Posted onJean-Philippe Feldman
Les travaux d’un futur ouvrage m’ont conduit à lire un opuscule que j’avais jusqu’alors délibérément délaissé : les quelques feuilles de l’« activiste » suédoise Greta Thunberg parues au mitan de 2019 (Rejoignez-nous. #grevepourleclimat, traduction Flore Vasseur, Kero, 2019, 33 p.). Elles se présentent comme l’expression et la défense des idées promues par la jeune ex-écolière en « grève pour le climat ».
Volontairement, j’ai écarté toute « pollution » extérieure – discours de l’auteur, commentaires divers, etc. – pour faire « comme si » je ne savais rien d’elle afin de me concentrer sur sa littérature. Je n’en ai pas moins été conduit à scruter la photographie de l’héroïne en page de couverture pour constater que son air revêche et obtus n’était guère engageant…
Les 25 pages utiles de l’ouvrage, écrites de manière simpliste de telle façon qu’un lecteur moyen puisse les comprendre, peuvent être résumées dans le schéma suivant, dont l’aspect scientifique ne pourra que faire plaisir à Greta. Il me suffira ensuite de le reprendre point par point :
peur >> catastrophe >> « écouter la science et les scientifiques » >> progrès technique >> arrêter les émissions carbone >> règlementer.
La peur
A la base de tout écologisme radical se trouve, larvée ou non, la peur. Ici, loin d’être obombrée, celle-ci est mise en avant : « Je veux que chaque jour vous ayez peur comme moi » (p. 20) ; « je veux que vous paniquiez » (p. 30). Cette peur s’explique aisément : la catastrophe écologique n’est pas un horizon, même proche, elle est déjà présente : « la crise environnementale est une menace existentielle », est-il affirmé dès les premières lignes (p. 8). « Sommes-nous en train d’engendrer une extinction de masse en toute connaissance de cause ? », demande ingénument Greta. Les conséquences de la crise s’affichent dans toute leur horreur : « des villes inondées, des dizaines de milliers de personnes décédées [seulement ?] et des nations entières réduites à des piles d’immeubles effondrés » (p. 10).
En effet, si nous ne maintenons pas le réchauffement climatique sous la barre des 2 degrés, nous allons plonger dans un « scénario cauchemardesque » (p. 14). Pour le dire autrement, « nous sommes face à un désastre de souffrances inimaginables pour d’immenses parties de la population » (p. 18).
La science
L’inconscience de la population ignorante, qui n’entend jamais parler de la catastrophe climatique – notre activiste n’a sans doute jamais écouté les médias français…-, et l’attentisme des hommes politiques apparaissent d’autant plus surprenants et inadmissibles que la vérité scientifique ne peut qu’éclater aux yeux de tous. Il faut « écouter » la science et les scientifiques (pp. 23 & 31), écrit naïvement notre activiste, selon laquelle tout est « blanc ou noir » (p. 8). Comme elle a pu déciller les yeux de ses parents (p. 29), Greta Thunberg entend faire prendre conscience aux inconscients que nous sommes ce qu’est la vérité scientifique. Après Marx et Engels démontant l’idéologie bourgeoise cachée, Greta nous ouvre les lumières du scientisme contemporain.
L’espoir
Comme chez tous les écologistes liberticides, il ne vient pas à l’idée de Greta Thunberg que le progrès technique, c’est-à-dire l’ingéniosité infinie des hommes, puisse survenir. Blanches ou noires, jamais grises, les réalités sont inscrites dans le marbre et la catastrophe, imminente, doit arriver.
Mais la « grève pour le climat » nous donne malgré tout un espoir. Même si « notre maison brûle » (p. 17), nous pouvons encore tout sauver. A la peur et au catastrophisme correspond une sorte de parousie : notre planète va renaître, du moins subsister. Comment ? La solution s’évince d’elle-même puisque « la science » nous a tout révélé : « il faut arrêter nos émissions carbone » (p. 18), il faut « maintenir le pétrole dans le sol » (p. 13).
Et là, Greta de se lamenter de l’absence de « règlementations » (p. 11) et de « législation » (p. 13). Car le type d’écologisme qu’elle promeut se dévoile comme une nouvelle mouture du constructivisme : « tout et chacun doit (sic) changer » (p. 22). Même si le terme n’est pas employé, Greta nous convie à une guerre pour sauver notre mère Terre. Même si l’expression n’est pas usitée, il s’agit bien de concentrer toutes les forces de la civilisation afin de mener ce combat. Or, il n’y a de but unique dans une société que dans deux situations : une guerre effectivement ou un régime de nature totalitaire. Ici, « les règles ont besoin d’être changées » car il s’agit ni plus ni moins que de « sauver le monde » (p. 13) : « Nous devons changer à peu près tout dans nos sociétés » (p. 20), projet révolutionnaire qui, puisque l’on nous parle de peur, ne peut qu’inquiéter.
La politique
Il ne faut pas croire pour autant que ces changements radicaux puissent se faire de manière spontanée ou même décentralisée. Fût-il vague, le projet ici défendu ne peut que mener directement à une politisation généralisée de la société : « nous avons besoin d’un nouveau projet politique ». Voilà qui intéressera un certain nombre d’hommes politiques démagogiques, voire autoritaires. Ce sont eux qui vont être chargés de sauvegarder notre monde à coup d’interdits, de législation et de règlementations. Les mots de capitalisme et de libéralisme sont absents du texte, mais lorsque l’auteur avance que « nous avons besoin d’une économie totalement repensée » – expression parlante car nous ne savions pas qu’elle avait jamais été pensée…-, c’est la civilisation naguère qualifiée d’occidentale qui est visée.
De programme il n’y en a pas, mais le lecteur attentif trouve tout de même les quelques lignes suivantes : « Nous devons coopérer et partager les ressources de la planète de façon équitable. Nous devons commencer à vivre dans les limites de ce que la planète propose » (p. 24). Lorsqu’un écologiste radical parle – avec un anthropomorphisme qui pourra faire sourire – des limites de l’univers, il faut traduire : il s’agit de brider l’initiative humaine sans limite, il faut plus précisément que les pays capitalistes, dont les habitants sont sortis de la pauvreté grâce à l’ordre spontané, partagent leurs richesses mal acquises – lire : sur le dos de Gaïa et des pays pauvres -, afin de sauver la planète.
L’opuscule de Greta Thunberg présente tout de même un immense mérite : concentrer en quelques pages les menaces que les écologistes liberticides font peser sur notre civilisation.
Jean-Philippe Feldman est professeur agrégé des facultés de droit, Maître de conférences à SciencesPo et avocat à la Cour de Paris. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont le dernier en date Transformer la France. En finir avec mille ans de mal français, Plon 2018 (avec M. Laine). Il publiera prochainement Exception française. Histoire d’une société bloquée de l’Ancien Régime à Emmanuel Macron (Odile Jacob)