novembre 1988), etc.
De nombreux propos dans la presse ont régulièrement provoqué des polémiques avec sa "hiérarchie" au point d'être contraint à signer une déclaration avec le président de la Conférence des évêques de France (Mgr Decourtray) pour veiller à ne pas mobiliser " l'opinion en des conflits contraires au bien commun de la société et à la force du message chrétien " (15 février 1989).
Il venait en effet de publier une tribune controversée dans "Gai Pied" du 2 février 1989 sur l'homosexualité et la foi catholique. Dans le magazine "Globe" d'avril 1989, Mgr Gaillot a (encore) parlé de l'homosexualité en minimisant l'importance la morale : " Je suis d'abord stupéfait par le poids de la morale sur les comportements. Si on m'avait posé la question, j'aurais placé la morale en dernier lieu et la peur du sida avant tout le reste. La vie des individus me préoccupe plus que leur morale. Je relève avec plaisir que la peur du "qu'en-dira-t-on" ne fait plus recette. ". J'approuve d'ailleurs tout à fait l'idée de placer la vie des personnes avant leur morale : il y a la théorie et les principes, mais l'essentiel est dans la vie et les êtres.
Cela ne l'a pas empêché de continuer à s'opposer aux essais nucléaires en accompagnant les militants de Greenpeace sur le Rainbow-Warrior II au large de Mururoa (juillet 1995). À participer le 12 décembre 1989 à la cérémonie de transfert des cendres de l'abbé Grégoire au Panthéon (il fut le seul représentant du clergé, car l'abbé Grégoire avait accepté la constitution civile du clergé, qui, à mon sens, mais je sais que j'exagère ici et cela mériterait de plus amples développements, fut ressentie à peu près de la même manière que le cadre imposé actuellement par la Chine communiste aux prêtres catholiques). À s'opposer à la guerre du Golfe (1991). À défendre toujours les plus fragiles, les personnes immigrées sans-papiers, les personnes qui n'ont pas de logement, à combattre contre les lois sécuritaires ou anti-immigration ("Coup de gueule contre l'exclusion", sorti en 1994 chez Ramsay). À défendre les résistants iraniens qui ont été arrêtés en France (juin 2003). À se dire favorable au mariage pour tous (2013) mais aussi à l'euthanasie. À demander la remise en liberté des terroristes italiens Marina Petrella et Cesare Battisti (août 2007), etc.
Sur ce dernier point, de nombreux "intellectuels de gauche" français ont soutenu Cesare Battisti, condamné à la réclusion à perpétuité en Italie pour plusieurs assassinats. Après la tolérance de François Mitterrand, et l'imminence d'une extradition dans les années 2000, le terroriste, qui s'était exilé en France, a fui au Brésil (soutenu par Lula) puis en Bolivie d'où il fut finalement extradé en Italie le 14 janvier 2019 après avoir échappé pendant plus de trente ans à sa condamnation à la réclusion à perpétuité, définitivement confirmée le 19 novembre 2019. Cesare Battisti a finalement reconnu les faits le 25 mars 2019 : " Tout ce qui est écrit dans le jugement est la vérité. J'ai commis quatre homicides, j'ai tué Santoro et Sabbadin et suis responsable aussi de la mort de Torregiani et Campagna. J'ai blessé trois personnes, j'ai commis des vols pour me financer. Je me rends compte du mal que j'ai fait, et je demande pardon aux familles des victimes. (...) Je n'ai jamais été victime d'une injustice. Je me suis moqué de tous ceux qui m'ont aidé, je n'ai même pas eu besoin de mentir à certains d'entre eux. ". D'où l'intérêt d'être vigilant pour tous ceux qui ont la signature compulsive des pétitions.
Autant d'actions de militantisme, de prises de position, de soutiens, de combats, ont fait de cet homme évidemment un homme faillible : il a eu des actions pertinentes, honorables, et pour d'autres, il a pu se tromper, probablement par des mouvements trop spontanés dans l'action, dans l'émotion.
Mgr Jacques Gaillot, l’évêque aimé par ceux qui n’ont pas la foi
Cependant, je relève deux grosses fautes qu'il a commises, une que je considère énormément grave (l'autre qui ne rejaillit que sur sa réputation intellectuelle, et tout le monde s'en moque, probablement lui aussi), et une très heureuse prise de position.
Les fautes.
"Petite" faute : on l'a accusé de plagiat pour son livre "La dernière tentation du diable", sorti en 1998, et dont une cinquantaine de pages auraient été directement "pompées" sur l'ouvrage du politologue Paul Ariès, "Le Retour du diable" sorti en 1996 (éd. Golias). Ce n'est pas la première fois qu'il y a ce genre de plagiat avec une personnalité publique (aussi chez des scientifiques médiatiques, dont un dont je tairai le nom car je l'apprécie bien par ailleurs), car cela révèle surtout que ces personnes-là écrivent peu elles-mêmes leurs livres ! En effet, Mgr Gaillot a rejeté la responsabilité sur son "documentaliste" qui l'aurait "piégé", ce qui est très crédible...
"Grave" faute : en juin 1988, Mgr Gaillot, en tant qu'évêque d'Évreux, a accueilli un prêtre québécois qui avait été condamné en 1985 à vingt mois de prison pour des multiples faits de pédophilie. Il le savait et pourtant, il l'a nommé curé d'une paroisse de son diocèse ainsi que vicaire pour l'ouest de l'Eure, ce qui l'a mis en contact avec des enfants. Le prêtre en question a continué ses crimes et fut condamné en 2005 par les assises de l'Eure à douze ans de prison ferme pour avoir violé plusieurs fois un mineur entre 1989 et 1992. Dans "Le Parisien" du 5 avril 2010, Mgr Gaillot a reconnu sa grave faute (il parle d'erreur, ce qui, à mon avis, est un mot trop faible) : " On rendait service. On vous demandait d'accueillir un prêtre indésirable et vous l'acceptiez. C'est ce que j'ai fait, il y a plus de vingt ans. C'était une erreur. (...) Dans l'Église, les choses ont changé. Maintenant, on s'en remet à la justice. On sort peu à peu de cette culture du secret. ".
Mgr Gaillot a donné quelques explications de son "erreur" : " Je savais surtout qu'il avait fait un an de thérapie et qu'il était chaudement recommandé par des laïcs ainsi que par son supérieur canadien (...). J'avais envie de lui donner sa chance. Je n'imaginais pas qu'il puisse être un pervers (...). Les gens le trouvaient très sympa. Je me suis dit qu'on pouvait lui faire confiance. J'ai proposé au conseil épiscopal de le nommer curé. C'est ma deuxième erreur. ". De là à revenir sur ses transgressions habituelles, mais qui n'expliquent en rien les actes de pédophilie : " Célibat des prêtres, homosexualité, préservatif, avortement, place de la femme : sur toutes ces questions, l'Église est en retard. ". Prosélytisme ici malvenu : des hommes mariés sont aussi auteurs de faits de pédophilie, etc.
Cette grave faute de Mgr Gaillot prouve que nul n'est infaillible, mais pour cette situation particulière là, elle a pu remettre en cause sa réputation et la considération que pouvaient avoir de lui de nombreux militants "de gauche", souvent non croyants, qui avaient foi en lui. Cela montre aussi le contexte général des années 1980 et 1990 dans lequel se trouvait l'Église où le secret ("pas de scandale") était préféré à la (simple) justice (tant pis pour les victimes). Cela remet en perspective la "passivité" de Mgr Philippe Barbarin qui a été relaxé le 30 janvier 2020 par la cour d'appel de Lyon.
Je termine toutefois positivement mon évocation de Mgr Jacques Gaillot par une heureuse prise de position, qui était courageuse provenant d'un évêque. En effet, au "Club de la presse" d'Europe 1 le 12 mars 1989 (c'était le premier tour des élections municipales et il était interdit, pour l'émission politique, d'inviter une personnalité politique, elle a donc invité un évêque), Mgr Gaillot a donné sa position "libérale" tant sur "Les Versets sataniques", le livre de Salman Rushdie sorti en 1988 (l'ayatollah Khomeini a publié une fatwa de mort contre Salman Rushdie le 14 février 1989) que sur "La dernière tentation du Christ", le film de Martin Scorsese sorti en France le 28 septembre 1988 (aux États-Unis le 12 août 1988) qui a déclenché non seulement des protestations mais a même provoqué des attentats dans des cinémas français (tuant une personne le 8 octobre 1988 à Paris).
Vu le contexte, il fallait en effet du courage pour affirmer haut et fort la liberté d'expression, même en autorisant de se moquer d'une religion dont il est un grand serviteur, en prônant le droit au blasphème et surtout, la primauté des personnes sur les religions : " Il y a un droit au blasphème. Le sacré, c'est l'Homme ! ".
Pour compléter, voici Jacques Gaillot qui raconte sa vie le 19 septembre 2019 à Bernard Baissat à radio libertaire (émission "Si Vis Pacem").
Je conclus avec un message que Mgr Jacques Gaillot a écrit en septembre 2015 à la suite du baptême d'un enfant, et qui rappelle le mystère de la naissance, aussi intense que celui de la mort : " Avec chaque enfant, vient au monde quelque chose de nouveau qui n'a pas existé avant lui et qui n'existera pas après lui. Chaque individu apporte la nouveauté. Il est unique. Cet enfant devra trouver un chemin qui sera le sien et qui ne pourra être que le sien. Dans chaque être, il y a un trésor caché qui ne se trouve en aucun autre. (...) Nous ne sommes pas faits pour copier quelqu'un, pour reproduire un modèle. Il ne s'agit pas de s'aligner sur les autres et de faire comme eux. Celui qui ne fait que suivre les autres ne vit pas vraiment. Mais nous nous inspirons de la vie des personnes qui nous marquent. ".
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (05 septembre 2020)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Site officiel de Mgr Gaillot.
Mgr Jacques Gaillot.
Mgr Philippe Barbarin.
Mgr Albert Decourtray.
Mgr Jean-Marie Lustiger.
De la théocratie à la démocratie laïque.
Charles Péguy.
Étienne Borne.
Marc Sangnier.
Saint Jean-Paul II, le pape de la foi et de la raison.
Jeanne d'Arc.
L'encyclique "Caritas in veritate" du 29 juin 2009.
Benoît XVI.
Pâques 2020, le coronavirus et Dieu...
Pierre Teilhard de Chardin.
L'encyclique "Fides et ratio" du 14 septembre 1998.
Le pape François.
L'abbé Bernard Remy.
Mgr Roger Etchegaray.
Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin.
Miss Corny.
Sœur Emmanuelle : respecter et aimer.
Sœurs de Saint-Charles.
Père Gilbert.
Frère Roger.
Jean-Marie Vianney.
Abbé Pierre.
La "peur" de saint Jean-Paul II.
Notre-Dame de Paris : la flèche ne sera pas remplacée par une pyramide !
Dis seulement une parole et je serai guéri.
Maurice Bellet, cruauté et tendresse.
Réflexions postpascales.
Mgr Jacques Gaillot, l’évêque aimé par ceux qui n’ont pas la foi
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200911-jacques-gaillot.html
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/09/01/38509729.html


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