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Slaxx – Coton fâché

Par Julien Leray @Hallu_Cine

Depuis que Quentin Dupieux a lâché Rubber sur les écrans en 2010, on ne devrait même plus s’étonner. Si l’on peut faire un (super) film avec un pneu-tueur, pourquoi se priver d’en faire un avec un jean serial-killer ? On peut en rire, mais des concepts comme ceux-là servent bien souvent de vraies propositions de cinéma. Une idée tenant sur un maigre bout de papier, à exploiter au maximum de son potentiel sur la durée : en soi une vraie gageure pour tout(e) cinéaste souhaitant s’y frotter. Si les réussites du genre (Christine de John Carpenter faisant évidemment autorité) possèdent aussi un scénario de qualité, c’est avant tout grâce à leur mise en scène qu’ils ont su briller.

Sur ce plan, Slaxx ne boxe assurément pas dans la même catégorie que les deux exemples précédemment cités. La boutique de prêt-à-porter servant de cadre (presque) unique au film d’Elza Kephart n’est finalement guère exploitée par cette dernière, aussi bien en terme de gestion de l’espace, que de découpage, ou encore dans la construction même du suspense. Sans être anecdotique, la réalisation manque ainsi singulièrement de folie, du moins celle qu’aurait mérité à coup sûr un pantalon carnivore. Néanmoins, la réalisatrice canadienne réussit heureusement l’essentiel, en faisant de chaque apparition de ce dernier un délicieux moment d’absurde, de gêne, et en même temps, de sidération. Elza Kephart remise au placard le précepte du « moins on en voit, plus on a peur » en y allant à fond dans l’explicite, et en ne cachant jamais ce jean qu’il était pourtant hasardeux de montrer aussi frontalement à l’écran. Les effets spéciaux peuvent bien souffrir ci et là d’un manque évident de budget, l’important est ailleurs : dans Slaxx, pas question de masquer l’horreur.

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C’est d’autant plus vrai que, sous couvert d’une comédie horrifique aux ressorts attendus et sans surprises, le film se montre bien plus malin qu’il n’en a l’air, en mettant son propre rapport à l’image en perspective d’un discours politique inattendu et pleinement assumé. D’un côté, CCC, la marque que les jeunes occidentaux s’arrachent, symbole des dérives de la fast fashion et du consumérisme effréné. De l’autre, un jean vengeur, réclamant justice (la loi du talion version sang et coton) pour tous les travailleurs (et en particulier les enfants) exploités sans vergogne dans des conditions misérables, pour satisfaire les besoins de nantis n’en ayant que faire. On pourra toujours arguer que la démonstration manque de finesse, il n’empêche qu’elle a le mérite d’exister, dans un créneau très codifié où l’important reste d’amuser. Elza Kephart n’hésite d’ailleurs pas à aller jusqu’au bout de son propos, en ne faisant aucun compromis quant au devenir de ses personnages (rappelant sur ce plan Summer of 84, autre film issu du giron des créateurs de Turbo Kid), certes caricatures ambulantes, mais non moins attachantes. Rendant d’autant plus forte une démarche activiste qui, sous les atours du parfait programme du samedi soir avec bières et pizzas, a du cœur à revendre, et une certaine idée de la justice sociale à défendre.

De quoi rhabiller notre société de consommation pour l’hiver, et par là même, son sens des priorités que l’actuelle pandémie elle-même n’aura pas suffi à bouleverser. Pour un petit plaisir contestataire qu’il est donc difficile de bouder.

Fantasia 2020: Killer Jeans run Amok in Slaxx | Tilt Magazine

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