Magazine Journal intime

L'Europe #2: Jimmy

Par Gaelenicodeme

 Khalid, je ne sais plus où en était depuis la dernière fois. Tu te souviens de Jimmy, c’était un de tes potes que tu t’étais permis d’accueillir ? Il avait même pas 16 ans à l’époque. Il restait toujours discret dans son coin. Je lui avais fait un grand sourire en arrivant. Il avait plein de rastas sur la tête. Tu sais nous européens on a des idées préconçues. Et pourtant je l’ai parcourue l’Afrique. Quand t’as des rastas, c’est forcément que tu es cool. C’est pas qu’il était pas cool, Jimmy, loin de là, c’est que j’allais avoir la confirmation plus tard qu’il ne faut pas forcément avoir des rastas pour être cool. C’est une idée à la con ça. Mais quand on sait pas tu sais, on essaye de se rattacher à des idées souvent très connes.

Jimmy, comme toi il est resté, parce qu’après vous avoir « autorisé » à vous reposer quelques heures, comment je pouvais vous dire de partir ? J’avais eu envie de vous connaître moi. Mais c’est dangereux de mieux connaître les gens, après forcément on s’attache. Toi tu n’étais déjà plus la personne que j’avais croisé dans le métro, tu avais une histoire, tu avais un nom, tu avais de la famille, tu avais des amis, tu avais d’énormes souffrances, d’énormes joies aussi, bref, tu étais comme moi, tu étais vivant. Du respect de part et d’autre surtout. Ca fait déjà un sacré lien ça !

Pendant que je te posais des questions idiotes et pleines d’ignorance sur les migrants (qu’est ce que j’ai dû te faire soit rire doucement, soit te faire chier), Jimmy il a sorti un ballon de foot qui trainait dans un coin de la pièce, et il a commencé à jouer avec mon fils. J’avais toujours considéré le foot un sport de hooligans décervelés, tout à coup, je le découvrais comme un moment de communion.

Et tout ça se déroulait devant mes yeux. Ils se taclaient, ils partaient dans des fous rires, ils s’enguelaient avec des gestes quand ils n’étaient pas d’accord sur des goals. Et là, un instant, je me suis dit que je m’en foutais de savoir ce que vous foutiez tous là. Juste profiter du moment.

A partir de là, je ne sais pas ce qu’il s’est passé dans leurs têtes. Je pense, Nelson mon fils cherchait le grand frère qui lui manquait à la maison. Pour Jimmy, je ne sais pas. Je ne saurai jamais si du haut de ses 15 ans, il voulait retrouver un petit frère ou au contraire se montrer fort comme une figure paternelle. Parce que fort il aura dû se montrer pendant ses années d’errances. C’est bizarre, en écrivant ces lignes aujourd’hui, presque 3 ans après, je ne connais toujours pas l’histoire passée de Jimmy. Je la connais à partir du moment où il a franchi le seuil de ma porte. Pourquoi je parle de Jimmy ? Juste parce que je viens encore de lui parler par messenger à l’instant. Je pense qu’il a eu un frère assassiné pour ses idées politiques, mais ça ce sont juste mes soupçons de ce que j’ai essayé de comprendre de lui. Je ne lui ai jamais demandé en fait. Pas par désintérêt, par pudeur mal placée sans doute. Peut-être il aurait voulu que je lui demande. Pour moi, il était là, il était un ado, il avait besoin d’aide, tout ce que j’aurais pu faire pour lui venir en aide, je l’aurai fait.

Jimmy, tu auras eu le plus beau parcours de tout ceux qui sont passés par ici. Tu as essayé l’Angleterre de Bruxelles dans des camions jusqu’à ce que tu me dises : « je pars essayer à Calais ». Calais, « La jungle », Jimmy, tu sais ce que ça veut dire ? Il y a des animaux féroces là-bas, mais tu n’as pas eu peur, même si moi j’ai eu peur pour toi. Même si tu n’étais encore qu’un ado, je te savais adulte, beaucoup plus que moi forcément. On est restés en contact, pas tout le temps, c’est compliqué le contact dans la jungle, jusqu’au jour où tu m’as dit des bénévoles m’ont pris en charge, je suis admis dans le Programme des Nations Unies, j’ai une famille qui m’attend, j’ai un billet d’avion pour l’Angleterre.

Tu attendais ton départ, ta nouvelle vie à Saint-Omer. Moi et Nelson on ne voulait pas que tu partes sans qu’on puisse te dire au revoir. On est parti jusqu’à toi, grâce à ma maman qui nous a conduit. Je vais faire bref sur l’autre ado qu’on a embarqué de Bruxelles et qu’on a dû faire passer la frontière en train avant de le récupérer quelques kilomètres plus loin en France. Parce que passer une frontière avec un migrant, c’est considéré comme un trafic d’êtres humains Parce qu’en France avoir un migrant dans sa voiture, c’est un délit de solidarité. Comment délit et solidarité peuvent tenir dans une seule phrase ?

Jimmy, tu es parti à Hull au fin fond du Nord de l’Angleterre, c’était difficile pour moi de venir te voir, impossible pour toi de venir sans papiers, mais malgré tout on resté en contact. Tu les as eu ces putains de papiers, tu es le seul que je connaisse. Tu as terminé ton collège. Tu viens de commencer l’université à Machester. Je regarde tes photos sur Facebook. Tu es un vrai bout d’adulte maintenant, enfin je veux dire ton physique correspond enfin à ton mental. Comme je suis fière de toi.

Ce soir, on a rigolé par messenger avec toi et Nelson sur les médiocres résultats de ton club Arsenal contre Liverpool. Tu m’as dit que tu les supportais depuis que tu avais 7 ans. Tu m’as dit viens avec Nelson me voir, vous me manquez trop. Dès que la crise covid est terminée et que l’Angleterre voudra à nouveau de nous, on viendra manger des hot-dogs au stade de foot avec toi.


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