Magazine Bons plans

La rencontre de l'Empereur François-Joseph et du roi Édouard VII en 1904 à Marienbad

Publié le 12 septembre 2020 par Luc-Henri Roger @munichandco

 La rencontre de l'Empereur François-Joseph et du roi Édouard VII en 1904 à Marienbad

   

   Le roi Édouard VII avait pour habitude de prendre les eaux pendant quelques semaines en Bohème, dans la ville thermale de Marienbad, l'actuelle Marianske Lazne tchèque, qui faisait alors partie de l'empire austro-hongrois. Il appréciait tellement la petite ville qu'il y séjourna à neuf reprises, parfois, — comme il était de coutume chez les têtes couronnées cherchant à échapper au protocole, — sous un pseudonyme : archiduc de Lancaster ou lord Renfrew. 

   Édouard VII disait de Marienbad : " J'ai parcouru toute l'Inde et Ceylan, et séjourné dans toutes les stations thermales d'Europe, mais nulle part la poésie de la magnifique nature ne m'a touché le cœur comme à Marienbad. "  

   Le 16 août 1904, l'empereur François-Joseph, qui devait ensuite superviser des manœuvres en Bohème du sud, arriva à Marienbad pour y rencontrer le roi du Royaume-Uni. Cette rencontre est restée célèbre dans les annales de Marienbad, qui a élevé des statues aux deux monarques à l'une des entrées du parc thermal.

   La presse internationale rendit compte de cet événement, comme en témoigne le petit article du journal français L'Aurore du 17 août 1904 :


AUTRICHE-HONGRIE


L'entrevue de Marienbad


   Marienbad, 16 août. La rencontre de l'empereur François- Joseph et du roi d'Angleterre a été des plus cordiales. Les deux souverains se sont embrassés à deux reprises. Ils se sont rendus à l'hôtel, où le roi Edouard doit séjourner, au milieu des acclamations d'une foule considérable.

   Après avoir échangé des visites, les deux souverains ont fait une promenade dans la ville qui est pavoisée. Ils ont été l'objet dé nouvelles acclamations.


Marienbad, 16 août. 


  Au dîner offert par le roi Edouard en l'honneur de l'empereur François-Joseph, les deux monarques ont échangé des toasts extrêmement chaleureux relevant l'amitié traditionnelle les unissant.

   Le roi Edouard a remercié de la visite, dont il est profondément touché.

 François-Joseph a exprimé ses remerciements particuliers de pouvoir saluer le roi à Marienbad, car il n'aurait pas pu faire un long voyage en Angleterre.

   Ce soir Marienbad est illuminé.

Les dessous politiques de la visite royale

  Le Petit Parisien revient sur l'entrevue amicale des deux monarques à Marienbad, à laquelle il apporte un éclairage plus politique :


UNE VISITE ROYALE 


   Edouard VII et François-Joseph se sont rencontrés mardi à Marienbad, en Bohême, station thermale où d'habitude l'on va pour se soigner, mais non pour discuter les affaires de la politique. On serait fort tenté de croire qu'il s'agissait d'une simple démarche de courtoisie. L'empereur d'Autriche n'était point accompagné du comte Goluchowski, son chancelier, et le roi d'Angleterre n'avait pas mandé le marquis de Lansdowne, ministre des Affaires étrangères du Royaume-Uni. Il est donc bien difficile d'admettre que les deux monarques aient pu prendre des résolutions graves sans l'avis de conseillers aussi autorisés le souverain britannique trouverait même dans la constitution à laquelle il est soumis et dans les traditions de son pays un obstacle à pareille initiative.

   Mais, en sens inverse, et quelle que soit sa politesse, François-Joseph, dont on sait le grand âge [il vient de fêter son 75ème anniversaire], n'a pas fait le voyage si long d'Ischl à Marienbad sans avoir une bonne raison de se déplacer. On peut causer sans ouvrir un débat essentiel. Et dans les circonstances actuelles, l'Autriche et l'Angleterre doivent avoir beaucoup à se dire.

   Si l'on veut exclure les affaires d'Extrême-Orient, la situation en Orient peut fournir un excellent sujet de conversation. Il est fort vraisemblable que les deux chefs d'Etat se seront entretenus des résistances qu'apporte le sultan à l'exécution de ses promesses.

Mais surtout la rencontre de François-Joseph et d'Edouard VII doit être interprétée comme une nouvelle preuve des relations courtoises qui règnent entre les puissances. Il fut un temps où l'Angleterre et l'Autriche liaient leurs actions respectives contre la Russie, mais cette époque est passée, et Vienne et Pétersbourg vivent en fort bons termes. L'Autriche peut même servir éventuellement à aplanir certains différends entre la Russie et le Royaume-Uni. C'est pourquoi la visite de Marienbad, sans prendre place parmi les événements importants, méritait d'être soulignée.


   La Presse du 20 août 1904 développe une information politique déjà soulignée par divers quotidiens français : les deux monarques se seraient entretenus d'une médiation possible dans la guerre russo-japonaise qui a éclaté en février de la même année :


PACIFISTES

   L'empereur François-Joseph, qui célébrait hier l'annivcrsaire de sa soixante-quinzième année, s'est rencontré à Marienbad avec le roi Edouard VII, venu, comme tous les ans, faire une cure d'eau en Autriche. Leur entrevue n'avait, dit-on, aucune indication politique. Les deux ministres, le comte Goluchowski et Lord Lansdowne, n'y assistaient pas ; il ne s'agissait que d'une simple visite de courtoisie, de souverain à souverain, nous apprennent les feuilles officieuses. Rien de plus.

  Cela est-il vraisemblable, devant les graves événements qui se déroulent en Extrême-Orient? Est-il possible que ces deux grands détenteurs de pouvoir, tous les deux si près de la Russie, l'un par ses propres frontières, l'autre par les frontières de sa plus grande colonie, l'Inde, dans un entretien, et se rencontrant à la veille de si considérables événements l'assaut suprême donné par les Japonais à Port-Arthur et la grande bataille des deux cent mille hommes de Kouropatkine contre les trois armées Kuroki, Oku et Nodu, est-il possible que l'empereur d'Autriche et le roi d'Angleterre n'aient parlé entre eux que de la pluie et du beau temps ? Et voici, d'ailleurs, que, dans les cercles bien informés, la vérité se fait jour sur cette rencontre, sans objet bien déterminé peut-être, mais qui fut, pour les deux souverains, une occasion d'échanger des vues sur une délicate éventualité. Le roi d'Angleterre se proposerait d'offrir sa médiation aux belligérants, dans le cas d'une victoire des Japonais mettant les Russes dans un état d'infériorité sensible en Mandchourie. Telle, par exemple, la prise de Port Arthur.

   Cette médiation ne peut être offerte qu'avec le concours et l'appui de plusieurs puissances, et il appartenait à l'empereur François-Joseph, l'un des doyens, par son âge, des souverains d'Europe, d'être pressenti l'un des premiers.

   Peut-être les cercles viennois, d'où provient l'information, ont-ils grossi l'importance d'une proposition dont [l'impact] réel ne fut qu'effleuré mais la nouvelle qu'ils nous apportent a toutes les chances d'être vraie, an moins dans sa signification essentielle.

 Il est hors de doute qu'un grand triomphe japonais mettrait en balance toutes les puissances européennes dans l'Asie.

  Contrôle de l'Asie sur terre, contrôle du Pacifique sur mer, voilà le programme des Nippons. Et l'Angleterre ne se soucie pas de voir trop grandir ces alliés dangereux. Le mouvement de l'opinion anglaise très radoucie en ce qui concerne les Russes, est un symptôme de cette clairvoyance de la nation.

   Tous tes vœux de l'Angleterre sont contre la Russie. Mais tous ses vœux ne sont pas pour d'écrasantes victoires remportées par les soldats du Mikado.

   Une médiation, arrêtant net tes Japonais dans leur marche en avant vers l'Asie Centrale, laissant la Russie humiliée, voilà le moyen terme auquel l'Angteterre consentirait volontiers, satisfaisant tous ses intérêts. Mais, avant que la médiation soit acceptée, il reste la volonté du Tsar et de la nation russe. Avant même qu'elle puisse être offerte, il y a le canon de Stoessel qui a refusé la capitulation, et il y a l'armée de Kouropatkine, qui se rassemble et se prépare à combattre vaillamment.. Et qui sait si t'avenir donnera quelque raison d'être aux combinaisons des deux souverains pacifistes ? De quel côté sont nos vœux, à nous Français, on le sait.

LÉON BAILBY.

   

La rencontre de l'Empereur François-Joseph et du roi Édouard VII en 1904 à Marienbad


La rencontre de l'Empereur François-Joseph et du roi Édouard VII en 1904 à Marienbad


La rencontre de l'Empereur François-Joseph et du roi Édouard VII en 1904 à Marienbad

Photos © Luc-Henri Roger

-----------------------------------------


Invitation à la lecture 


  J'invite mes lectrices et lecteurs que l'histoire des Habsbourg et des Wittelsbach passionne, et qui s'intéressent aussi aux complexités des relations internationales, à se plonger dans les textes que j'ai réunis dans Rodolphe. Les textes de Mayerling (BoD, 2020). Certains de ces textes, dont surtout celui d'Arthur Savaète, aborde la problématique des relations internationales de cette époque qui allait conduire au carnage de la première mondiale. 

La rencontre de l'Empereur François-Joseph et du roi Édouard VII en 1904 à Marienbad
Voici le texte de présentation du recueil  (quatrième de couverture):

   Suicide, meurtre ou complot ? Depuis plus de 130 années, le drame de Mayerling fascine et enflamme les imaginations, et a fait couler beaucoup d'encre. C'est un peu de cette encre que nous avons orpaillée ici dans les fleuves de la mémoire : des textes pour la plupart oubliés qui présentent différentes interprétations d'une tragédie sur laquelle, malgré les annonces répétées d'une vérité historique définitive, continue de planer le doute.

   Comment s'est constituée la légende de Mayerling ? Les points de vue et les arguments s'affrontent dans ces récits qui relèvent de différents genres littéraires : souvenirs de princesses appartenant au premier cercle impérial, dialogue politique, roman historique, roman d'espionnage, articles de presse, tous ces textes ont contribué à la constitution d'une des grandes énigmes de l'histoire.

Le recueil réunit des récits publiés entre 1889 et 1932 sur le drame de Mayerling, dont voici les dates et les auteurs :

1889 Les articles du Figaro

1899 Princesse Odescalchi

1900 Arthur Savaète

1902 Adolphe Aderer

1905 Henri de Weindel

1910 Jean de Bonnefon

1916 Augustin Marguillier

1917 Henry Ferrare

1921 Princesse Louise de Belgique

1922 Dr Augustin Cabanès

1930 Gabriel Bernard

1932 Princesse Nora Fugger

Le dernier récit, celui de la princesse Fugger, amie de la soeur de Mary Vetsera, est pour la première fois publié en traduction française. Il n'était jusqu'ici accessible qu'en allemand et en traduction anglaise.

Luc-Henri Roger, Rodolphe. Les textes de Mayerling, BoD, 2020.

Commande en ligne chez l'éditeur, sur des sites comme la Fnac, le Furet du nord, Decitre, Amazon, etc. ou via votre libraire (ISBN 978-2-322-24137-8)

Pour lire gratuitement un extrait :

 https://www.bod.fr/librairie/rodolphe-luc-henri-roger-9782322241378


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Luc-Henri Roger 35935 partages Voir son profil
Voir son blog