Stefan a désormais presque quarante ans et autant de costumes. Il est co-manager de BOUKÉ et PARTENEURE avec Elsa. Ils ont réussi, leur business a cartonné sans pour autant leur échapper. Enfin, jusqu'à aujourd'hui.
Aujourd'hui Stefan Bouké est dans sa voiture. Il doit se rendre à la tour où se trouvent, au 5e, les bureaux de l'entreprise de services qu'il a créée avec Elsa Parteneure, ancienne élève de la même école de management que lui.
C'est une petite entreprise dont la team comprend en tout neuf personnes si l'on excepte les deux dirigeants. De son bureau, Stefan a vue sur l'espace ouvert composé des deux îlots carrés de la com' et du développement-rédac.
Comme ceux des dirigeants, les noms des membres de la team sont croquignolesques:
- à la com', il y a Maria Quaraie, Lucien Perseau et Rita Rioussi;
- au développement-rédac, Charlotte Brule-Aoute, Blaise de Sillusion, Guy Bécédère et Bart El'Bye;
- la secrétaire de direction s'appelle Françoise Deprouste et le stagiaire inclusif Machin.e Ickxe.
Stefan est bien dans sa voiture, mais il ne démarre pas. Pourtant il sait pertinemment qu'il doit présenter le dossier VUE MER, en fin d'après-midi, après la réunion hebdo, où on parlera de l'avancement des dossiers en cours.
Stefan ne démarre pas: Il a posé ses mains sur le volant et puis c'est tout. Alors il imagine comment cela se passe au 5e sans lui. Et c'est la journée typique d'une entreprise moderne actuelle qui se déroule sous les yeux du lecteur.
Le globish y est de rigueur: on ne parle pas de résumé mais de brief, de procédure mais de process; on n'est pas responsable mais in charge; on ne fait pas le point, on débriefe; on ne publie pas un journal mais une newsletter, etc.
L'ascenseur de la tour est un lieu inspirant. D'ailleurs huit des neuf chapitres se terminent par un poème d'ascenseur composé par un des personnages de cette satire où sont dépeints des archétypes de collaborateurs d'aujourd'hui.
S'il ne démarre pas, Stefan, c'est parce que, consciemment ou pas, il veut laisser à Elsa le soin de présenter toute seule le difficile dossier Vue mer. Mais, comme dirait le fabuliste, finalement, tel sera pris qui croyait prendre...
Francis Richard
Vue mer, Colombe Boncenne, 128 pages, Zoé