Construire réversible aujourd’hui, pour mieux transformer demain

Publié le 25 septembre 2020 par Franckbaty @Bouygues_C

Pourquoi construire réversible ?

A l’heure actuelle, il coûte souvent aussi cher, voire plus cher, de réhabiliter un ouvrage existant en transformant ses usages, que de le détruire et de reconstruire un ouvrage neuf. Construire réversible permet, au prix d’efforts marginaux au moment de la conception, d’économiser de manière substantielle lors des futures transformations : il coûtera alors très nettement moins cher de transformer l’ouvrage que de le détruire et reconstruire. Le propriétaire, ou un investisseur potentiel, peut dès lors prendre en compte cette qualité intrinsèque de l’ouvrage à s’adapter, et la valorise dans l’évaluation financière de l’actif dès sa construction. Ainsi, Patrick Rubin, architecte chez CANAL Architecture, que nous avons interrogé dans le cadre d’une note de tendances sur le sujet, déclare : “Si on anticipe à l’origine la possibilité qu’un bâtiment ait plusieurs vies, on gagne le prix du bâtiment sur sa durée, sur toutes ses fréquences de vie. On le construit mieux pour qu’il puisse durer plus longtemps.”

Au-delà de cet aspect économique, cette facilitation de la réutilisation des structures permet de réduire la quantité de matière utilisée lors des futures transformations, ainsi que les besoins futurs de construction neuve. Cela évite beaucoup de déchets et le gaspillage de précieuses ressources naturelles, mais aussi leur transformation en matériaux et de construction, opération souvent émettrice de gaz à effet de serre et nuisible à l’environnement.

Faciliter la transformation permet enfin de s’adapter aux besoins futurs. Ceux-ci peuvent émerger de crises, comme ce fut le cas lors du grand confinement lié au Covid-19, mais également être le fruit d’évolutions d’usages plus profondes et sur un plus long terme. Ainsi, certains immeubles haussmanniens ont été transformés en bureau, alors que le concept de travail au bureau n’existait pas encore lors de la conception de ces logements bourgeois. Ils n’ont jamais pu être transformés en parkings. Construire réversible, c’est donc aussi prôner des modes constructifs qui donnent une meilleure capacité d’adaptation pour un futur incertain.

Qui est responsable de la réversibilité de l’ouvrage ?

Tous les acteurs de la fabrique de la ville doivent s’impliquer dans la démarche de réversibilité d’un ouvrage, et ce dès le début du projet. Celle-ci doit en effet être pensée dès sa programmation, et permise par les réglementations locales d’urbanisme ainsi que par les modalités d’aménagement. Le principe de réversibilité doit ensuite piloter la conception pour définir les choix techniques et architecturaux guidant la construction et permettant concrètement de faciliter les transformations futures. La capacité du lieu à se transformer est valorisée par la suite tout au long de l’exploitation de l’ouvrage, au fil de l’évolution des besoins immobiliers.

Des plateaux de bureaux transformables en logement

En Île-de-France, on dénombrait en 2017 3,3 millions de m² de bureaux vacants tandis que les logements viennent à manquer. Si l’idée de la transformation de bureaux en logements fait son chemin, la faisabilité est très variable selon les configurations et le processus reste onéreux. Plutôt que de concevoir des bureaux transformables en logements, la démarche de réversibilité consiste à programmer des plateaux non affectés pouvant accueillir indifféremment des espaces bureaux, logements voire même de parkings au fil du temps.

On peut mentionner le projet Work #1, porté par LinkCity et Bouygues Bâtiment Sud-Est, dans le quartier de la Confluence, à Lyon. Situé face à l’autoroute A7, l’immeuble ne convient pas aujourd’hui à un usage de logements et est donc conçu comme un immeuble de bureaux. Toutefois, il est transformable en logements pour accompagner la mutation du quartier lors du déclassement de l’autoroute en boulevard urbain, prévue dans quelques années.

Un diagnostic est donc indispensable pour établir les besoins de réversibilité et choisir la bonne approche. A l’échelle du projet, le diagnostic doit établir les dispositions du plan local d’urbanisme permettant de déterminer la forme du bâtiment la plus pertinente. A l’échelle du quartier, la réversibilité de bureaux en logements ouvre aussi la question de la quantité d’équipements publics à disposition à proximité : quelles transformations futures préfigurent les services publics et le profil des usages du quartier ? Les infrastructures proches sont-elles amenées à se transformer, comme c’est le cas avec l’A7 à Lyon ?

Un défi architectural, technique… mais surtout réglementaire et financier

Cet aspect de la réversibilité soulève de nombreuses questions techniques et architecturales, entraînant elles-mêmes un surcoût de l’ordre de 5 à 20% lors de la construction initiale. Par exemple, il faut choisir une hauteur libre des étages et une trame de façades qui concilie les contraintes des logements et des bureaux. Les structures des bâtiments, comme la conception des réseaux doivent permettre l’adaptabilité maximale des plateaux. L’organisation des circulations verticales est au coeur des questions de sécurité, et ces noyaux doivent être conçus en conformité avec diverses réglementations, correspondant à tous les usages que pourra avoir le bâtiment. Si des solutions techniques et architecturales sont déjà trouvées, comme dans le concept Office Switch Home (OSH) de Bouygues Construction, le chemin à parcourir est plus long pour les questions de réglementation d’urbanisme et de fiscalité.

On pourra toutefois s’appuyer sur quelques nouvelles dispositions réglementaires pour porter des projets réversibles. Ainsi, le permis d’innover, introduit par la loi ELAN, permet de déroger à certaines règles de construction dans certaines zones : Opérations d’Intérêt National (OIN), mais aussi Grandes Opérations d’Urbanisme (GOU) et Opérations de Revitalisation du Territoire (ORT)… Dans la ZAC Euratlantique, un exceptionnel PC sans affectation a été permis par cette réglementation.

Permis d’expérimenter : la loi ESSOC prévoit, dans un futur proche, l’inscription dans le code de la construction d’une logique de résultats et non de moyens, ce qui facilitera les innovations.

Au-delà du plateau transformable

La réversibilité va toutefois plus loin que cette approche de plateaux transformables de bureaux en logements – et dans certains cas, en parkings. On peut notamment mentionner l’appropriation des logements lors de la mutation d’un foyer au cours de la vie : studios regroupables en deux-pièces, voir « demi-maisons » standardisées offrant des espaces extérieurs adaptés pour une extension future… et sur-mesure. On peut aussi imaginer des bâtiments permettant des surélévations : en anticipant une structure adaptée, on peut envisager d’ajouter des étages dans le futur sur un immeuble existant, lorsque la demande de logement dans le secteur aura augmenté par exemple.

Des équipements réversibles pour prolonger leur durée de vie

Les villes hôtes d’évènements d’envergure internationale, comme les jeux olympiques ou la coupe de monde de football, héritent souvent d’équipements onéreux et surdimensionnés devenus obsolètes, aussi appelés “éléphants blancs”. Prévoir la seconde vie de ces infrastructures exige de prendre en compte en amont les contraintes techniques et légales nécessaires à la transformation une fois l’évènement terminé.

A Londres, le centre aquatique construit en vue des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2012 a été conçu pour être réversible. Avec une capacité de plus de 17 000 places pour les Jeux, le centre aquatique a été remodelé pour ne plus accueillir que 2500 personnes. Les ailes en ossature métallique accueillant les deux tribunes provisoires de part et d’autre du bassin ont été démontées dans les mois suivant les Jeux. La version finale du centre aquatique est aujourd’hui en activité. Dans ce cas, l’équipement garde la même fonction, avec une capacité réduite. On pourrait toutefois imaginer affecter à cet équipement de nouveaux usages, et ainsi prévoir un super-équipement monofonctionnel répondant aux besoins de l’événement exceptionnel, réversible en multi-équipement mixte répondant aux besoins locaux.

Vers une ville réversible ?

Si la notion de réversibilité est valable pour la construction de bâtiments et d’équipements, elle s’applique aussi aux espaces publics. C’est le cas des opérations d’urbanisme tactique, qui investissent l’espace public de manière légère, à travers du mobilier urbain, des plots, de la peinture, des plantations et autres œuvres d’art. Qu’elles soient portés par les municipalités, des collectifs citoyens ou d’autres institutions, ces initiatives permettent un déploiement rapide, et un retour en arrière si besoin, ce qui les rend par nature réversibles.

De la même manière, on pourrait imaginer de considérer la réversibilité à l’échelle d’un foncier constructible : Construire réversible, c’est aussi permettre au terrain lui-même de revenir à un état antérieur à la construction. C’est pourquoi on peut également aborder la réversibilité comme la faculté des structures d’être facilement démontées, et leurs éléments réemployés. Ainsi, la structure en bois des bureaux de la CODAH dans la ZAC du Pressoir, au Havre, est entièrement démontable pour être reconstruite ailleurs. Et en plus d’être démontables, les plateaux de ce bâtiment exemplaire conçu par l’architecte Julie Delamare sont entièrement réversibles en logement. Les différentes approches de la réversibilité s’y combinent, pour offrir une construction prête à s’adapter à l’avenir incertain qui nous attend.

NB